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Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Chronique

Wade mandat show

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Wade mandat show

« Les grands hommes sont soucieux d’éthique,

les petits d’étiquette »

Claude FRISONI




Suivez la cérémonie de prestation de serment du président de la République. Vous saurez bien pour qui le Conseil constitutionnel a voté. Et ne cherchez pas trop longtemps pourquoi. Quand Wade arrivait au pouvoir il y a sept ans, les magistrats gagnaient 300 mille Francs Cfa. Ils en gagnent maintenant le triple. Il est donc normal qu’à l’heure des comptes, ils fassent la cour à un président de la République qui a réussi à faire de ce corps honorable une grande masse corrompue jusqu’à la putréfaction.
Mardi, il y avait, au stade de l’Amitié, les magistrats qui ont voté pour Wade, les militaires qui ont voté pour Wade, et les wadistes qui ont voté pour Wade. Il y a, à cela, une raison historique. En tant qu’avocat, Wade est de la Justice, et la magistrature a été son rêve de toujours. En tant qu’ancien soldat déserteur, il a toujours rêvé de la tenue et du galon qu’il n’a jamais su mériter. Celle qui est devenue la présidente du Conseil constitutionnel, et qui a fait ce discours lamentable sur les réalisations d’Abdoulaye Wade est l’épouse de feu Fara Ndiaye, membre fondateur et ancien numéro deux du Pds… Ajoutez-y le folklore politique, et vous avez la ribambelle qui nourrit son rêve de toujours, s’asseoir sur la tête de tous ses concitoyens. Il aime regarder ses sujets d’en haut. C’est ce qu’aucune autre salle ne lui permet de faire, et c’est la joie que lui procure commodément le stade de l’Amitié, symbole de ses « grandes » ambitions. Chaque moment chez Wade est un moment de vengeance sur lui-même. Il est toujours en fuite, errant entre Cheikh Anta Diop et Senghor, sans jamais être ni l’un ni l’autre. Mardi, il a encore lamentablement passé son temps à rouler les r et à les ravaler, en se cherchant continuellement. Ses 12 minutes de discours ont été douze rounds d’un combat inlassable, agité comme s’il devait triompher d’un diable qui le possède, prenant toujours la caméra devant lui pour un ennemi virtuel. Wade pense qu’une vision politique se limite à « j’ai construit 13 lycées, il y en a 15 qui attendent ».
Nous avions retenu de Senghor la dimension culturelle, essentielle du développement. Nous avons retenu de Diouf, malgré ses avatars tiers-mondistes, l’idée de sursaut national, qui a rassemblé au-delà de son parti. Abdoulaye Wade nous laisse quelques formules creuses, un vide inquiétant, ballotté qu’il est entre son ego sur mesuré et sa soif de reconnaissance, toujours en chasse entre plusieurs terres.

Cet homme se venge. Il n’a jamais aimé l’ambiance compassée des soirées sournoises où se rencontrent les bonnes gens. De tout ce qui s’est fait mardi et mercredi, il va garder la musique militaire et les chansons à son honneur. Il a d’ailleurs toujours considéré ce rendez-vous du stade de l’Amitié comme une confrontation entre la plèbe, venue là en car Ndiaga Ndiaye, et l’élite bourgeoise qui ne l’a jamais accepté. Il est du côté de ceux qui sont arrivés au stade parce qu’on leur a promis des sandwiches. Il peut manger la bouillie de mil avec eux. Il est capable de passer de la bouillie de mil aux œufs brouillés. Sa vie n’a été que cela. Toujours la promesse de les faire passer du bol matinal à la table à manger. Toujours sur son 31, convaincu qu’en politique, il faut faire ce qu’on fait aux femmes : une belle mise (il a changé trois fois de montre en trois jours), des promesses sans lendemain. Il a engagé en grandes pompes, pour encore faire rêver les sénégalais, les travaux de l’aéroport de Dias. Nous oublions qu’en septembre 2002, les caméras de la télévision nationale avaient filmé le début des travaux. Le mercredi 17 mars 2004, à deux jours de l’anniversaire de son accession au pouvoir, il affirmait au journal L’Observateur, que « par exemple pour l’aéroport de Diass, j’ai reçu 5 propositions : un groupe malaisien, le Prince Walid, deux groupes arabes, la compagnie des Emirats et surtout le groupe ABB qui me promet, tenez-vous bien, 13 milliards de gain par an, alors que l’aéroport de Dakar ne nous rapporte rien ». Wade déclare maintenant qu’une étude datant de 2000 parle de « bénéfices de 16 milliards sur trois ans ». Mais ce n’est pas tout. Sachez que ce sont les redevances payées par les voyageurs de l’aéroport LSS, « qui ne rapporte rien », qui ont financé le début des travaux sur 10 milliards. Il fait payer aux Sénégalais qui quittent et viennent au pays une taxe spéciale appelée Redevance de développement des infrastructures aéroportuaires (RDIA). Nous paierons cher ses ambitions démesurées et ses folies dépensières. Il viendra prendre cet argent dans nos poches.
Il s’en fout des sommes faramineuses dépensées à sa seule gloire, il s’en fout des milliards de pertes que nous causent ses trois jours chômés et payés. Les journaux, qu’il refuse de subventionner, vont accuser des pertes énormes. Les banques vont perdre des milliards en transactions, les industries vont se mettre aux arrêts, à la seule gloire du chef. La facture sera bientôt payée par tous ces gens désoeuvrés qui ont envahi le stade de l’amitié pour le célébrer. C’est, paradoxalement, à ces démunis qui peuplent la banlieue qu’il va envoyer la facture. Il mène une politique de riche, avec le suffrage des pauvres.

Les cinq prochaines années, croyez-moi, seront des années de jouissance pour Wade. Il aura été le seul qui ait obtenu un second mandat au bout d’un premier mandat de 7 ans. La chance a toujours agi injustement, envers tout le monde. Et c’est peut-être l’un des plus grands dangers de ce septennat, c’est de n’assigner à un homme aussi imprévisible aucune limite, si ce n’est lui-même. Voilà un homme qui, il y a seulement trois mois, était tellement incertain de son fait, qu’il demandait deux années supplémentaires « pour terminer ses grands chantiers », incertain d’être réélu. Il aura non seulement 5 ans de plus, mais il va pour passer les 5 années les plus paisibles de sa vie, si l’opposition maintient sa décision de boycotter les législatives. Il semble désormais certain que l’opposition ne participera pas aux prochaines élections. Ces élections du 3 juin devaient être l’occasion de corriger la forfaiture de la dernière présidentielle, elles ne devaient pas être l’occasion de rajouter à cette première forfaiture, une autre forfaiture. Ce serait une naïveté impardonnable de penser que le déroulement d’un bon scrutin était une question de textes et de lois.
J’ai longuement expliqué en quoi ce boycott, même s’il paraissait justifié, était inopportun et dangereux. Wade représente théoriquement 55% de l’électorat. C’est un moindre mal, comparé aux 100 % que nous nous préparons à lui donner, si nous refusons d’aller voter le 3 juin prochain. L’opinion ne suivra pas l’opposition dans sa démarche, il faut s’en convaincre. Pas parce qu’elle est avec l’actuel régime, c’est là toute la nuance, mais parce qu’elle est anesthésiée par une victoire que personne ne peut encore comprendre. Le boycott est démobilisateur, et il va consacrer le pouvoir solitaire d’un homme qui n’a la démocratie qu’à la surface de la peau.
Il y a 7 ans, Wade disait à ses nouveaux « collègues », venus assister à sa prestation de serment, que « l’ère de l’exercice solitaire du pouvoir est terminé en Afrique. Commence maintenant la République des citoyens ». Bongo a tellement attendu l’avènement de cette République qu’il a fini par s’endormir sur son fauteuil.



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