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[ Contribution ] L’intellectuel a-t-il une responsabilité politique ?

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[ Contribution ] L’intellectuel a-t-il une responsabilité politique ?

« Tous les hommes sont intellectuels ; mais tous les hommes ne remplissent pas dans la société la fonction d’intellectuels » (Antonio Gramsci, Cahier 12, paragraphe 1). La valorisation du citoyen ordinaire et de son action au service de la démocratie et de la paix durable est la marque de la pensée gramscienne. La position tranche avec la diffusion au sein de l’espace public – au moins dans le cas sénégalais, d’une attitude conjuguant hémiplégie intellectuelle et élitisme politique.

Cette vision a ainsi entraîné une interprétation unilatérale et appauvrissante de la pensée de Gramsci : réduction de l’hégémonie à l’action des « appareils idéologiques d’Etat » ou à une « intériorisation de la domination par une frange de la classe politique », assimilation de l’intellectuel organique à un porte-parole d’une élite au pouvoir. L’hémiplégie intellectuelle dont je parle, et qui consiste à flatter toute opposition et société civile politique et à dénigrer systématiquement tout pouvoir légitimement constitué, est aujourd’hui « l’épizootie » la plus redoutable !

L’intellectuel doit s’engager. Il a une responsabilité politique au sens Athénien du terme .Il doit oeuvrer à déconstruire l’idéologie de la classe dominante, si celle-ci entrave les droits et libertés des populations. L’intellectuel doit donc « dessiller les yeux » de la masse afin de rendre possible la lutte politique. Les intellectuels n’ont, pas plus que les autres citoyens, de vocation politique. Leur activité spécifique, pour la plupart d’entre eux, n’a rien à voir avec la politique et doit se confondre au rôle de sentinelle de la paix et de la démocratie.

Parlant du rôle de l’intellectuel, Paul NIZAN, déplore leur silence coupable et mesquin, ils n’avertissent pas, dit-il. Ils ne dénoncent pas. Ils n’alertent pas. Ils ne bougent point. Ils restent du même côté de la barricade. Tous ceux qui avaient la simplicité d’attendre leurs paroles commencent à se révolter, ou à rire. (Paul Nizan, Les Chiens de garde, réédité par Agone, Marseille, 1998.)

C’est donc dire que, pendant longtemps, les intellectuels engagés de la trempe de SARTRE, ZOLA, etc., ont pris la parole et se sont vus reconnaître le droit de parler en tant que maître de vérité et de justice, mais également comme représentant de l’universel. Etre intellectuel, s’est être un peu la conscience de tous. Il y a bien des années qu’on ne demande plus à l’intellectuel de jouer ce rôle.

Les intellectuels sénégalais pour la plupart ont pris l’habitude de travailler non pas dans l’universel, l’exemplaire, le juste et le vrai pour tous, mais dans des secteurs déterminés, en des points précis où les situaient soit leurs conditions de travail, soit leurs conditions de vie, et ils ont rencontré là des problèmes qui étaient spécifiques, non universels, différents souvent de ceux des masses. C’est ce que Michel Foucault appelle intellectuel spécifique par opposition à l’intellectuel universel. (Michel Foucault, Dits et écrits II, 1976-1988, Gallimard, Paris, 2001).

Dans un autre registre, nombre de travaux historiques ont montré le rôle qu’ont joué les think tanks dans la production et l’imposition de l’idéologie néolibérale qui gouverne aujourd’hui le monde ; aux productions de ces think tanks conservateurs, groupements d’experts appointés par les puissants, nous devons opposer les productions de réseaux critiques, rassemblant des « intellectuels spécifiques » (au sens de Foucault) dans un véritable intellectuel collectif capable de définir lui-même les objets et les fins de sa réflexion et de son action, bref autonome.

Cet intellectuel collectif peut et doit remplir d’abord des fonctions négatives, critiques, en travaillant à produire et à disséminer des instruments de défense contre la domination symbolique qui s’arme aujourd’hui, il peut par exemple soumettre le discours politique dominant sous nos tropiques (nationalité ou non des assises de l’opposition) à une critique logique, mais aussi à l’argumentation ; il peut aussi le soumettre à une critique sociologique, qui prolonge la première, en mettant à jour les déterminants qui pèsent sur les producteurs de ce discours.

Mais il peut aussi remplir une fonction positive, en contribuant à un travail collectif d’invention politique.

Toute la pensée politique critique est donc à reconstruire, et elle ne peut pas être l’œuvre d’un seul, maître à penser livré aux seules ressources de sa pensée singulière, ou porte-parole autorisé par un groupe ou une institution pour porter la parole supposée des gens sans parole. C’est là que des intellectuels collectifs que nous sommes, peuvent jouer ce rôle, irremplaçable que personnes d’autre n’assumera à notre place. (Pierre Bourdieu, Contre-Feux 2, Raisons d’agir, Paris, 2001).

La théorie de la dualité de pouvoir élaborée avec succès par le Front des Citoyens pour la Défense de la République (FCDR), fonctionne exactement comme une boîte à outils. Il faut que cette théorie serve à élucider les enjeux du moment, et à comprendre les mécanismes de renversement ou de déstabilisation d’un pouvoir dont la légitimité n’est plus à l’ordre du jour, du fait de son maintien sans équivoque. Cette théorie de la dualité doit fonctionner comme une lanterne accrochée non pas à l’arrière, mais au devant d’un véhicule, pour éclairer sa marche en avant (Lao Tseu), contrairement à la conception saugrenue de certains journalistes mercenaires Bolloristes , qui sont allé trop vite en besogne, en demandant notre audition.

Mais en quoi consiste la dualité du pouvoir dont on parle depuis quelques temps, dans ce contexte politique marqué par la tenue d’Assises non inclusives de la Population, de la Majorité, de l’Opposition et de la Société Civile. Leur succès et éclat, comme le dit l’autre, ne seront garantis qu’avec la présence de tous. C’est là un fait dont il faut saisir la portée avant toute tentative de dénigrement hasardeux et de prestidigitations inopportunes du courant Bolloriste qui prend forme à travers ses ramifications dans la presse rebelle à tout esprit critique ! Il est impossible d’aller de l’avant, de cerner les contours de cette imposture sans l’avoir compris.

Les partisans des « Assises » doivent à mon humble avis, corriger les vieilles « formules » du bolchévisme mal tropicalisé, car si elles se sont révélées justes dans l’ensemble, leur application concrète s’est révélée différente selon les pays.

La dualité du pouvoir veut dire qu’à côté des institutions républicaines et légales, s’est formé un autre gouvernement (gouvernement des assises), faible, embryonnaire, mais qui n’en a pas moins une existence réelle, incontestable. Quelle est la composition de classe de ce deuxième gouvernement ?

La haute bourgeoisie, l’élite politique et intellectuelle. Quel en est le caractère politique ?

C’est une dictature révolutionnaire, c’est-à-dire un pouvoir qui s’appuie directement sur un coup de force révolutionnaire, sur l’initiative directe, venant d’en bas, des masses populaires, telle que définie dans ses fameux termes de références et non sur une loi édictée par un pouvoir d’Etat centralisé. Ce pouvoir est tout différent de celui qui existe généralement dans une république démocratique.

C’est une chose qu’on oublie souvent, à laquelle on ne réfléchit pas assez, alors que c’est là que réside le problème (Coow laa ngok) ! Ce type de pouvoir est comparable à la Commune de Paris de 1871, type dont voici les principales caractéristiques :

1) la source du pouvoir n’est pas la loi, préalablement discutée et votée par un Parlement, mais l’initiative de membres de l’opposition radicale, pour la plupart, initiative directe, locale, pour employer une expression courante ;

2) la police et l’armée, institutions au service du peuple, sont remplacées par une stratégie d’armement contestataire et subversif du peuple tout entier. Maintenant devons nous laisser le ver dans le fruit durant tout le temps des assises pour pouvoir se convaincre du degré de pourriture de celui-ci ? En tout cas le leader politique qui a publiquement soutenu « qu’après les assises, wade doit de soumettre ou se démettre », ne nous inspire pas confiance. On peut être contre la politique Wadienne, la gestion Wadienne, le système Wadien, la famille Wade, mais nul n’a le droit de s’autoproclamer représentation nationale susceptible de créer des dysfonctionnements.

Notre problème avec ces initiateurs des assises, ces remarquables leaders qui ont beaucoup donné à leur pays, est que nous redoutons l’usage de moyens illicites à des fins politiques. Qu’ils nous le concèdent ! Si demain nous recevons de la part de ces derniers, toutes les garanties de stabilité, de paix et de sécurité pour notre cher Sénégal, nous partagerons sans conteste avec eux et les tenants du pouvoir actuel, notre vieux projet d’« assises citoyennes », qui date de 2006, dont la boite noire a été volée et vendue. Des assises citoyennes couronnées par un Condensé des urgences Citoyennes, constituent la seule alternative pour sortir notre pays de cette zone de turbulence et raffermir les cœurs et les esprits ! La politique est d’abord citoyenne avant d’être partisane, avons-nous l’habitude de dire. Elle est partout.

Donc, nous n’avons pas peur d’un quelconque étiquetage arbitraire ou malveillant. On ne peut lui échapper en se réfugiant dans le royaume de l’art pour l’art et de la pensée pure, pas plus d’ailleurs que dans celui de l’objectivité désintéressée ou de la théorie transcendantale. L’intellectuel doit fournir ce que l’anthropologue Wright Mills appelle des « démasquages » ou encore des versions de rechange, à travers lesquelles il s’efforcera, au mieux de ses capacités, de dire la vérité et toute la vérité.

L’intellectuel, au sens où nous l’entendons, n’est ni un pacificateur ni un bâtisseur de consensus, mais quelqu’un qui engage et qui risque tout son être sur la base d’un sens constamment critique, quelqu’un qui refuse quel qu’en soit le prix les formules faciles, les idées toutes faites, les confirmations complaisantes des propos et des actions des gens de pouvoir et autres esprits conventionnels de l’opposition. Non pas seulement qui, passivement, les refuse, mais qui, activement, s’engage à le dire en public.

Le langage de la vérité s’impose au peuple ! Le choix majeur auquel l’intellectuel est confronté est le suivant : soit s’allier à la fausse stabilité des vainqueurs et des dominateurs (ce qui n’est pas notre orientation), et c’est d’ailleurs le chemin le plus difficile ; soit considérer cette stabilité comme alarmante, une situation qui menace la vie des populations, des oubliés du régime, du fait de la nullité civilisationnelle d’une équipe au pouvoir, pour paraphraser certains politiciens en quête de légitimité. (Edward W. Said, Des intellectuels et du pouvoir, Seuil, Paris, 1996.). Face à cette situation, nous avons choisi la juste mesure, celle qu’aurait choisi Kooc Barma et tous les parangons de vertu : (être avec le peuple, pour le peuple, dans le respect du fonctionnement des institutions légales).

  • Kally Niang
  • Sociologue


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