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[ Hommage ] De l’ombre à la lumière sur les pas du poète Papa Ibrahima Seck

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[ Hommage ] De l’ombre à la lumière sur les pas du poète Papa Ibrahima Seck

La diaspora sénégalaise a rendu un vibrant hommage à Papa Ibrahima Seck le vendredi 26 février 2010 à Sciences Po Paris à l’occasion du premier anniversaire du décès de ce digne fils du Sénégal. D’éminentes personnalités, parmi lesquelles le Professeur Madieyna Diouf, Maire de Kaolack, les Professeurs Albert Bourgi, Tom Amadou Seck, Mamadou Kamara, Hamidou Coulibaly et des amis et parents venus du Sénégal et d’ailleurs, Ndongo Diaw, Directeur Général de l’ARTP Sénégal et le juriste Thierno Guéye, ont magnifié les pages glorieuses de l’histoire de Papa Ibrahima Seck.

Du livre de la vie de cet homme multidimentionnel, je n’ouvrirai que la page de l’homme de Lettres.

Le poète Papa Ibrahima Seck est né en 1953 dans le Saloum dans une période d’effervescence poétique marquée au Sénégal par des écrivains de langue française comme Léopold Sédar Senghor, Birago Diop, Ousmane Socé Diop et Abdoulaye Sadji.

Le Saloum est aussi le pays du poète soufi Mame Khalifa Niass Ibn Abdoulaye qui a laissé plus de 250 manuscrits en langue arabe. Papa Ibrahima Seck, dans son adolescence pétrie de sagesse, avait des relations étroites avec la famille de ce poète soufi à Kaolack, très proche d’un autre grand érudit le Cheikh Al Islam Ibrahima Niasse.

Mais le Saloum, c’est avant tout le pays de Mame Mbossé, ancêtre divinisé, qui partage Sangomaar, capitale des génies protecteurs du Sénégal, avec d’autres ancêtres.

Sangomaar, du nom du premier recueil de poèmes de Papa Ibrahima Seck, est devenue, par le phénomène de l’érosion marine, une île coupée en deux par l’Océan Atlantique recevant en offrandes les eaux fluviales du Sine et du Saloum.

Sangomaar représente ainsi dans les croyances négro-africaines « le foyer à partir duquel prennent naissance et vers lequel convergent les relations complexes des Rab (génies protecteurs). » (Zempleni, J., 1966, 302-305)

Et tous les génies protecteurs de la Côte Ouest Atlantique, de Mame Coumba Bang de Saint-Louis du Sénégal à Mamy Wata de la Côte d’Ivoire, en passant par Mame Mbossé de Kaolack, sont des femmes.

Quoi de plus naturel que la figure d’une femme dans le parcours initiatique de Papa Ibrahima Seck en poésie ?

A chaque poète sa muse. De Juliette Drouet qui a fait fleurir les plus beaux vers de Victor Hugo à la défunte Fatou Gaye que son mari pleure dans un célèbre poème lyrique wolof, des femmes sont entrées sur la scène littéraire derrière de grands hommes de Lettres.

Amy Gaye est dans la lignée de ces femmes-remèdes, de ces femmes-ressources qui ont insufflé une âme à la plume des poètes.

Et elle le confirme bien, dans son long compagnonnage avec son époux Papa Ibrahima Seck.

Le premier poème de Sangomaar s’intitule : « Amy Gaye »

Dans la pureté  de ses sentiments le regretté poète met son épouse sur un piédestal.

Le poème commence par « Je te salue Amy à l’horizon du silence.. », un vers qui renvoie à l’Ave Maria, une prière de l’Eglise catholique adressée à la Vierge Marie : « Je te salue Marie  pleine de grâce (s)» ; la Vierge Marie que l’on retrouve aussi dans la Sourate Maryam du Saint Coran. Signe d’une pureté et d’une candeur de l’épouse de l’homme, certes ! Mais chez Pape Seck, Amy Gaye est aussi et surtout mystère.  

« Tu es un mystère ma forêt noire

Et sur ce mystère je bâtirai ma vie »

Plus qu’une épouse Amy Gaye était aussi une amie de Pape Seck ; une amitié nouée dans la ferveur. La langue wolof n’est pas loin de l’ossature de ce poème quand on sait que le mot wolof « xarit bi » (l’ami en français) et le mot « xarit wi », morceau détaché de quelque chose donnent l’idée d’une totalité, traduite dans une relation d’osmose entre Pape Seck et Amy Gaye. Cette amitié indéfectible entre le poète et sa muse est reformulée par un jeu de mots sur la sonorité : [« AMIE » et « AMY » étant homophones], Pape Seck écrit : « Je te salue amie à l’horizon du silence » renouant avec l’Ave Maria auquel nous avons déjà fait référence.

Ce serment de fidélité repose sur une profession de foi qui promène le lecteur de l’ombre à la lumière. Du poème Amy Gaye, on parcourt avec Pape Seck un long chemin jusqu’à l’orée du Parc de Sceaux. A l’orée du Parc, (titre du poème de la page 63 de Sangomaar), où Pape Seck écrit en épigraphe :

« J’ai porté ce poème en moi

Comme Marie son enfant

En hommage à la clarté du jour

La paternité  homogène du sens retrouvé »

Au Parc de Sceaux en 1990, Amy Gaye la femme mystère devient solarisée au sens que lui donne Mircea Eliade dans son Traité de l’Histoire des religions. (1989, Payot, Paris).

Un clin d’œil à la Flûte enchantée de Mozart révèle ainsi chez Pape Seck une acceptation volontaire de l’inconnu dans un esprit de confiance, puis un fort désir de partage et d’échange pour un enrichissement mutuel avec son Soleil.

Au-delà  du Parc de Sceaux, lisez à haute voix Pépite d’amour, poème Pape Seck, Sur le balcon de la nuit, (p. 34), vous comprendrez d’où lui vient la solarisation de son épouse Amy Gaye :

« Ton amour, cristal, est la seule vérité.

J’en veux à profusion, que m’importe la dose,

Pour fleurir la vie du plus beau jardin de roses.

Est-ce l’étoile, du jour la félicité »

Pépite d’amour (avril 2001).

Le soleil, la lune, le feu, l’eau, l’eau, l’air, les oiseaux, le temple et la terre interviennent à tour de rôle et parfois simultanément dans le cheminement poétique de Pape Ibrahima Seck.

« Comme chaque jour le soleil sur le ruisseau

La symphonie vespérale de la flûte enchantée

J’aime en cela ton regard ce regard mystère de ton âme bergère »

Ici, le Soleil fait corps avec l’âme bergère, comme le symbolise le personnage de Sarastro chez Mozart, pour écarter les dangers qui menacent le poète dans son parcours initiatique.

La figure de l’âme bergère refait surface dans un autre poème de Pape Seck dédié à sa grand-mère « Fatou Daraameh ».

Pour sa grand-mère Fatou Darameeh, il dira :  

« Quand le soleil éclaire le jour

Je revois mon enfance

A la croisée du monde

Se jeter

Sur ta camisole bigarrée de tendresses »

Et il ajoute à la fin du poème l’image de la femme-protection, la femme qui veille nuit et jour sur ses enfants avec une chaleur humaine qui rappelle bien Amy Gaye, la mère de ses enfants Bakary, Mamadou, Abdoulaye et Bara :

« Tu es la mère la douce mer

Qui berce la nuit des étoiles

Comme le berger la compagnie du soir »

Gossas, lieu de naissance et royaume d’enfance du poète, resurgit souvent dans ses poèmes.

En témoignent les poèmes « L’hymne au froment de mon enfance », « Faatu Daraameh », « Veillée d’enfance » et « Méditation (aux monuments aux morts de Gossas) » où le poète revient à ses racines africaines dans une Afrique mystique ; Cette Afrique de l’humilité où les monuments les plus solides sont érigés dans l’esprit des Humains.

Que ceux qui aiment les haïkus japonais de Bashô, de Buson, d’Issa et de Shiki lisent en silence Méditation, le poème de Pape Seck : (Sangomaar, p.34), ils seront conquis par la force du verbe de ce fils du Sénégal.

    « L’énergie des cendres est encore là

    Par la mémoire des temps

    Qui en fait un monument »

    Intime de la terre de Gossas, le poète Pape Ibrahima Seck habite un espace unique, la terre, avec plusieurs lieux de vie.

    De son village de Gossas, Pape Seck, comme le gardeur de troupeaux de Fernando Pessoa, « voit de la terre tout ce qu’on peut voir de l’Univers ». « C’est pour cela que son village est aussi grand qu’un autre pays quelconque » (Fernando Pessoa, 1960, Le gardeur de troupeaux, nrf, Poésie Gallimard, Paris, p. 50).

    En France, les villes d’Anthony, de Paris, de Cergy, de Nanterre, de Blois, de Tours, sont autant de lieux de vie qui ont marqué le poète. Pape Seck ne voyait pas dans Paris un coin du paradis comme le chantait Joséphine Baker. Son amour pour Paris lui permit plutôt de faire ressortir les paradoxes de la France, pays des droits de l’Homme, qui côtoie et banalise la misère de ses enfants. L’arrogance de l’abondance à côté de la misère dans le métro parisien est illustrée par un clochard qui s’endort gueule ouverte sur le quai

    Dans le poème Hypo-crise, (p. 29 de Sangomaar) ; le poète s’exerce à un jeu de mots avec le préfixe « hypo » du grec hupo « au-dessus, en deçà » exprimant la diminution et le mot « crise » associé sans doute à la crise des valeurs. On pourrait y voir un oxymore ; figure de style consistant à associer deux mots contradictoires. Mais en vérité, Pape Seck y exprime l’hypocrisie d’une société qui n’arrive pas à réduire les inégalités sociales dans la figure d’un démuni du minimum vital : le clochard du métro parisien.

    Humaniste, Pape Seck est partout chez lui. Dans le sillage de la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789, il plaide pour une réécriture de l’Histoire africaine.

    Le poème « Rendez-moi l’histoire » est dans l’héritage du Mouvement de la Négritude de Léopold Sédar Senghor, d’Aimé Césaire et de Léon-Gontran Damas dont le combat est toujours actuel : celui de la dignité humaine.

    A la rencontre de l’Afrique, Pape Seck visita le Zaïre, actuelle République Démocratique du Congo, le Togo et la Côte d’Ivoire avec un Carnet de lagune qui lui a révélé son amour de la nature. Au pays, de Mamy Wata, la Côte d’Ivoire, c’est par Le ballet des étoiles dans Un jardin de minuit, au détour de Cocody que le poète plonge dans un état d’extase mystique rappelant les sujets en transe du Ndëpp des Lébous et du vaudou aux Caraïbes.

    Nous ne sommes pas loin pas loin de Sangomaar, lieu de convergence de l’esprit des ancêtres négro-africains. Mieux, nous sommes au-delà de Sangomaar mais dans Sangomaar comme l’illustre le premier vers de Carnet de lagune : « Fais ton chemin Lagune et la paix avec toi ».

    La lagune n’est pas seulement une étendue d’eau de mer, comprise entre la terre ferme et le cordon littoral pour Pape Seck. Elle  a une âme de même que les forces telluriques qui l’entourent.

    Mais dans ses pérégrinations en Afrique, le poète sortait souvent de sa fusion avec la nature pour dénoncer l’injustice  sous toutes ses formes :

    Ainsi, dans son poème La rumeur de la campagne (Sangomaar, p. 24) il dépeint la misère qui frappe son pays, le Sénégal, avec une pointe d’optimisme dans la jeunesse pour les défis à relever :

    « et tu verras le jour

    Mon village affamé se lever à l’aube

    A l’aube la lueur germinale des moissons nouvelles »

    Pape Seck, en fin politologue, savait décrypter les mots-lueurs de politiciens corrompus, la potion magique des mots qui n’arrive pas à soulager les souffrances du peuple affamé.

    En homme libre, Pape Seck refuse « d’encastrer le réel dans la pénitence du dogme ».

    Son esprit alerte épouse la mouvance du réel avec la lucidité d’un Héraclite d’Ephèse, du « Panta rhei » grec, « Tout coule, tout change, on ne se baigne pas deux fois dans un même fleuve » dira le dialecticien.

    La technique poétique de Papa Ibrahima Seck suit le flux des eaux de ce long fleuve faisant la navette entre la rive de la poésie libre et la rive des sonnets.

    Dans son recueil de poèmes « « Sur le balcon de la nuit » publié à titre posthume en 2010, aux Editions L’Harmattan, », Papa Ibrahima Seck pratique les sonnets.

    Le sonnet est composé deux quatrains (strophe de 4 vers) et de deux tercets (strophe de 3 vers). Maîtrisant les subtilités des rimes embrassées et des rimes croisées, le poète, plus latin que francophone, montre qu’il savait exceller dans ce genre noble sur les pas des Romantiques et surtout des Parnassiens et des Symbolistes comme Théophile Gautier, de Banville, Baudelaire, Nerval, Le Conte de Lisle, de Heredia, Mallarmé…).

    Mais Pape Seck se démarque du principe théorique de « l’art pour l’art » de Théophile Gauthier, le maître des Parnassiens (Préface d’Albertus en 1835).

    Chez Papa Ibrahima Seck, le sujet n’est pas moins important que les mots et leur agencement. Son originalité a été de réussir la synthèse féconde entre la forme (école des Parnassiens et Symbolistes) et le fond (l’école des Romantiques avec Victor Hugo, Alphonse de Lamartine, Alfred de Vigny…)

    Le regard décapant du poète sur l’illusion d’une euphorie populaire à l’issue de l’alternance politique de l’année 2000 au Sénégal montre qu’il n’y a pas d’antinomie entre l’engagement politique et la recherche du beau dans la pratique des sonnets.

    Lisez la débandade (« Sur le balcon de la nuit » p. 23) à un analyste avisé de la vie politique africaine comme le Professeur Albert Bourgi, il vous dira de quel pays il s’agit.

                                               - LA DEBANDADE

                                   Et le ciel, peu à peu, s’éclaire d’horizon…

                  Le soleil, grand seigneur, se faisant annoncer,

                  Le monarque repu, par le peuple évincé,

                  S’embarque amer vers un refuge au diapason… 

                  Emportant famille, bagages et blason,

                  Sans mot d’adieu,  « merci ! », aux amis terrassés,

                  Lui, le maître, lâche les troupes désaxées.

                  Bergers et bétail à jeun migrent de saison.  

                      (Arrivent soudain dans la vie des heures sombres

                  Où  même s’enfuit la plus fidèle des ombres.)

                  Sans poumons, ils font de transhumance raison. 

                  D’un jet, sur leur passé composé, déversant

                  Quantité  d’immondice et de poison. Les rangs,

                  Sans honneur, chorale se font de trahison.

                                                            

Cet enfant du Saloum dont l’oreille musicale s’était familiarisée avec le chant des rimes du Ngoyaan (genre littéraire wolof du Saloum) n’est-il pas entrain de nous dire, comme le poète marseillais Frédéric Mistral, que c’est la forme qui conserve le fond des œuvres de l’esprit ?

Il est temps de conclure. Et c’est Pape Seck qui conclut de sa belle plume. Dans son poème « Lumière », (Sangomaar, p. 19), Pape Seck se cache en toute humilité dans la peau du sage pour nous parler de lui :

« La mort d’un sage

Célèbre la naissance de la sagesse

Car on ne reconnaît la valeur de la sagesse

Qu’après la disparition du sage

                                 Comme si l’esprit est l’allié de l’absence », Kinshasa, août 1987. 

L’œuvre poétique de Papa Ibrahima Seck est à la hauteur de l’homme : immense.

Sangomaar est certes le seul recueil de poèmes publié de son vivant. Mais aujourd’hui, sa veuve Amy Gaye et ses enfants sont entrés en littérature, en qualité d’ayant-droits, pour vivifier l’héritage littéraire précieux qu’il a légué. Onze recueils de poèmes de Papa Ibrahima Seck restent à publier. Quelle belle moisson !

Ils sont confiés  à notre frère et ami le sociologue Babacar Sall, Directeur de collection aux Editions l’Harmattan, un serviteur de l’Humanité qui, par son engagement citoyen et désintéressé, rend de grands services au Sénégal et à l’Afrique.

Arrive maintenant le moment de refermer cette page du livre de la vie du poète Papa Ibrahima Seck, réconforté par le Souffles de Birago Diop, qui m’assure que « Les morts ne sont pas morts ».

Daouda Ndiaye,

Docteur en Sciences de l’Education

Poète

(Alfortville, Val-de-Marne)



2 Commentaires

  1. Auteur

    Dof Bi

    En Décembre, 2011 (16:40 PM)
    Thiongou Demba Diaraafi Nguéene, baax na yaru na ! Yàlla na ko Yàlla fey !
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  2. Auteur

    Cascaseet

    En Février, 2012 (22:11 PM)
    je confirme ! Daouda est très original , il a l'esprit vif. Il est très discret. Et c'est là où réside sa force.



    Bu deewul dina falu ! Dundal dundal ba mu yàgg Diarafi Nguéne !

    Sa bàkkan bi gnéppa ko soxla !
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