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[ Contribution ] Bilan des dix ans de l’alternance : des chiffres qui mentent

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[ Contribution ] Bilan des dix ans de l’alternance : des chiffres qui mentent

Notre vieux président et ses mille courtisans ont fêté le dixième anniversaire du 19 mars 2000 à coup de millions et de discours grandiloquents. A l’occasion, ils ont présenté un bilan qui peint notre pays comme un véritable paradis terrestre. A travers des interviews données ça et là, le chef de file de ces lubalkat a raconté n’importe quoi. Ainsi, face aux journalistes du Groupe Futurs médias, il a osé déclarer sans sourcilier : « Dans mon intimité, j’ai souvenir de mon programme que j’ai entièrement réalisé. Je dirai même que je l’ai dépassé. J’ai réalisé plus que mon programme et dans tous les domaines (…). » Il répondait à la question : « Dix ans après, est-ce qu’on peut dire que le bilan est reluisant ? ». Si on considère toutes les promesses qu’il a faites de 1974, date de la création de son Parti à son accession à la magistrature suprême, le 1er avril 2000, ses « cuillères » Mamadou Diop Decroix, Iba Der Thiam, Me Ousmane Ngom et consorts ont bien raison de présenter notre pays comme un paradis. Cette déclaration de Me Wade et celles qui suivent, sentent incontestablement le poids de ses 86 ans et parlent d’elles-mêmes.

L’homme nous a habitués à de tels délires qui donnent parfois, souvent d’ailleurs, l’impression qu’il nous tient dans le mépris le plus total ou que le syndrome Bourguiba frappe aux portes du palais de la République. Il en était ainsi quand il s’engageait à réaliser un chemin de fer à grand écartement Dakar-Tambacounda-Ziguinchor en quinze mois, y compris le temps des études (Le Populaire du jeudi 18 mars 2004, page 5), trois Tgv en quatre ans (2008-2011)[1], une centrale nucléaire à Oussouye devenue une centrale flottante au large de Dakar s’il était réélu en 2007, etc. Dans les autres interviews, notamment celle accordée au mensuel « Intelligence » (mars 2010, pages 9-15), l’homme reste égal à lui-même. Il se perd dans ses chiffres et raconte n’importe quoi. Interrogé sur sa Goana, il se laisse aller à l’autosatisfaction et rappelle qu’avant sa géniale trouvaille, « le pays dépendait presque à 100 % de la nourriture provenant de l’étranger, notamment avec une importation annuelle de 600000 tonnes de riz par an en 2003 ». J’ai cité exactement. Il poursuit : « Après 3 ans seulement, la Goana a réussi à atteindre les 600000 tonnes de production et, aujourd’hui, nous avons franchi la barre des 500000 tonnes (et que) l’année prochaine, nous sommes sûrs de réaliser la totalité de nos besoins. »

Voilà des chiffres que brandit fièrement notre vieux président et que vont répéter sans précaution des gens comme Mamadou Diop Decroix et le Pr Iba Der Thiam. Or, tous ces chiffres sont totalement faux, en contradiction formelle avec les statistiques officielles. Notre pays importe annuellement plus de 600000 tonnes de riz. Je renvoie le lecteur au site de la Direction de la Prévision et des Etudes économiques (DPEE), dont les statistiques sont des plus fiables et des plus officielles. Selon les sources de cette structure, note pays a importé 994800 tonnes de riz en 2009, pour un coût de 204 milliards de francs Cfa. Les mêmes sources prévoient une baisse légère des importations qu’elles estiment à 986000 tonnes en 2010, pour un coût de 185, 6 milliards. Notre pays a besoin donc, pour relever le défi fou de Me Wade, de produire, en plus des 500000 tonnes supposées de la Goana de 2009, l’équivalent d’au moins 400000 tonnes de riz décortiqué pour l’année 2010. Je fais table rase des produits laitiers et autres produits alimentaires qui obèrent terriblement notre balance commerciale. Le Zeus sénégalais raconte donc des contrevérités : nous avons encore un long chemin à faire pour atteindre l’autosuffisance alimentaire. Il se méprend même sur le temps qu’a duré sa Goana. C’est en avril 2008 qu’il l’a lancée avec les objectifs titanesques que nous savons. Nous sommes en avril 2010. La Goana n’est donc vieille que de deux ans seulement et non de trois. L’homme est bien sûr, et pour cause, très pressé. Il a le temps contre lui et veut aller bien plus vite que ce redoutable adversaire. En deux ans seulement sa Goana nous fait frôler l’autosuffisance alimentaire que nous atteindrons sûrement en 2010, selon lui bien entendu. Dans une très longue interview au quotidien national Le Soleil du 12 mars 2010, le Pr Iba Der Thiam se fait l’écho de ces lubies en ces termes sans équivoque : « Le monde rural a connu la Goana, qui soustrait notre pays des affres de la famine. » Merci professeur, pour cet aveu de taille ! Notre pays était donc confronté à la famine ! Prenons acte et passons !

Continuons d’accompagner notre Zeus national dans ses lubies et ses chiffres fantaisistes. Dans la même interview à « L’Intelligence », il assène : « Prenez le cas de l’arachide, nous en étions à 300000 ou 400000 tonnes avec 150000 tonnes consommées par nos huileries locales. Cette année, nous avons atteint le tonnage de l’époque coloniale au moment où le Sénégal était voué à la monoculture de l’arachide. » C’est encore faux, archi-faux. Comment un homme de son âge, et de surcroît président de la République, peut-il se laisser aller à de telles contrevérités ? Lors d’un débat organisé le 31 décembre 2009 après le message à la Nation du président de la République, Me Ousmane Ngom, politicien au caractère fongible, a raconté les mêmes contrevérités. Il avait affirmé sans sourcilier qu’en 2000, la production d’arachide était de 100000 tonnes et que, de 1993 à l’avènement de l’alternance, les Socialistes n’avaient jamais fait plus de 300000 tonnes d’arachide. Quel mensonge ! Le seul capital semencier était de 140000 tonnes, que les Libéraux s’emploieront d’ailleurs à détruire. La campagne agricole 2000-2001 a été notamment sanctionnée par une récolte presque record de1100000 tonnes. Les nouveaux venus au pouvoir eurent du mal à commercialiser toute cette production. Leur système carreau-usine se termina par un fiasco et les paysans se retrouvèrent avec des milliers de bons impayés entre les mains. Me Wade et son obligé n’ignorent quand même pas qu’il existe des archives et de nombreuses autres sources dans notre pays. Nous allons les interroger pour mieux les confondre.

Déjà, en 1965, la production de l’arachide était de 1,1 million de tonnes, de 860 000 en 1966, d’1 million en 1967 et de 830 000 en 1968. Elle descendra à 670 000 en 1969 et à 550 000 en 1970. Ces deux dernières récoltes étaient considérées comme une catastrophe à l’époque, et un échec total pour la SATEC, société d’encadrement qui s’était engagée à obtenir dans la zone arachidière, un accroissement de 25 %, pour compenser la chute progressive des prix de l’arachide à la production de 22 à 17 Fcfa à partir de 1965. Les mauvaises récoltes de 1969 et de 1970 s’expliquaient surtout par la grande sécheresse de 1968-1970 ([2]).

Dans une excellente contribution parue à « Opinions et débats » de Walfadjri du 21 juin 2004, M. Moubarack Lo fait remarquer, en note de bas de page, qu’« avec 903 000 tonnes d’arachide collectées et un prix au producteur de 80 Fcfa le kg, l’État a injecté en 1982-83, 72 milliards de francs Cfa (de l’époque) dans le monde rural. En 2002 / 2003, la collecte de la totalité de la production estimée à 266 000 tonnes d’arachide, ne permettait, pour un prix carreau-usine de 120 Fcfa, de n’injecter qu’un maximum de 32 milliards de Fcfa, soit moins de la moitié d’il y a vingt ans. Sans compter que le niveau général des prix a plus que doublé sur la même période, surtout avec le changement de la parité du franc Cfa intervenu en 1994… »

Que valent donc les chiffres brandis par Me Wade et ses minables jacasseurs ? Evidemment pas un sou. Nous en sommes plus convaincus encore si nous considérons cette autre fanfaronnade, dans la même interview à « L’intelligence » : « Je suis heureux d’avoir pu libérer les Sénégalais de la monoculture de l’arachide et de la dépendance alimentaire qui n’existe pratiquement plus. Aujourd’hui nous exportons de l’arachide partout, même en Chine car, c’est une huile très prisée. » Notre président prodige ne s’arrête pas en si bon chemin ; il continue d’étaler ses « prouesses » : « Je dois dire que nous avons également réussi la transformation des produits agricoles que j’ai déléguée aux femmes. » Quelle transformation des produits agricoles ? Aïda Mbodj aurait-elle démissionné de ses fonctions de Ministre de la transformation alimentaire des produits agricoles qu’elle considérait comme une coquille vide ? Quand même !

Je ne m’attarderai pas sur sa prétention de « nous avoir libérés de la monoculture de l’arachide et de la dépendance alimentaire ». Je n’en ferai pas autant de cette sotte fanfaronnade : « Aujourd’hui, nous exportons de l’arachide partout, même en Chine car, c’est une huile très prisée. » Soulignons d’abord fermement que c’est faux : nous n’exportons pas d’arachide en Chine. Et si c’était vrai, ce serait plutôt une faute lourde pour cet « éminent économiste ». Nous sommes quand même un pays en développement, qui a besoin de faire la promotion de ses industries. Si l’huile d’arachide est prisée en Chine, pourquoi ne pas triturer sur place nos centaines de milliers de tonnes d’arachide qui restent entre les bras de nos pauvres paysans et vendre à prix d’or le produit à ce grand pays ? Nous avons les installations qu’il faut. L’ancienne Sonacos, devenue Suneor, dispose de quatre unités industrielles (Dakar, Diourbel, Kaolack Ziguinchor), qui totalisaient une capacité annuelle de trituration de 700 à 800000 tonnes d’arachide. L’unité de Bel Air à elle seule avait une capacité de trituration de 30 000 tonnes / mois et employait 400 travailleurs permanents et 700 à 800 saisonniers. Je fais table rase du savon et des milliers de tonnes de tourteaux particulièrement prisés par les pays scandinaves. Sans compter les nombreux gros porteurs qui faisaient des va-et-vient entre Dakar et l’intérieur du pays chargés d’arachide ou de ses produits dérivés. En lieu et place de tout cela, la Sunéor raffine, avec un personnel réduit à sa plus simple expression, de l’huile végétale brute importée du Brésil ou de l’Argentine à peu de frais. Il n’est quand même pas superflu de rappeler que la Sonacos a été bradée au Consortium Advens à 8 milliards de francs Cfa. Ce qui a soulevé à l’époque l’ire de certains observateurs qui estimaient la valeur de la Sonacos, avec ses équipements techniques et son patrimoine mobilier et immobilier, à au moins 100 milliards. Les heureux acquéreurs sont, semble-t-il, des amis de Karim Wade. Encore lui, toujours lui !

Ce texte est déjà long, mais je ne peux pas m’empêcher de relever cette autre contrevérité du président Wade. Il affirme que quand il est arrivé au pouvoir, « nous en étions à  300000 touristes environ (alors) qu’aujourd’hui, nous en sommes à plus de 1700000. » Quelle énormité ! C’est son ministre du Tourisme en personne qui va apporter un démenti cinglant à cette contrevérité. En prélude au Salon international du Tourisme prévu à Dakar du 28 au 31 mai 2010, M. Thierno Lo donne un point de presse (L’Observateur du 26 mars 2010). Après avoir passé en revue les « atouts indéniables » du pays en matière de tourisme, il révèle que « le gouvernement s’est raisonnablement fixé comme objectif d’atteindre 2 millions de touristes à l’horizon de 2020 ». La cause est entendue. Elle l’est encore plus si on considère la Note de conjoncture de février 2010 de la DPEE qui fait état d’une importante baisse de 18,8% dans les services de l’hôtellerie.

Un dernier mot, vraiment le tout dernier cette fois-ci, malgré les fortes tentations de continuer à confondre Me Wade et ses courtisans. Il est relatif au secteur de la santé. Selon notre démiurge, « les Sénégalais peuvent se soigner maintenant sans avoir à dépenser des sommes énormes pour se procurer des soins à l’extérieur ». Il ajoute, pour se faire plus convaincant : « J’ai investi plusieurs milliards dans des infrastructures sophistiquées pour moderniser le système. » Dans quelles structures sanitaires a-t-il investi ces milliards ? Ce vieillard étonne et n’est vraiment pas à une contradiction près : pour se faire opérer une seule cataracte il va à Paris, et passe le plus clair de l’année à envoyer des privilégiés de sa mouvance se faire traiter à coup de millions en Europe !

Notons aussi que, dans sa longue interview au quotidien national Le Soleil du 12 mars 2010, son bouclier le Pr Iba Der Thiam, toujours fasciné par la quantité au détriment de la qualité, nous assène  ceci : « Le budget de la Santé est proche de 15 %. » Ah ! Si les hôpitaux Le Dantec, Abbas Ndao, Ibrahima Niass de Kaolack, ceux de Tamba, de Matam, etc pouvaient parler ! Comme ils ne peuvent pas, je ferai parler à leur place le Pr Charles Moreau, chef de la clinique gynécologique de l’Hôpital Le Dantec, président de l’Association des gynécologues du Sénégal. Dans un cri de détresse lancé à une radio de la place le jeudi 25 mars 2010, il rappelle que la maternité de référence de Le Dantec, l’une des plus importantes de la sous-région, est en réhabilitation depuis cinq longues années et est encore loin d’être achevée ; que pour Tambacounda et Kédougou qui comptent 600000 habitants, il existe un seul gynécologue. Tous les chefs de clinique de cet important hôpital universitaire seraient fondés à lancer le même cri de détresse. Leurs confrères néphrologues l’ont fait dans un film projeté à l’occasion de la première journée de l’Association sénégalaise des hémodialysés et des insuffisants rénaux (le 1er août 2009). Il ressort de ce film que le Sénégal compte 12000 malades des reins dont 100 seulement suivent un traitement dans un seul service de néphrologie, avec 5 médecins néphrologues opérationnels, cinq unités de soins dont deux publics et 40 machines toutes localisées à Dakar. Le coût du traitement au Sénégal varie entre 750000 et 2 millions de francs par mois, soit au minimum deux séances hebdomadaires de 65000-75000 francs chacune. Cette séance est gratuite en Mauritanie et au Bénin et coûte 34000 en Côte d’Ivoire. Waaw, où sont les presque 15 % du budget injectés dans la Santé, si on considère surtout que tous les malades qui ne suivent pas le traitement sont voués à une mort certaine ?

Je pouvais continuer sur encore une dizaine de pages pour mettre à nu l’arnaque que constituent les chiffres de Me Wade et de ses tonitruants courtisans. Je reviendrai d’ailleurs sur ces lycées, collèges et universités, et ces 40 % du budget injectés dans l’Education nationale qu’on porte toujours en bandoulière. En attendant, mon ami Serigne Mbaye Thiam qui maîtrise parfaitement son sujet, a ramené bien des choses à leurs justes proportions.

Me Wade et tous les courtisans qui grouillent et grenouillent autour de lui pour maintenir leurs privilèges nous manipulent, nous mentent et pillent sans état d’âme nos maigres ressources. Les milliards qu’ils déclarent investir dans les différents secteurs garnissent pour une large part leurs comptes et leurs mallettes. Nombre d’entre eux sont des délinquants qui achètent des clés Usb à 97500 francs l’unité, réfectionnent un hôtel pour 26 milliards, affrètent un bateau-hôtel le temps d’une rose pour 8 milliards de francs, détournent d’importants fonds taïwanais initialement destinés à la réalisation de projets sociaux pour aller les loger dans des paradis fiscaux, etc. Pour ces graves forfaits et pour bien d’autres encore, ils doivent être balayés en 2012 et, le moment venu, sévèrement sanctionnés.

 

MODY NIANG, e-mail : [email protected]


[1]  Il faisait cette folle promesse quand il allait présenter ses condoléances à la famille de Serigne Moustapha Bassirou Mbacké disparu quelques jours auparavant.

[2]  René Dumont, Paysanneries aux Abois : Ceylan, Tunisie, Sénégal, Éditions du Seuil, 1972, pp.195-196-197.



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