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[ Contribution ] L’Agriculture et le monde rural : L’Etat avoue ses limites ! Les collectivités locales à la rescousse ?

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[ Contribution ] L’Agriculture et le monde rural : L’Etat avoue ses limites ! Les collectivités locales à la rescousse ?

Le Président de la République a encore surpris son monde en déclarant que la GOANA n’avait pas produit les résultats qu’il en attendait. Pourtant il a déjà fêté en grandes pompes, et malgré la controverse, la réussite de cette grande offensive pour l’abondance alimentaire. Pire il a fait cet aveu au même moment où un discours très élogieux sur l’opération venait de lui être lu par le Président des élus ruraux, lui renouvelant la totale satisfaction des paysans du Sénégal. « Nous n’accepterons pas que d’autres pays viennent nous copier cette idée géniale et la mettre en œuvre chez eux » avait renchéri M. Alé LO dans son adresse au Chef de l’Etat. Curieux !

Bref, le Président n’est pas content de sa GOANA, et ceux qui l’ont induit à fêter des performances qui n’existent pas sont interpelés. En expliquant l’échec par le fait que malgré la cinquantaine de milliards dépensés, il n’a pas vu un seul paysan riche à ce jour, le Chef de l’Etat, en même temps, met en cause implicitement les nombreux programmes précédents initiés par ses gouvernements dans le secteur : Maïs, Manioc, Bissap, Sésame, Tabanani, REVA.

Comment en est-on arrivé là ? Peut-on éviter ces déceptions qui surviennent après que des milliards, précieux pour l’économie, ont déjà été dépensés indûment ?

Pour le président, il n’y a pas de doute, ce sont les non (ou faux) paysans, lovés dans les filières, qui ont capté cette manne financière destinée aux producteurs. Il vient confirmer la frange des paysans qui avaient récusé toute participation à la fête de la GOANA car ils attendaient encore de voir les retombées. Eux et leurs organisations furent taxés d’opposants masqués et mis en quarantaine par les pouvoirs publics et leurs alliés du secteur. Ce fut la promotion des laudateurs, et le début du bras de fer avec le CNCR qui aboutira à la lettre circulaire du Ministre de l’Agriculture mettant fin à toute coopération avec cette organisation paysanne accusée de sédition.

Il y a deux enseignements à tirer de cette réalité :

    1. Les politiques initiées d’en haut se sont soldées par des résultats mitigés, malgré les milliards, et quelles que soient la générosité et la bonne volonté présidentielles qui les imprègnent.
    2. La mise à l’écart du CNCR en raison de ses jugements critiques, au profit de syndicats récemment créés, n’a pas pu garantir le succès aux décisions étatiques sur le secteur.

Le premier enseignement était le point de départ de la longue série de réformes opérées en profondeur dans le secteur de 1984 avec la NPA, à 2001 avec la dissolution de la SONAGRAINES. Elles consacraient le désengagement de l’Etat, la responsabilisation des producteurs, et faisaient des organisations paysannes des interlocuteurs valables de l’Etat dans la gestion des politiques agricoles. Le régime de l’alternance n’a jamais accepté ce jeu d’équilibre et s’est singularisé dans des logiques décisionnelles aux antipodes de l’esprit de concertation et de compromis. Le CNCR, la seule organisation paysanne qui a vécu et co-animé toute cette période de réformes structurelles, a eu du mal à s’accommoder de cette posture de remise en cause unilatérale des consensus qui ont façonné le secteur. Pour traiter l’attitude peu coopérative de ses responsables, l’Etat a entrepris d’affaiblir ce syndicat, en suscitant d’abord des dissensions internes, puis en parrainant la création de 6 autres plateformes paysannes de substitution, pour simuler cette concertation qui s’impose. Les élus locaux participeront à ce jeu manichéen, au lieu de produire des politiques locales, actives et alternatives.

Au vu des résultats actuels, force est de reconnaitre la nécessité et l’urgence de changer de vision et de méthode pour gérer ce secteur complexe. En commençant par redistribuer les prérogatives aux acteurs, et assumer les conséquences de leur liberté d’appréciation et de position. C’est le point de départ vers une révolution dans ce secteur, si ce n’est la « révolution rurale » elle-même. 

En décidant « d’organiser » les paysans pour lutter contre les intermédiaires, on aborde mal le problème. Il est plus simple pour l’Etat, de laisser l’initiative aux communautés et collectivités à la base pour définir les politiques locales, et de les doter de moyens conséquents pour réaliser leurs objectifs concertés. Elles répondront systématiquement de la meilleure utilisation des ressources publiques qui leur sont allouées pour relever, à partir des territoires, les défis de l’emploi des jeunes, du développement des exploitations agricoles, de la transformation des produits alimentaires, et de la substitution aux importations céréalières. C’est une autre vision de la décentralisation qui ne considère pas les territoires comme des objets d’interventions pour des appareils de projets conçus et établis à Dakar, à la recherche d’une participation locale, pour dépenser leurs budgets énormes comparés à ceux de nos municipalités pauvres. Lorsque les 370 communautés rurales seront dotées chacune d’un budget minimum de 1 milliard, l’Etat pourra se tourner de plus en plus vers les élus locaux pour trouver des solutions aux problèmes de l’Agriculture et du Pays. Ce n’est rien comparé aux budgets des multiples et éclatés programmes d’appuis à la décentralisation et de lutte contre la pauvreté, qui échappent totalement au contrôle des communautés bénéficiaires.

C’est à l’échelle des territoires que les enjeux et les risques sont mieux perçus, les identités plus précises, les objectifs mieux ciblés, les processus participatifs et le pilotage plus aisé. La capacité d’imagination, de concertation et d’organisation des élus et populations, y garantit la qualité des projets sur lesquels l’Etat devra les inviter à passer contrat. Par cette approche territoriale, l’Etat central assure mieux ses fonctions de coordination des actions, et de régulation du processus de développement national. Cette vision implique de sortir de la logique actuelle de décentralisation fondée sur la mécanique des « 9 compétences transférées » et des maigres « budgets de transfert » qui empêchent les collectivités de s’affranchir de la tutelle de l’Etat. L’acuité du besoin amène les élus ruraux à obéir aux mots d’ordre de leurs partis, aux desideratas des projets d’appuis et aux exotismes des coopérations décentralisées, plutôt qu’aux intérêts et priorités de leurs administrés.

Enfin il faut considérer les implications de l’idée d’organiser pour nos paysans un voyage d’étude au Canada en juin, pour s’inspirer de l’expérience québécquoise d’organisation professionnelle agricole. Car, sait-on seulement que là-haut, quand les paysans ne sont pas contents des politiques, ils coupent les routes, déversent du lisier de porc dans les avenues, ou jettent des œufs pourris sur le crâne des officiels, sans être brutalisés par la police ou harcelés par la DIC. C’est cela l’originalité de cette expérience qui charme chez nous. Est-on vraiment prêt à la copier ? Si non ce sera une simple villégiature offerte gracieusement à des leaders syndicaux, dont la plupart ont déjà fait, ou presque, le tour du monde, et pour certains plusieurs fois.

Si donc vraiment nous voulons la révolution rurale, en voici les munitions, mais attention, certaines peuvent éclater entre nos mains, heureusement sans pouvoir ni tuer ni amputer. Alors, ……

Faap Saly FAYE

Ingénieur Agronome



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