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CETTE « AFRIQUE DES MALADIES TROPICALES ». (Par Ndiakhat NGOM)

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CETTE « AFRIQUE DES MALADIES TROPICALES ». (Par Ndiakhat NGOM)



L’ampleur de l’épidémie d’Ebola, lié aux difficultés des pays touchés, réveille de vieux réflexes qui fonderaient, d’après certains, les causes du sous-développement africain. Hegel a parlé d’un continent oublié par l’Histoire et l’Esprit universel, et dont les populations vivraient près de la nature. Le racisme zoologique de certains naturalistes, Louis Agassiz et Paul Broca (qui a donné son nom à la zone du cerveau « aire de Broca » affectée par les troubles du langage des malades de l’AVC), du XIXe siècle, a sécrété des études craniométriques et racialistes, très controversées. 


Elles ont tenté de prouver l’hypothèse de la relative petite taille du cerveau du type négroïde par rapport aux caucasien et mongoloïde (et du type féminin par rapport au masculin) pour expliquer la cause « structurelle » de ses difficultés multiformes. En fait, cet argumentaire pseudo scientifique visait davantage à légitimer les discriminations, au sens large (racisme, antisémitisme, sexisme), de leur époque. L’histoire des sciences montre en effet que celles-ci ont été souvent utilisées pour justifier des actes politiques et idéologiques. 


 Vu le drame médical, humanitaire et économique de l’épidémie d’Ebola de cette année, certains « afrophobes » agitent le spectre de  « l’Afrique des maladies tropicales » (accolé négativement, souvent, il est vrai, à la famine, aux guerres tribales et aux coups d’Etat), pour revenir à l’esprit biologisant du XIXe siècle, avec l’idée de « l’incapacité congénitale » des Africains. Or, que recouvre exactement la notion de « maladies tropicales »? 


II s’agit d’abord, des infections microbiennes spécifiques ou endémiques aux pays tropicaux. Ensuite, elle évoque les difficultés des politiques sanitaires des pays pauvres, liées aux conditions socio-écologiques favorables à ces infections. OMS la définie par les « troubles de santé majeurs des pays en voie de développement », et en a comptabilisé 7 (dont le paludisme et la maladie du sommeil). II est vrai que certaines zones africaines (asiatiques et mêmes sud-américaines), chaudes et humides, offrent des sites favorables à de nombreux agents infectieux. 


 Certaines espèces de singes, d’insectes et d’oiseaux y constituent de véritables  «réservoirs biologiques» pour des agents bactériens ou viraux non pathogènes pour elles. On parle alors «d’espèces commensales». L’homme lui-même «accueille» des bactéries utiles à sa digestion. Ces micro-organismes peuvent toutefois se révéler agressives pour d’autres espèces ou s’ils venaient à muter.  


 C’est probablement ce qui s’est passé avec Ebola (apparue dans la région des Grands Lacs, en 1976), et favorisée par une proximité forte (par la chasse) entre des populations forestières et des chauves-souris. Idem pour le SIDA (apparu dans les années 50), dont plusieurs formes, parentes au rétrovirus humain, existent chez des singes. II est admis que c’est la mutation de l’une d’entre elles qui aurait franchi la barrière spécifique pour contaminer l’homme. Quant au paludisme et à la maladie du sommeil, elles ne sont causées ni par des bactéries ni par des virus, mais par des protozoaires. Elles ont infecté l’homme par le biais de parasites, le Plasmoduim falciparum (pour le premier) et la Trypanosoma (pour le second).  


On oublie souvent de préciser (à dessein) que le paludisme n’est, à proprement parlé, pas une maladie tropicale, africaine. II a existé en Europe, en Asie et en Amérique. On l’a évoqué ailleurs. L’industrie pharmaceutique ne s’y intéresse guère, pour des raisons économiques. II est vrai qu’en 2003, un grand Institut, spécialiste des maladies infectieuses, a entamé le décryptage des génomes de l’anophèle et du parasite afin de maitriser leur cycle de développement. Parallèlement, l’université d’Oxford menait des vaccins expérimentaux qui sont restés, pour l’instant, non concluants. 


Mais les spécialistes de la santé sont formels : si une seule des trois premières firmes pharmaceutiques mondiales (américaine, anglaise et française) le désirait réellement, on ne parlerait plus de paludisme aujourd’hui. A titre illustratif, l’une d’elle a mis sur le marché, il y a quelques années, un médicament très efficace contre la stérilité masculine, dont l’investissement brut, ou les bénéfices générés, depuis, bouclerait très largement les recherches sur la malaria. Mieux, des études pharmaceutiques et médicales ont révélé que les investissements sur les maladies des pays riches (cancer, obésité, maladies neurodégénératives) sont 10 fois plus importants que ceux des pays tropicaux.  


En fait, l’idée de « l’Afrique des maladies tropicales » porte les germes d’un profond pessimisme poussant à l’abandon. Elle fonctionne comme une liaison mortelle, et véhicule un fort relent idéologique. La relation postulée est à la fois choquante et fausse, car elle enfourche l’idée ancestrale d’une Afrique engoncée dans la nature, et victime d’éléments peu évolués (virus, bactéries, protozoaires) de cette même nature, avec qui elle cohabite. Incapable de s’en   «s’arracher», son entrée dans l’Histoire serait, comme dirait l’autre, problématique. L’Afrique n’est pas que les maladies tropicales. C’est une définition déterministe et réductrice qui cache ses difficultés conjoncturelles réelles, mais pas forcément structurelles.


 II n’existe pas de fatalité. Le paludisme été éradiqué d’Europe, grâce à une bonne politique de santé et une campagne prophylaxique efficace. Ebola se guérit, par le traitement des symptômes (déshydratation, fièvre, diarrhées) par la réhydratation, l’apport de sang, la perfusion (enrichie au potassium, de sucres), jusqu’à la disparition du virus. Par conséquent, les gouvernements doivent encourager la culture d’un «esprit» hygiénique et civique, par le respect très scrupuleux de certains codes sanitaires, primaires et non onéreux (lavage des mains, pratique de sport, nourriture simple et « naturelle », milieu écologique assaini, etc.) pour faire reculer les épidémies. II n’y a pas de secret. Ce n’est pas un problème d’intelligence supérieure, mais juste celui d’un cadre de vie assaini. 


Le second élément à encourager est la culture d’un «esprit» scientifique, plus particulièrement dans les universités et les centres de formation, pour ensuite mener la vulgarisation chez les populations. II y a un cloisonnement du savoir, dans nos pays qui est très nocif. En 2004, le gouvernement français a organisé des cycles de conférences de vulgarisation du savoir, appelés  « université de tous les savoirs », donnés par des universitaires, sur l’ensemble du territoire, et destinés à toutes les couches de sa population. Cette « fête du savoir » était retransmise dans toutes les chaines culturelles.  C’est vrai : les scientifiques et les philosophes parlent volontiers du caractère universel de la science. Mais ils oublient d’évoquer le problème de sa réceptivité chez des cultures ayant une vision du monde souvent différente. 


Le cas des 8 agents de santé guinéens tués, en menant une campagne contre Ebola, est illustratif. Leur seul tort est d’avoir voulu prévenir contre la consommation d’un type de viande, chez des populations forestières. II en est de même pour les campagnes de vaccination ou d’espacement de naissances qui suscitent souvent réticences et désapprobation. N’évoquons même pas l’exemple assez pathétique de ce président africain qui pensait qu’une bonne campagne contre le SIDA passait par des rapports non protégés avec des mineurs (vierges). On a vu les résultats : 25 millions de sidéens africains, dont une bonne part, dans son propre pays. 

Les tenants de l’afro optimisme, comme Barak Obama, évoquent, à juste raison, des causes conjoncturelles, liées à la mal gouvernance. Ce n’est pas faux. La mise en place d’«institutions fortes », permettrait une vision prospective assez large, pour repenser le système de santé dans nos pays, dans sa globalité.  


*Professeur de philosophie et de sciences politiques.

*Ancien chargé de programme à Amnesty International.

*Ancien consultant à l’Unesco.

<88>[email protected]




3 Commentaires

  1. Auteur

    Shom

    En Septembre, 2014 (21:15 PM)
    Enfin un raisonnement intelec sur une situation: identification du problème; caractérisation origine .... Puis solution envisageable.Tous cela sans porte atteinte a la moralité de l'Africain que Nous et que resterons face a un problème qui nous concerne
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  2. Auteur

    L Africain

    En Septembre, 2014 (21:30 PM)
    a mon avis l ebola est un virus qui a ete par les americains pour se faire relancer et diminuer le taux de croissance en afrique.
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    Auteur

    Deep

    En Septembre, 2014 (22:12 PM)
    bon raisonement sauf dire q Obama est afro optimiste ca ct une grosse konnerie par contre. etonnant apres such a great article! good job though.
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