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Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Chronique

Touché, Coulé

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Touché, Coulé

« L’esclave n’a qu’un maître ; l’ambitieux en
a autant qu’il y a de gens utiles à sa fortune »

Quand il prend le chemin de l’aéroport pour se rendre chez son médecin suisse, juste à hauteur du Pont de Colobane, maître Wade devrait jeter le regard en contrebas. La vie renaît dans un cimetière de…  batteries. Du lever du soleil à son coucher, un fourmillement humain plombe le regard. Des sénégalais, hommes et femmes, se ruent sur une denrée rare, le plomb. Le sable y prend une couleur noire, mélange glauque de plomb et d’acide sulfurique, dans un décor encore fumant, caché par du zinc calciné. Les desperados y plongent les mains, bottent les morceaux de métal du bout du pied pour soulever de petites plaques grises. Chaque filet de plomb est un espoir de dépense quotidienne, après une journée passée sous un soleil… de plomb! Ce nouveau Far West est une mine à ciel découvert. Le métal gris est vendu à prix d’or: 15 000 francs Cfa par kilogramme et par journée de travail, échangé dans la banlieue lointaine. Il y a, dans cette poudrière géante, des risques d’explosion, et chaque découverte est un jeu avec la mort. S’ils poursuivent cette activité, nos femmes et jeunes sont voués à une mort lente et douloureuse. Ils en sont aussi conscients qu’ils savent distinguer le plastique du métal, dans cet amas flou d’immondices puantes. Mais s’il faut mourir, autant mourir le front en sueur, le pain noir à la bouche. Ils n’ont pas le choix. La misère les a chassés de leurs baraquements infects où, de toutes les façons, un choléra peut faucher à tout moment, plus rapide qu’un cancer.
Il y a là ceux qui ont voté pour le Sopi en 2000, les femmes et les jeunes. Ils seront bientôt rejoints par une colonie de paysans affamés. L’espoir d’éviter la famine était maintenu par les prémisses d’un bon hivernage. C’est maintenant connu, nous avons enregistré cette année le pire des hivernages depuis trente ans. Cette masse humaine, 7 sénégalais sur 10, victime depuis 7 ans des aventuriers libéraux, va bientôt squatter les villes. Il y a 2 ans, Abdoulaye Wade promettait une révolution agricole par les pluies provoquées. Il disait précisément, le 28 juillet 2005, alors que l’hivernage venait à peine de commencer, que « la réussite des pluies artificielles a amené un véritable changement, si on compare avec la pluviométrie des années précédentes. C’est une opération qui, testée pour la première fois, a réussi à bouleverser les données hydriques, c'est-à-dire que cela a pu nous permettre d’augmenter les pluies sur tout le territoire national du Sénégal ». Son ministre de l’Agriculture de l’époque, Farba Senghor, a vu cette année encore les avions bombardiers dynamiter les nuages à partir de son nouveau poste de commande, à l’aéroport de Dakar. Le résultat est tombé, désastreux. Le pire hivernage depuis 1977. Il y a d’ailleurs quelque chose d’assez parlant dans cette histoire. Wade est arrivé avec un des meilleurs hivernages que nous ayons connu en 2000-2001, avec une production arachidière avoisinant le million de tonnes. L’euphorie lui a fait enchaîner des politiques insensées de production de maïs en 2003, manioc en 2004, bissap en 2005. Le paysage agricole est façonné à partir du menu indigène du palais de la République. Wade nous a en réalité fait cultiver ce qu’il aime le plus: le maïs, le manioc et le bissap. Ses différents ministres ont obéi aveuglément, en annonçant des productions farfelues pour lui faire plaisir. En bout de course, nous nous retrouvons avec le pire des hivernages, avec un désastre humanitaire qui menace le monde rural, malgré les assurances du ministre de l’Agriculture. Nous allons encore payer pour 7 années de tâtonnements, dans un secteur qui constitue 10% de notre PIB, avec un contexte de crise céréalière mondiale aigue. Si l’agriculture sénégalaise s’écroule en même temps que son industrie, c’est d’abord en raison des choix insensés du chef de l’Etat.
Quand il veut dérégler un secteur, il y envoie ses sbires de confiance. Souleymane Ndéné Ndiaye vend le port, Farba Senghor vend l’aéroport. Il y a, dans ce secteur, des hectares compris dans la zone sécuritaire de l’aéroport qui vont être vendus à des arabes pour des logements de luxe. Il aura la main sur les redevances aéroportuaires, de plusieurs dizaines de milliards par année, sur lesquelles les travailleurs de l’Asecna ont bien raison de s’interroger.

Notre situation économique est incomparable à celle de tout autre pays africain, et c’est ce qui la rend injustifiable. Le continent africain a enregistré en 2006 36 milliards de dollars en investissement. C’est 2 fois plus qu’en 2004. Le Fmi prévoit déjà qu’en 2008, la croissance de l’Afrique dépassera de deux points, pour la première fois dans l’histoire, celle du reste du monde. Pendant ce temps, nous justifions notre effondrement économique, la baisse de notre taux de croissance par un contexte mondial difficile. Ce n’est pas vrai. Rendez-vous au Mali et au Burkina Faso. Vous y verrez ce que nous avons perdu avec notre économiste donneur de leçons. Le problème du Sénégal n’est pas un problème de disponibilité de ressources, c’est un problème de gestion des ressources.
En 7 ans, 80% des richesses sont passées entre les mains de 20% de la population. Maître Abdoulaye Wade a créé des agences au sein de l’Etat, pour justifier des salaires de 7 millions de francs Cfa, pendant que le Smig est à 45 000 francs Cfa. Il y a un problème dans un pays, quand des retraités se retrouvent avec des pensions mensuelles de moins de 25 000 francs Cfa, alors que leur argent permet de payer des chauffeurs à 500 000 francs Cfa et des secrétaires jusqu’à 700 000 francs Cfa. Le « libéralisme » et l’agencialisation permettent cela. Nous avons observé la même situation lorsque Samuel Sarr, en plus de se donner un salaire « décent » avec la Senelec, s’est négocié des conditions de départ de 400 millions de francs Cfa, alors que la société ne pouvait plus acheter une seule goutte de pétrole. Le même qui avait gardé 2 milliards de la société dans son compte bancaire personnel. Nous payons par des hausses répétées cette mauvaise gestion orchestrée pour faire de toutes les sociétés nationales des machines à sou. Le président de la République lui-même ne s’en prive pas. Il dénonce la cherté du pétrole et du gaz, mais ça ne l’empêche pas d’acheter 2 nouveaux avions pour son confort personnel et celui de sa famille. Mercredi, après une journée de rencontre au palais de la République, le gouvernement, par la générosité du président Wade, nous a sorti des évidences du genre : la subvention sur le riz sera maintenue, la suspension de la TVA sur le lait et le pain sera maintenue, une hausse n’est pas prévue sur le prix du ciment. Au lieu de nous dire « vous souffrez, vous allez continuer à souffrir », il nous dit « vous souffrez, mais vous n’allez pas souffrir plus que ça ». C’est cela la bonne trouvaille communicationnelle. On sait ce que ça préparait dès le soir, tellement ces gens manquent de tact: une hausse de 2 à 6% sur le prix de l’électricité. Et si cela ne suffisait  pas, il y a déjà la trouvaille de la semaine pour nous consoler : du pétrole à Saint-Louis, de l’or à Sabodala.
Nous avons fait le pari d’une présidence irresponsable, nous en payons les conséquences. Il était évident, le 25 février 2007, que ceux qui ont voté pour Abdoulaye Wade lui confiaient une présidence à vide. Depuis cette date, les rares sorties qu’il s’offre sont des règlements de compte en série contre des adversaires potentiels de son fils. Le président de la République n’a plus parlé du Sénégal, si ce n’est incidemment. Sa réaction brutale à la convocation de son fils à l’Assemblée nationale, le noyautage des instances du Pds par la génération du concret montrent bien la voie que nous prendrons en 2008. La génération du concret a pris le pays, l’Assemblée nationale, elle prendra le Pds. Et manifestement, les règles du fameux jeu reviennent, pour tous ceux qui ont les mêmes ambitions que le fils du président : touché, coulé !



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