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Contribution

Flux Financiers Illicites : Qu’en est-il exactement et que devrait-on faire concrètement ? (Par Dr. Thierno Thioune)

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Dr Thierno Thioune

Historiquement, les flux financiers illicites transfrontaliers (IFF) qui servent à dissimuler des activités illégales et à échapper aux impôts ne constituent pas un phénomène nouveau. Cependant, avec la mondialisation croissante des marchés financiers, leur importance économique et politique a considérablement augmenté[1].

Tout commence par une longue histoire de l'utilisation du terme « fuite des capitaux » et de la variété des concepts et des mesures qui ont été attachés à cette étiquette. C'est un point de départ essentiel car les estimations capitales de la proportion des flux illicites sont basées sur des méthodes développées pour estimer le volume de la fuite des capitaux. De plus, la notion de mouvement de capitaux s'est renouvelée plusieurs fois depuis qu'elle a été formulée pour la première fois par Kindleberger (1937). Maintenant, il existe une ambiguïté quant à savoir si la fuite de capitaux fait référence à des mouvements de capitaux à court ou à long terme.

Raymond Baker, en publiant en 2005 « le talon d'Achille du capitalisme : l'argent sale et la façon de renouveler le système du marché libre », a donné forme au sujet.

De quoi parle-t-on exactement ?

La question des flux financiers illicites est complexe et technique si on l’envisage sous les angles de la provenance, de la destination, de l’échelle, des modalités, des facteurs, des acteurs et des mesures réglementaires prises en réaction. 

La notion de flux financiers illicites doit être clairement définie, en adoptant une terminologie appropriée. En effet, les termes de flux financiers illicites et de fuite des capitaux sont souvent utilisés l’un pour l’autre mais les deux notions sont distinctes. La fuite des capitaux renvoie aux capitaux qui sortent d’un pays à la suite de conditions économiques jugées défavorables et peut comprendre une composante légale et illégale. Les flux financiers illicites, en revanche, peuvent sortir ou non d’un pays en raison des conditions économiques, mais impliquent l’illégalité, dans la façon dont les fonds ont été obtenus (par exemple, le produit d’activités criminelles), dont ils sont transférés (par exemple, la fraude fiscale) ou dont ils sont utilisés pour financer des activités dans le pays de destination (par exemple, le financement du terrorisme)[2].

Le Groupe de haut niveau des Nations Unies a adopté une définition claire et précise des flux financiers illicites, à savoir de l’argent gagné, transféré ou utilisé d’une manière illicite.

En raison de l'illicité, aujourd’hui, les flux financiers illicites ont souvent été identifiés comme un facteur contribuant à la crise financière mondiale de 2008 et à une source d'instabilité dans le système financier mondial.

Des lors, les éléments moteurs des flux financiers illicites sont :

  • les facteurs macroéconomiques (Déficits budgétaires, Inflation élevée et variable, Taux de change effectif réel surévalué, Taux de rendement réels négatifs, Croissance du PIB réel, Dette extérieur) ;
  • les caractéristiques structurelles (Croissance non inclusive (détérioration du coefficient de Gini ou creusement des inégalités), Libération du commerce en l’absence de contrôle, Réforme sans règlementation) ;
  • la gouvernance globale (Corruption, Climat des affaires, Economie souterraine, Instabilité politique).

Par conséquent, les flux financiers illicites ont pour effets, entre autres, d’épuiser les réserves de change, de réduire les recettes fiscales, d’annuler les apports d’investissement et d’aggraver la pauvreté. Ces sorties illicites de capitaux, qui portent atteinte à la primauté du droit, restreignent les échanges et aggravent la situation macroéconomique, sont facilitées par quelque 60 paradis fiscaux internationaux et des pays où la loi sur le secret bancaire permet de créer et d’exploiter des millions de sociétés déguisées, de sociétés écrans, de comptes fiduciaires anonymes et de fondations caritatives factices. A cela s’ajoute d’autres techniques utilisées telles que le blanchiment d’argent et la tarification de cession interne.

C’est pourquoi, l’agenda 2063 en vue d’assurer l’autosuffisance du continent à travers les objectifs de développements durables, dans son sous objectif 16.4, se fixe de réduire sensiblement, à d’ici 2030, les flux financiers illicites (…), compte tenu qu’ils touchent tant les pays industrialisés que les pays en développement.

En provenance d’Afrique, les flux financiers illicites sont devenus un sujet de grande préoccupation en raison de leur ampleur et de leurs effets négatifs sur le développement et la gouvernance.

D’après certaines estimations, ils pourraient atteindre 100 milliards de $US par an, soit près de quatre fois le montant de l’aide publique au développement (APD) que reçoit le continent. Mais en fait, ces estimations pourraient être en deçà de la réalité, puisqu’on ne dispose de données précises ni sur l’ensemble des transactions en cause ni sur tous les pays africains concernés[3].

Les obscurités des analyses ne permettant pas encore d’avoir des applications, notre démarche consiste précisément à jeter un regard sur la particularité de la sortie illicite des capitaux en rapport avec la croissance, le développement et la pauvreté du continent.

Au moment où l’Afrique devrait s'interroger sur l’éventualité de la généralisation d'une lutte commune contre la sortie des flux financiers illicites, pour en limiter les effets pervers, nous proposons des éléments de réponse sur le rapport entre l’ampleur des flux financiers illicites et les perspectives de développement du continent.

Les questions de flux financiers illicites demeurent préoccupantes : est-ce qu’une prise en compte convenable donnerait-il un signal réel de perspective d’une bonne gouvernance ??Au centre du débat de l’analyse des flux financiers illicites subsiste une question centrale : comment endiguer les flux financiers illicites ?

Les données préliminaires indiquent qu’en prenant rapidement des mesures pour freiner les flux financiers illicites en provenance de l’Afrique, on pourrait dégager d’importantes ressources pour financer les programmes de développement à court terme du continent.

Pour accélérer le processus de maitrise de la saignée de flux financiers illicites, il est essentiel d’adopter des lois, des règlements et des politiques favorisant la transparence dans les transactions financières. En outre, les pays africains doivent s’associer au G20 pour appeler à une plus grande transparence et un contrôle plus strict des banques internationales et des centres financiers offshore qui facilitent ces flux. Ces actions doivent être érigé en priorité au niveau des pays. Il devient donc impérieux et urgent, pour réaliser l’atteinte de ce double objectif que s’est fixé la communauté internationale, de s’orienter vers une triple voie de sortie :

  • Au plan international, aller vers une plus grande coopération internationale en matière fiscale pour endiguer l'augmentation des flux financiers illicites,
  • A l’échelle de l’Union Africaine, on devrait s’adresser aux institutions partenaires pour élaborer un régime du gel, de la gestion et du rapatriement des avoirs volés. Ce régime devrait prévoir la création de comptes séquestres gérés par les banques régionales de développement, qui prendraient en pension les avoirs dont l’origine illégale aurait été établie.
  • Au Sénégal comme au niveau national des pays africains pris individuellement, les flux financiers illicites mettent à mal la dynamique des composantes macroéconomiques comme l’épargne publique, les réserves en devises et le recouvrement de l’impôt. Cela a été préjudiciable à la transformation structurelle de notre pays, laquelle ne cesse d’emprunter à l’extérieur et de rembourser au titre du service de la dette. Cela a aussi maintenu la dépendance du continent à l’aide extérieure. L'expansion de l'assiette fiscale augmente les recettes publiques et est essentielle pour une réduction durable de la pauvreté dans les pays africains. Avec une aide publique au développement volatile, des investissements directs étrangers faibles, des prêts étrangers et des envois de fonds de plus en plus rares, il est clair que la mobilisation des ressources intérieures par les taxes est une source de revenus essentielle pour les gouvernements africains. La lutte contre l'évasion fiscale est une partie importante de cette initiative visant à accroître les recettes publiques et à réduire la vulnérabilité aux chocs. Le détournement de capital, l'évasion fiscale et l'évitement fiscal sont des problèmes de développement importants qui nécessitent une attention urgente.

 

Par Dr. Thierno THIOUNE,

Maître de Conférences Titulaire, Directeur des Etudes du CREFDES UCAD-FASEG-CREA


[1] (GFI, 2013a).

[2] Nations Unies, Commission économique pour l’Afrique, Pourquoi l’Afrique doit localiser, éliminer les flux financiers illicites et récupérer les capitaux

 



5 Commentaires

  1. Auteur

    En Mars, 2019 (10:29 AM)
    Merci Professeur

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  2. Auteur

    En Mars, 2019 (12:39 PM)
    Merci d'enrichir le débat et la reflexion sur un sujet d'une extreme importance pour nos pays où les ressources financières sont déjà rares!

    Ce serait bien de parler des auteurs de ces délits (politiciens et leurs acolytes en affaires, entrepreneurs vereux.....)afin qu'on puisse bien les identifier et circonscrire leurs actions néfastes pour nos economies.
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    Auteur

    En Mars, 2019 (18:37 PM)
    J’avais promis de revister l’article de Mr. Thioune sur la nature et la legalite des flux financiers transfrontaliers en general, et ceux emanant des pays d’Afrique en particulier.



    Je suis d’accord avec Thioune que les notions de flux financiers transfrontaliers (cross-border financial flows) et la fuite des capitaux (capital flight) font deux. Et avec la mondialisation des marches financiers et l’innovation financiere qui s’en est suivie, ces notions ont acquis uneplus grande importance politico-economique au fil des annees.



    La ou je ne suis pas d’accord avec lui c’est quand Mr. Tioune donne la peternite du concept de fuite des capitaux a Kindleberger pour avoir parle de movements de capitaux dans son ouvrage publie en 1937. D’autres avant lui, en ont parle dans les annees 1920 et meme avant ca. Par exemple, la cession de l’etat de la Louisiane en 1803 par la France aux Etats-unis au prix de 15 millions de dollars, soit un peu plus de 333 millions en dollars de 2019, representait aussi un mouvement de capitaux. Pareille pour l’acquisition de la Floride en 1819 a $5 millions de dollars a l’epoque verses a l’Espagne par John Quincy Adams.



    Il y a eu bien d’autres mouvements de capitaux avant ca. Il suffit de voir la nature des capitaux etrangers pour comprendre leur utilite. En general, il y a investissements directs etrangers (Foreign Direct Investments ou FDI) et investissements indirects etrangers ou investissements en portfeuille. Les investissements directs c’est quand des etrangers font des prises de participation au capital ou creent des entreprises dont ils assument le contrôle. Auchan, Casino, Total Senegal, Societe Nationale des Eaux du Senegal ou la SDE, et la Sonatel, sont des examples d’investissements directs etrangers. Ces investissements sont caracterises par des mouvements de capitaux francais au Senegal. Le rapatriement des benefices de ces societes etrangeres en Frances, represente aussi une autreforme de mouvement de capitaux hors du Senegal. Et il n’y a rien d’illegal dans ces transactions.



    D’autre part, les investissements en portefeuille sont dits indirects car l’investisseur ne contrôle pas l’investissement au meme titre que l’investissement direct. Un example, quand des investisseurs francais achetent des bons du Tresor senegalais, ou des bons de societes senegalaies comme la Sonatel, c’est juste comme quand les chinois achetent des bons du Tresor americain. Ce sont des investissements en portefeuille. Perfectly legal.



    La fuite des capitaux, comme l’a dit Mr. Thioune, renvoie aux capitaux qui sortent d’un pays, et generalement a la suite de conditions economiques defavorables ! Par example, quand les Etats-Unis et les autres membre du G20 ont pris des sanctions economiques contre la Russie a cause de son ingerence en Ukraine, les entreprises americaines ont liquide leurs investissements directs en Russie pour rapatrier les capitaux hors de la Russie. Quand l’Argentine a fait un defaut de paiement dans les annees 90, les investisseurs etrangers ne se sont pas fait prier. Quand la Turquie a engage un bras de fer contre les Etats-unis l’annee derniere, qu’est-ce qui s’est passe par la suite ? Trump a double les tariffe sur l’alluminium turc de 10% a 20%, et les taux d’interet a court-terme en Turquie ont flambe pour endiguer la fuite des capitaux ! Et comme une grosse partie de la dette turque est comme celle du Senegal, libellee en euros et en dollars, les avoirs exterieurs de la Turquie ont commence a fondre comme neige au soleil. La aussi, les investisseurs etrangers ont vu qu’avec la normalisation des taux d’interets americains, le service de la dette turque allait causer probleme, et ils ont commence a transferer leurs capitaux hors du pays. D’ailleurs, en finance, il y a le phenomene de « flight-to-quality or « flight-to-safety » ! C’est quand les investisseurs percoivent que la valorisation des actifs financiers d’un pays va probablement chuter, et en consequence ils commencent a anticiper cette chute en transferant leurs capitaux vers des lieux plus surs comme les Etats-Unis ou vers des abrits fiscaux (tax heavens) comme Bahamas et les iles Caimans. And that’s perfectly legal !



    Par contre, il y a aussi les flux illegaux a caractere de blanchiment d’argent sale (money laundering), surtout en provenance des pays d’Afrique. Ces mouvements de capitaux ont pris de l’ampleur ces dernieres annees. Mr. Thioune les a estimes a plus de $100 millions de dollars mais c’est beaucoup plus que cela. C’est dans l’ordre de $850 milliards a $1 trillion dollars ou 1.000 milliards de dollars par an. Ces mouvements illegitimes de capitaux portent prejudice a l’Afrique et aux africains. Des politiciens qui empruntaient des Ndiaga ndiaye, sont devenus riches du jour au lendemain, a tel point que leurs enfants conduisent des Lamborghinis pendant que les jeunes meurent en haute mer! Et c’est ca que nous devons combattre!









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    Auteur

    En Mars, 2019 (22:10 PM)
    Et je ne veux pas donner l’impression que les flux sont soit des Investissements directs ou indirects. Il y rn a d’aautres comme les proceeds from foreign bank lending ou from capital markets comme quand le Sénégal lance un emprunt en devises sur les marchés américains ou européens. Il y a aussi les capital flows émanant de l’aide internationale. Illicite capital movements ou même perfectly legal capital flows peuvent être détournés à des fins illégales. Des emprunts en devises peuvent être en partie détournés par nos soi-disant leaders.
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    Auteur

    Anirame

    En Décembre, 2019 (23:39 PM)
    Toutes mes félicitations Professeur, voues êtes une tête bien faite, le président Macky Sall a vraiment be soin des gens comme vous

    bonne continuation

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