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La CRISE UNIVERSITAIRE:Et Si Nos Universités Publiques Refusaient Le Développement ?

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La CRISE UNIVERSITAIRE:Et Si Nos Universités Publiques Refusaient Le Développement ?


Le vendredi 26 décembre 2014, l’Assemblée nationale votait, à l’unanimité, une loi cadre portant sur les universités publiques. Le vote de cette loi répond au besoin d’harmoniser la gouvernance administrative, financière et académique des universités publiques sénégalaises. Cette nouvelle loi (pas encore promulguée) vise, aussi, à permettre aux universités publiques de s’ouvrir sur leur environnement socio-économique et, subséquemment, de parvenir à une meilleure adéquation des filières et programmes d’enseignement ou de formation offerts aux besoins du marché de l’emploi. Ce qui va se traduire, au plan de la gouvernance, par la mise en place de Conseils d’Administration composés à moitié de personnes venues de l’extérieur, c’est-à-dire de personnes n’appartenant au monde universitaire. C’est assez suffisant pour provoquer une levée de boucliers de la part d’une partie des professeurs regroupés au sein des principaux syndicats du supérieur (SAES et SUDES/ESR) au nom de la défense du principe d’autonomie qui fonde le fonctionnement des institutions universitaires. Ainsi, le Sénégal replonge dans une nouvelle crise universitaire aux conséquences incalculables.  

                        

                                          Une loi certes imparfaite, mais qui va dans le bon sens

Certaines dispositions de la loi-cadre votée le 26 décembre 2014 semble s’inspirer des tendances actuelles dans le domaine de la gouvernance des universités notamment l’ouverture des universités publiques sénégalaises au monde socio-économique avec l’institution d’un Conseil d’administration (CA) et d’un Conseil académique comprenant des membres extérieurs aux universités.

En effet, les universités occidentales inscrivent leur fonctionnement dans une dynamique d’amélioration continue et d’adaptation aux changements induits par l’évolution de leur environnement. Leurs mécanismes de gouvernance cherchent, continuellement, à intégrer les meilleures pratiques notamment la prise en compte des besoins de la société, l’efficacité dans la gestion des fonds reçus, la reddition de comptes, la transparence, le respect des règles d’éthique ainsi que l’implication des représentants du milieu et des différentes composantes de la communauté universitaire. Dans le domaine de la gouvernance des universités, il est vrai qu’il n’y a pas un modèle unique et universel. Cependant, le modèle de gouvernance le plus courant dans le monde occidental, aujourd’hui, donne lieu, au sein de chaque université, à la création, au moins, de trois organes délibérants et/ou de gestion : un conseil d’administration (CA), un organe chargé des questions académiques et un comité de direction ou de gestion.  Le CA, qui est un organe délibérant, a pour rôle, d’une manière générale, de définir les orientations stratégiques et de superviser le fonctionnement de l’université. Il est généralement composé, à moitié ou majoritairement, de membres indépendants, c’est-à-dire de personnes extérieures à l’université et qui ne sont pas dans une situation de conflit d’intérêts ni préoccupés par la défense des intérêts de groupes particuliers. Ils sont des femmes et hommes issus de différents milieux professionnels (finances, gestion des ressources humaines, métiers du génie, etc.) et sont reconnus pour leur expertise. L’organe chargé des questions académiques exerce les pouvoirs relevant des domaines académiques et pédagogiques notamment l’organisation des enseignements et de la recherche, le contenu et les exigences des programmes d’études, l’organisation des examens, la définition des critères et procédures de nomination et de promotion des professeurs ainsi que la délivrance des grades, diplômes et certificats universitaires. Le comité de direction ou de gestion, dirigé par le Recteur assisté de Vice-recteurs est composé de l’ensemble des Directions opérationnelles que compte l’université. Il est chargé d’assurer le fonctionnement régulier de l’institution.

Pour illustrer ce que je viens de dire, je dresse, à grands traits, ce qui se fait en matière de gouvernance des universités en Angleterre, au Québec (Canada) et en France.

En Angleterre, les organes de gouvernance des universités comprennent des CA (Governing Body). Depuis la réforme intervenue en 1992, avec une loi appelée le Further and Higher Education Act introduisant la régionalisation de la gouvernance et des systèmes de financement des universités, on fait la distinction entre anciennes universités (pré-92) et nouvelles universités (post-92). Dans les anciennes universités (pré-92), le CA s’appelle le Concil. Il est composé, en moyenne, de 20 à 30 membres dont la majorité est constituée de personnes extérieures à l’université (lay members). Au sein des nouvelles universités (post-92), le CA prend le nom de Board et comprend entre 12 et 25 membres dont une majorité de membres extérieurs. Cependant, leur rôle demeure sensiblement identique : superviser le fonctionnement et assurer la planification stratégique des universités sans pour autant s’impliquer dans leur gestion quotidienne. C’est ainsi que le Council doit consulter le Senate (organe chargé de la gestion des affaires académiques composé de 50 à 100 membres choisis au sein de l’université pour l’essentiel) pour toute décision qui pourrait avoir des conséquences sur la recherche ou l’enseignement (par exemple la création ou la fermeture d’un département). Pour sa part, le Board est conseillé, dans ses prises de décision ayant un impact sur la recherche ou l’enseignement, par l’Academic Board (comité de 30 membres issus de l’université chargé des questions académiques).

Au Québec, l’autonomie des universités dans le domaine de la gouvernance s’organise autour d’un modèle bicaméral avec la co-existence d’un CA et d’une Commission des études (CE) ou son équivalent (affaires académiques). Toutes les questions administratives relèvent du CA notamment l’adoption des orientations stratégiques, l’exercice d’un pouvoir de décision et de surveillance pour en assurer la mise en œuvre, l’adoption du budget et la reddition de comptes. D’après les statistiques de 2013, le profil de la composition des CA au Québec se présente comme suit : 49% des membres viennent de l’extérieur des universités contre 51 % qui proviennent de la communauté universitaire. Les CE sont exclusivement composées de membres de la communauté universitaire. Elles sont compétentes sur toutes les questions qui touchent l’enseignement et la recherche notamment la création des programmes, la modification de leur contenu, leur évaluation, l’organisation et le développement de la recherche et création. Les interventions des CA dans le domaine académique sont limitées au strict minimum, c’est-à-dire aux questions académiques qui soulèvent un enjeu par rapport à la mission, aux valeurs ou aux orientations stratégiques des universités et ne peuvent se faire que sur la base d’une recommandation formulée par les CE.

En France, la loi relative aux libertés et responsabilités des universités adoptée en 2007, plus connue sous le nom de la loi Pécresse (du nom de Valérie Pécresse, alors ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche dans le gouvernement de Fillion), a considérablement réduit le nombre d’administrateurs en les faisant passer d’une soixantaine de membres, au maximum, à entre 20 et 30 membres. Dans ces 20 à 30 membres du CA, 20 à 30%, soit 7 ou 8 membres, doivent être des personnalités extérieures à l’université.

Au total, tout semble indiquer que les universités ouvertes sur leur environnement socio-économique parviennent davantage à offrir des enseignements et des formations qui facilitent l’intégration de leurs diplômés sur le marché du travail. En effet, les derniers résultats de l'enquête annuelle sur l’insertion professionnelle des diplômés universitaires en France, publiés tout juste il y a moins de 2 semaines, le confirment en révélant que « les universités de proximité, bien ancrées dans leurs écosystèmes socio-économiques, obtiennent de très bons résultats ».

Les motivations des réticences des professeurs : conservatisme ou problèmes crypto-personnels ?

Je suis d’accord avec les professeurs du SAES et du SUDES/ESR sur un point : la loi-cadre, telle que votée, pourrait être améliorée et que la négociation doit prévaloir pour y parvenir.

Le Conseil académique doit s’occuper, entre autres, de l’approbation des programmes et du contenu des enseignements, de l’établissement du calendrier universitaire, de proposer l’ouverture ou la fermeture des filières, de l’équivalence des grades, diplômes et certificats aux fins de recrutement, etc. À cet égard, je suis d’avis que sa composition devrait être exclusivement limitée aux membres de la communauté universitaire et, principalement, aux professeurs et chercheurs. Dans cet ordre d’idées, les syndicats de professeurs ont bien raison de s’interroger sur l’opportunité de la présence d’un représentant du ministère chargé de l’Enseignement supérieur et d’un représentant du ministère chargé de la Fonction publique au sein cette instance.

Par contre, s’agissant de l’institution et de la composition d’un Conseil d’administration, les syndicats de professeurs ont tout faux lorsqu’ils affirment « pourquoi détruire l'édifice en consacrant à la tête des universités un conseil d'administration composé de 20 membres dont les 10, issus du milieu socio-économique, sont choisis exclusivement par le Ministre de l'enseignement supérieur et, sans aucun rapport avec l'université ? Cette architecture ôte toute autonomie aux universités sous le prétexte d'ouvrir l'université au monde du travail ! […] Si aucune limite n'est inscrite, rien n'empêche de désigner un analphabète comme président du conseil d'administration de l'université, ou alors un acteur n'ayant aucun sens des enjeux de l'université et de la société du savoir !» (Déclaration du SUDES/ESR mise en ligne sur le site internet du SAES). Ce passage est révélateur du dédain des professeurs d’université à l’égard de leurs co-citoyens qui n’appartiennent pas à leur noble profession et de leur manque de connaissance des réalités sénégalaises. Ils oublient ou feignent d’oublier qu’il existe, au Sénégal, plusieurs personnes nanties d’un Doctorat ou d’un Ph.D de prestigieuses universités occidentales, mais qui préfèrent travailler dans le secteur privé, dans les ONG ou même dans l’Administration publique. La plupart de ces personnes continuent de s’intéresser à la recherche dans leur domaine et sont bien informées des enjeux d’une « société du savoir ». À ce titre, leurs expériences et expertises seraient un plus pour nos universités. Il y a aussi les nombreux chefs d’entreprise formés aux écoles de management ou du génie très réputées qui pourraient beaucoup apporter à nos universités dans les domaines des finances, de la planification stratégique, de la gestion des ressources humaines, etc. D’ailleurs certaines des nouvelles universités sénégalaises semblent bien le comprendre en allant chercher, comme administrateurs, des chefs d’entreprise réputés. C’est comme cela que ça se passe dans les meilleures universités du monde. Ce passage est, également, teinté de catastrophisme à dessein, car je suis persuadé qu’un « analphabète » ne sera jamais désigné président d’un CA d’une université. À mon avis, des discussions sérieuses, ouvertes et franches entre toutes les parties pourraient permettre d’aboutir à la définition de modalités d’application, claires et nettes, qui ne laisseraient la porte ouverte à aucun dérapage dans le futur.

La véhémence et la dureté des propos à l’endroit de l’actuel Ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche (Pr Mary Teuw Niane) m’amènent à me poser la question de savoir, si derrière cette opposition à la loi-cadre, il n’y aurait pas de problèmes crypto-personnels qui nous échappent ? Je n’en sais rien et je continue de croire que non. Mais, certains jugements de valeur faits sur le Pr Niane par ses collègues professeurs qui contestent la loi-cadre et diffusés à travers la presse sont peu amènes et ne seraient pas de nature à installer la sérénité et l’instauration de négociations empreintes de respect entre les parties en mettant les ego au placard. En écoutant certains pourfendeurs de la loi-cadre, j’ai l’impression que les ressentiments qu’ils nourrissent à l’égard de leur collègue, le Pr Niane, datent de longtemps et se sont cristallisés au point d’arriver à l’impossibilité d’avoir un débat constructif ou d’envisager une sortie de crie qui préserve la face de tout le monde. Et cela est un peu décevant, surtout de la part d’enseignants du supérieur. En se comportant de la sorte, les professeurs d’université, sans le vouloir, sont en train de se forger une mauvaise image auprès de la population. En effet, comment comprendre, avec tous les maux qui accablent les universités publiques, particulièrement l’UCAD (surpopulation d’étudiants, scandales financiers, non respect du calendrier universitaire, absentéisme de certains professeurs, priorité aux cours dans le privé et à l’étranger ainsi que les consultations payantes, faiblesse du nombre de publications dans les revues scientifiques, des enseignants qui restent plus de 20 ans sans soutenir leur thèse de doctorat, etc.), qu’une partie de notre élite universitaire se livre à une lutte, corps et âme, pour le maintien d’un statuquo ? C’est comme si nos universités publiques refusaient le développement : elles vont continuer à former des chômeurs en étant complètement éloignées des réalités socio-économiques du pays, avec de mauvaises habitudes érigées en règles immuables de fonctionnement et en refusant de se remettre en cause. Tout cela, au nom du sacro-saint principe « d’autonomie » !

Ibrahima Sadikh Ndour



5 Commentaires

  1. Auteur

    Metezo

    En Janvier, 2015 (12:55 PM)
    Ptetre
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  2. Auteur

    Soyons Sérieux

    En Janvier, 2015 (14:33 PM)
    "Il est généralement composé, à moitié ou majoritairement, de membres indépendants, c’est-à-dire de personnes extérieures à l’université et qui ne sont pas dans une situation de conflit d’intérêts ni préoccupés par la défense des intérêts de groupes particuliers. Ils sont des femmes et hommes issus de différents milieux professionnels (finances, gestion des ressources humaines, métiers du génie, etc.) et sont reconnus pour leur expertise."



    L’État du Sénégal ne confie même pas ses grands projets de pays à ces différents milieux professionnels. Pourquoi ?



    Monsieur Ndour, soyons sérieux.
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    Auteur

    Ca2

    En Janvier, 2015 (16:02 PM)
    On nous parle de conseil d'administration comme d'une nouveauté au Sénégal; alors que les nouvelles universités utilisent ce format depuis leur création (2007). Le monde socio-professionel est d'ailleurs trés bien représenté dans ces conseils d'administration. Ce qui pose problème dans cette li cadre; c'est que le ministre veuille imposer un CA avec 10 membres (soit la moitié) issue du monde socio-professionelle et désignée par lui et lui tout seul; ce qui fait un total de 11 membres (le recteur est aussi nommé par le ministre) sur 20 nommé par le ministre qui de fait, s'accapare de l'université sénégalaise. En France (notre modèle), les universités les plus ouvertes sur le monde socio-professionnel n'ont pas un CA composé pour moitié de professionels. Ce projet est juste une tentative déguisée de politisation et d'accaparement de l'université sénégalaise par la tutelle.
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    Auteur

    Ngonka

    En Janvier, 2015 (17:03 PM)
    L'université et les universitaires sénégalais "ne refusent pas le Developpement " pour paraphraser l'autre. J'ai bien apprécié votre article M Ndour, sauf la fin où j'ai décelé des propos ou arguments assez legers concernant les enseignants qui n' ont pas soutenu leur thèse. Cela ressemble à des règlements de compte de quelqu'un qui a eu des problemes avec des universitaires. Je me trompe sans doute. Lecproble est ailleurs car les universitaires avaient déjà fait le diagnostic sans conplaisance de ce probleme et proposé des solutions , déjà soumises aux autorités.

    Le problème n'est pas dans l'instauration d'un CA que nous approuvons, mais dans sa compostion et dans le mode de désignation de ces membres. Vous êtes resté muet sur le mode de désignation des membres des CA que vous avez cités. Qu'en est il? D' autre part dans les universités que vous avez citées est-ce que les étudiants sont orientés par le ministre, au mépris des autrorites académiques?.C'est ce manque de concertation, ce centralisme a outrage ou plutôt, cette tentatve de domestication des universites qui nous oppose à notre ministre. Il n' y rien de personnel car ce serait lui faire trop d'honneur.







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    Auteur

    Kkkkkkk

    En Janvier, 2015 (17:49 PM)
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