[ Contribution ] Hommage aux naufragés du Joola

1-

Seule, au fond de sa case, sur un lit de paille,
Vêtue de tristesse et de mélancolie,
La jeune veuve pensait à la nouvelle vie
Qu’elle devra mener comme on livre une bataille.

Son visage, telle une rivière intarissable,
Violente, orageuse, et assourdissante,
Se réfugia dans les paumes de ses mains tremblantes
Quand ses deux fils entrèrent, tous tachés de sable.

Leurs cœurs assombris alors s’embrassèrent
Et dans une compassion silencieuse,
Leurs esprits, en réunion, enfin trouvèrent
La flamme qui éclairera leur vie ténébreuse :

La jeune mère partira pour Dakar, la capitale.
Elle laissera, demain, derrière elle,
Sans remords mais avec des pleurs, sa terre natale
Et sa raison de vivre, sous tutelle.

2-

Le lendemain donc le Joola amena,
Cette jeune femme décidée, à sa terre promise,
A une souffrance moindre que là-bas,
Son village, si loin de son entreprise.

Elle s’installa chez la petite sœur de sa mère
Puis, fatiguée de ce pénible voyage en mer,
Dormit comme un loir
Attendant le jour de gloire.

3-

Le soleil se leva
Et toujours aussi brillant
Illumina déjà
Dakar, toujours bruyant.

Mais la jeune femme s’était levée aux aurores
Car, dans son cœur, l’espérance qui s’y trouvait
N’avait guère fermé les yeux sur son triste sort
Qu’inlassablement son âme combattait.

Point de rires mais pleins de sourires,
Elles allèrent, sa tante et elle, par ce matin,
Affronter la terre inconnue à conquérir
Qui ne donnait rien gratuit tel un mauvais lutin.

Maison après maison sa tante professa
Les qualités ménagères de sa nièce,
Le mot « bonne » ne valant guère une pièce,
Quand quelqu’une, à leur désir, acquiesça.

4-

Ainsi, des jours passèrent
Puis des semaines, puis des mois
Qui, à petit feu, blessèrent
Son espoir par toutes les flèches du carquois.

C’était là le combat d’un espoir renaissant
Contre des flèches renaissantes,
Le duel entre la pente
De l’enfer et la généreuse toute vêtue de blanc.

5-

Mais ce jour inévitable devait arriver,
Le jour où elle se devait de décider
De rebrousser la chaussée
De retourner d’où elle venait,

Aux terres de ses ancêtres
Là où se trouvent ses racines
Là où elle a vu naître
Ses fils indignes de courber l’échine,

Là-bas, dans le lointain Vélingara
Qui danse aux rythmes du diémbé,
Du tam-tam frénétique du Diola
Qui ne marche que la poitrine bombée.

Sa paye reçue cet après midi
Ajoutée à ses économies
Firent une somme d’argent assez modeste
Pour qu’elle vive loin de la peste
Avec ses deux fils dans son cher pays.

6-

Le bateau quittait le port sous les étoiles
Et, rayonnant, perçait la nuit
Tel le soleil, dans les cieux, luit
Par un midi les sculptures et les toiles.

La jeune femme presque comblée,
Parmi une forêt de mouchoirs de toutes les couleurs,
Parmi des cris, des rires, des sourires, et des pleurs,
Ne vit sur le quai qu’une tante troublée.

Le Joola s’enfonça alors dans l’obscurité
Rejoindre sa destinée au fond du gouffre amer
Eteignant avec lui la vie de la jeune mère
Comme la lune éteint le ciel pour l’éternité