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Garder le cap face aux turbulences (Par Seydina Alioune Ndiaye)

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Garder le cap face aux turbulences (Par Seydina Alioune Ndiaye)
Le passage actuel du Gouvernement à l'Assemblée nationale pour l'adoption du budget 2020 offre une fenêtre intéressante pour une lecture macroéconomique de la situation du pays, à l'aube du basculement à l'ère du budget programmes, nouveau paradigme de gestion des finances publiques axé sur les résultats et les moyens mis à la disposition des ministères. En effet, il peut sembler utile, dans le contexte macroéconomique global, de donner du sens, d'apporter des pistes d'éclairage et de fournir des clefs de décryptage qui justifient la portée économique de la vision du Chef de l'État.

De prime abord, l'année 2019 s'achève sur un contexte de guerre commerciale sino-américaine et le "coup de froid" attendu sur l'économie mondiale et les taux d'intérêt en 2020 n'est pas une énième manifestation des changements climatiques mais bien la conséquence des tensions commerciales susmentionnées. En effet, celles-ci ont entraîné un fort ralentissement des volumes d'exportations, ce qui a pesé sur la croissance mondiale et obligé les banques centrales à abaisser leurs taux.

La situation pourrait toutefois se débloquer en 2020, puisqu'à l'heure d'écrire ces lignes, un possible accord commercial partiel a été évoqué par les négociateurs, même si cela ne devrait avoir que peu d'effets à court terme, car il faudra du temps pour restaurer la confiance. C'est la raison pour laquelle, le FMI a abaissé ses prévisions pour la croissance mondiale à 3% pour 2019, soit son plus bas niveau depuis 2009, et la Commission Européenne a fait de même pour la zone euro, avec une croissance désormais estimée à 1,1% pour 2019, soit son plus bas niveau depuis 2014.

Pour 2020, ces deux institutions tablent sur une croissance en dessous du potentiel. L'heure n'est donc pas à la fête, mais il n'y pas de quoi s'alarmer non plus car, face à ce ralentissement conjoncturel, les principales banques centrales ont abandonné leurs projets de normaliser leur politique monétaire au profit d'un positionnement plus accommodant. Ainsi, la Réserve Fédérale américaine a procédé à trois baisses de taux en 2019, la BCE a abaissé son taux de dépôt à -0,5% et réactivé son programme de rachats d'actifs, et nombre de banques centrales émergentes ont également abaissé leurs principaux taux directeurs. D'un point de vue économique, le retour à une politique monétaire plus accommodante devrait permettre de compenser en partie l'effet de la guerre commerciale et d'éloigner le spectre de la récession au-delà de 2020.

Les escarmouches de cette rivalité sino-américaine ne seront pas sans conséquence pour l'économie mondiale – car la Chine en est un des moteurs par sa demande intérieure – et surtout pour l'économie africaine, qui est encore au stade d'une commoditisation primaire, c'est-à-dire d'une économie exportatrice de matières premières brutes et importatrice de produits finis et de biens de consommations.

Le ralentissement probable de la croissance de la demande intérieure chinoise pourrait avoir des répercussions sur le carnet de commandes de matières premières africaines et, ce faisant, davantage fragiliser l'économie africaine dans la mondialisation par une contraction du financement du développement des infrastructures. Car, faut-il le rappeler, l'Afrique est à un moment décisif de sa trajectoire de développement : l'horizon des ODD de 2030 se rapproche à grande vitesse de même que l'échéance de l'Agenda 2063 de l'Union Africaine.

L'un des enjeux majeurs de l'économie africaine reste l'ODD 9, qui promeut les infrastructures, l'industrialisation et l'innovation, où l'Afrique accuse un retard criard – moins de 10% des objectifs définis par les Nations unies, selon l'OCDE, seront atteints pour l'horizon 2030, c'est-à-dire dans 10 ans !À la racine du mal, la question du financement reste cruciale. Les besoins en matière d'infrastructures sont chiffrés à plus de 100 milliards de dollars par an, comme l'a récemment rappelé le Chef de l'État lors du Forum de Dakar sur la dette publique et le développement durable tenue à Diamniadio le 02 décembre dernier. Le consensus issu du Forum de Dakar a porté, à juste titre, sur les fameux critères de convergence, déficit budgétaire inférieur ou égal à 3% et un ratio dette/PIB maximal de 70%,  qui sont des contraintes objectives à lever en zone UEMOA.

En ce qui concerne le Sénégal, stratégiquement quatre défis majeurs vont structurer son économie à l'horizon 2050. Premièrement, le défi démographique : 72% des 16 millions de Sénégalais ont moins de 35 ans, défi majeur en termes de création d'emplois stables quand 150 000 jeunes, chaque année, sont des primo-accédant au marché du travail, dont 6% seulement sont formés, ce qui pose avec acuité la problématique de l'adéquation de la formation au regard de l'offre d'emploi.

Deuxièmement, le défi majeur de l'économie sénégalaise est celui d'une bonne gestion des recettes issues du pétrole et du gaz, en évitant ce qu'on désigne communément par la malédiction du pétrole. Le Sénégal doit et peut relever ce défi pour éviter une longue période de tensions et de troubles intérieurs, car d'ores et déjà la contestation souvent injustifiée d'une partie de la classe politique appelle l'impératif d'une gestion efficiente des futures retombées pécuniaires du pétrole et du gaz pour une redistribution équitable des fruits de la terre à chaque citoyen Sénégalais.

Troisième défi auquel fait face notre pays : le péril terroriste avec la chute déjà entamée, me semble-t-il, de l'État malien et les nombreuses déflagrations possibles, directes et immédiates sur l'économie sénégalaise. Rien qu'à titre d'exemple, avec l'arrêt du chemin de fer sur le corridor Dakar-Bamako et dont les pourparlers pour la reprise des activités butent sur le climat géopolitique instable côté malien, les 89 312 camions maliens traversant chaque année le Sénégal dégradent si rapidement les infrastructures routières que le Fonds d'Entretien Routier Autonome (FERA) a urgemment besoin d'environ 50 milliards de F CFA pour garantir la qualité des routes, compte non pris des externalités négatives comme la congestion du Port de Dakar ou les chiffres alarmants de l'accidentologie routière.

Le quatrième et dernier défi auquel le Sénégal fait face, de mon point de vue, est le défi universel du changement climatique. A titre illustratif, rien que la hausse du niveau de la mer de 1 mètre, scénario optimiste, pour un pays comme le Sénégal avec 700 km de côte maritime, induirait de graves dangers sur le maillage territorial avec l'effacement prévisible de plusieurs villes côtières et les mouvements de population qui s'en suivront. Face à ces défis cruciaux, la vision du Chef de l'État matérialisée dans le PSE est la bonne. En effet, le consensus macroéconomique reconnaît l'impulsion de la nouvelle dynamique de croissance économique et la consolidation du cadre macroéconomique, avec un taux de croissance du PIB d'une moyenne de 6,6% au cours de la période 2014-2018, contre 3% entre 2009 et 2013. En effet, la croissance a été principalement tirée par la consommation, les investissements et les exportations – en moyenne 9% par an, même si cette progression demeure faible en comparaison avec les pays références. Il y a lieu de reconnaître que cette faiblesse semble trouver sa justification dans le degré primaire de la sophistication des produits exportés et c'est ici la cible de la transformation structurelle de l'économie, axe majeur du PSE.

L'inclusion sociale et l'équité territoriale ont été des marqueurs forts de la réussite qui a accompagné le PSE, à l'instar des programmes comme PUMA, PROMOVILLES, les Bourses de sécurité familiale, PUDC, entre autres, qui ont été des soupapes de filet social pour ne pas laisser sur le bord du trottoir des personnes vulnérables. Il faut les maintenir et les approfondir en en corrigeant les éventuels écueils de pilotage.

En somme, le PAP 2 2019-2023 devra fast-tracker le PSE pour l'inscrire dans une dynamique d'accélération de la transformation structurelle de l'économie pour atteindre l'émergence économique et sociale en 2035, l'émergence d'une économie prospère, inclusive et résiliente face aux chocs du monde extérieur. C'est ici tout le sens de l'approche 5-3-5, 5 initiatives, 3 programmes et 5 accès universels qui, curieusement, recoupent pour l'essentiel les 17 ODD édictés par les Nations Unies.

Ce contexte global, ces défis et enjeux et les réponses pertinentes que le Gouvernement est en train d'y apporter, sont à mon avis, les seuls invariants de la boussole qu'il faille tenir, nonobstant les vociférations politiciennes et les polémiques stériles.

2020 risque d'être une année de fortes turbulences et il faudra tenir le cap.

Seydina Alioune NDIAYE

Économiste,

Membre du Comité scientifique du Club Sénégal Emergent - CSE



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