L’intervention militaire du Sénégal au Yémen : Un pari risqué (par Dr. Serigne-Bamba GAYE)

Le Gouvernement du Sénégal vient de décider d’envoyer en Arabie-Saoudite un contingent de 2100 soldats pour appuyer ce pays dans son intervention au Yémen, suite au renversement du président Abd Rabbo Mansour Hadi le 20 janvier 2015 par les rebelles chiites Houtis, qui combattent le Gouvernement central depuis plus de 4 ans. Ce pays, déchiré par une instabilité politique et des guerres civiles récurrentes depuis le début des Printemps arabes est devenu un enjeu géopolitique et stratégique dans la rivalité hégémonique entre l’Arabie saoudite et l’Iran. Ces deux puissances veulent contrôler le Moyen Orient et se livrent à des guerres par procuration au Yémen, en Irak, en Syrie, au Liban et dans la bande de Gaza.

Cette intervention, décrite par le gouvernement du Sénégal comme étant un acte de solidarité envers l’Arabie-Saoudite, son partenaire financier et diplomatique au Moyen-Orient, suscite beaucoup de questions. Tout d’abord, dans quel cadre juridique s’inscrit-elle ?  Est ce une intervention au sein d’une opération de maintien de la paix des Nations unies sous chapitre 7, s’inscrit t’elle dans le cadre d’un accord de défense entre le Sénégal et le Royaume d’Arabie-Saoudite ou est elle une déclaration de guerre contre le Yémen ?

 Le Gouvernement à l’obligation de préciser dans quel cadre  juridique cette intervention va se dérouler, sinon ce sera un précédent dangereux pour le devenir de notre pays et de ses institutions. Car demain, n’importe quel président pourrait envoyer nos militaires se battre pour des causes discutables en invoquant ce précèdent. Ce serait exposer notre armée nationale à des aventures dont les conséquences pourront s’avérer désastreuses pour la stabilité de notre pays.

A travers cette intervention, le Sénégal va entrer de plain pied dans un conflit régional et risque de s’aliéner le soutien diplomatique et politique de l’Iran, un pays avec qui, il a eu par le passé de graves problèmes. On se souvient encore de l’implication de l’Iran dans l’affaire des armes de guerre, qui devaient transiter par la Gambie et atterrir  dans les bras du MFDC. C’est dire que ce pays a une grande capacité de nuisance. Il convient donc de ne pas s’aliéner son soutien, surtout au moment où le Gouvernent s’est engagé à résoudre de manière durable le conflit en Casamance.

Le Sénégal en intervenant militairement au Yémen risque également de faire face aux groupes djihadistes liés à Al Qaéda, solidement implantés dans ce pays, lesquels se battent pour imposer le Califat dans le monde musulman et sont dans une logique d’affrontements sanglants contre quiconque s’oppose à leur projet messianique. Le Sénégal, s’expose ainsi à des représailles de la part de ces groupes et notre pays risque de sombrer dans des guerres asymétriques, lesquelles ont déstabilisé  le Mali, la Libye et menacent le Nigéria, le Niger, le Tchad et Le Cameroun. Comment pourrait-on affronter de telles menaces avec une armée dégarnie et délestée de 2100  de ses soldats ?

 Il ressort de ce qui précède que l’intervention militaire projetée du Sénégal en Arabie Saoudite et au Yémen est un pari risqué tant sur le plan géostratégique, militaire et diplomatique. Le Sénégal n’a aucun intérêt à s’impliquer dans un conflit interne au Yémen et à prendre partie dans les luttes d’hégémonies entre deux puissances régionales qui veulent dessiner la nouvelle carte du Moyen Orient. Le Sénégal pourrait à la limite prendre des initiatives diplomatiques au sein de l’OCI. Il en a les capacités et la vocation. Ce risque est à prendre, mais l’option militaire pourrait être désastreuse pour notre pays et sa stabilité.

Dr. Serigne-Bamba GAYE

Politologue, spécialiste en relations internationales et en politiques publiques

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