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Le Franc CFA : urgence d’un changement de cap face à l’iceberg (Par Mouhamadou DIOP)

Auteur: Mouhamadou DIOP

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Le franc CFA reste un sujet de débats passionnés, abordé sous diverses perspectives selon les sensibilités : néocolonialisme, souverainisme, immobilisme économique, monétaire et financier etc…
Dans cette complexe équation à multiples variables, il demeure désormais une constante : dans un contexte de fragmentation idéologique et politique croissante dans la région, aucun État responsable ne peut s’accorder le luxe d’éluder la question de la monnaie; au risque de subir des événements hors de son contrôle, avec des conséquences économiques et sociales potentiellement désastreuses. Dans le contexte macroéconomique actuel, une sortie du Franc CFA, précipitée ou pas, des États de l’AES ou de tout autre état de la zone UEMOA, entrainera une reconfiguration inédite non encore étudiée.
Le débat général est certes passionné dans la mesure où la monnaie affecte la vie de chaque citoyen, celui des économistes et acteurs des marchés financiers devrait se focaliser sur la quête du système monétaire optimal pour l’activité économique, sans influence politique ou idéologique. Compte tenu des indicateurs macroéconomiques des états de la zone UEMOA et le processus d’intégration, il est dangereux de faire la promotion d’une fragmentation monétaire. Celle-ci ne pourrait être plus bénéfique pour les économies, surtout sur les aspects de la monnaie qui me paraissent essentiels : la masse monétaire, le développement de marchés des capitaux et le financement des économies avec des risques maitrisés. 
Mon propos n'est pas de remettre en question la capacité d'un État membre de la zone UEMOA à sortir avec succès du Franc CFA, mais plutôt d'argumenter que les avantages macroéconomiques seraient plus importants au sein d'une union monétaire réformée et modernisée. La France, omniprésente autour de la question du Franc CFA, est elle-même au cœur d’un débat national sur la persistance d’un déficit public élevé, d’une dette publique dépassant les 110% du PIB et d’une dégradation prochaine de sa note souveraine par les agences de notation. Cependant, elle ne subit pas les effets négatifs procycliques sur sa monnaie, grâce à l’euro, dont les fondamentaux sont soutenus par une communauté d'États.
L’actuel risque de fragmentation de l’union monétaire du Franc CFA a ceci de positif qu’il est difficile de concevoir que le statu quo puisse perdurer. En ce sens, la position du programme du nouveau régime au Sénégal est à saluer pour son pragmatisme : réformer ou sortir!
L’Eco, la supposée future monnaie unique des pays de la CEDEAO a des relents de tentative de perpétuer un immobilisme que les pays de la zone UEMOA ne peuvent se permettre. Étant donné la rigueur et l'ampleur des étapes nécessaires à sa mise en place, il est utopique de croire à l'adoption de l'Eco dans un délai de cinq à dix ans, surtout dans un contexte où la CEDEAO même est remise en cause par plusieurs États.
Il serait irresponsable de mettre en berne les réformes indispensables du franc CFA sous prétexte que la transition vers l’Eco traitera ces questions. Du reste, la voie la plus réaliste vers une concrétisation éventuelle de l'Eco repose sur une réforme réussie du franc CFA dans un premier temps. Par la suite, il appartiendrait aux autres pays de taille moyenne de la CEDEAO de prendre une décision souveraine quant à leur adhésion à l'union monétaire élargie avec les pays de l'UEMOA, s'ils jugent cela bénéfique pour leur économie. Une fois une masse critique atteinte, des discussions sérieuses pourraient alors être envisagées avec le Nigéria en vue d’une union monétaire englobant tous les pays de la CEDEAO.
Les aspects de souveraineté et l’influence de la France ont jusqu’ici cristallisé les débats sur le Franc CFA. Les pouvoirs publics ne peuvent désormais ignorer l’injonction de leur jeunesse : des mesures claires de rupture doivent être implémentées dans le court terme sur la question de la souveraineté; afin de réduire ce sentiment de défiance, regagner de la crédibilité pour permettre un recentrage de la réflexion autour des réels enjeux de la monnaie : la convertibilité et le régime de change, une politique monétaire en phase avec les politiques économiques des états, le développement d’un marché des capitaux et la maitrise des flux financiers pour un financement endogène des économies et le rôle crucial de la banque centrale. Évacuer en urgence le débat sur l’emprise de la France sur le Franc CFA
À court terme, des mesures courageuses de rupture doivent être mises en œuvre sur les aspects symboliques de la souveraineté monétaire : le changement du nom du Franc CFA et l’émission des signes monétaires (billets et pièces).
L'annonce faite en 2019 concernant la suppression de l'obligation pour la BCEAO de déposer 50% de ses réserves de change au Trésor français, tout en conservant la "garantie" d'une parité fixe entre le Franc CFA et l'euro, ne peut être interprétée par un expert des marchés financiers que comme une contradiction avec les principes de la finance quantitative. S’il est difficile de croire en l’extrême générosité de la France qui rendrait gracieusement un service si important à la communauté de la zone UEMOA, c’est bien dû au fait que la valeur réelle de cette garantie est négligeable. En effet, si les fondamentaux macroéconomiques et le niveau des réserves de devises nécessitaient de faire appel à cette garantie, il deviendrait inévitable de procéder à un ajustement de la valeur de la monnaie, comme cela s’est produit avec la dévaluation de 1994.
Par ailleurs, les mécanismes de stabilisation monétaire des états font partie des prérogatives du FMI, et la persistance de l’implication de la France est contreproductive à bien des égards. Il constitue un sujet important pour les pays africains en général, dont le Président sortant du Sénégal Macky SALL pourrait être le porte-voix du continent dans son nouveau rôle en tant qu’envoyé spécial au Pacte de Paris pour la Planète et les Peuples (4P) sur les réformes nécessaires de la gouvernance financière internationale.De mon point de vue, cette ‘’garantie’’ représente l’un des coûts les plus significatifs infligés aux économies des pays de la zone franc. En externalisant l’une des fonctions primordiales de la banque centrale, les nations de l’UEMOA se sont privées de décennies d’expérience cruciale pendant lesquelles la responsabilisation des pouvoirs publics sur la coordination des politiques économiques et monétaires aurait sans doute abouti à de meilleurs acquis de développement économique dans la région. Combiné à un renforcement des compétences de la BCEAO en ressources humaines sur les marchés financiers internationaux, les pouvoirs publics devraient acter dans les meilleurs délais la suppression de cette garantie, qui touche tant à l'économie qu'à la question de la souveraineté.
The D… word
La sanctification de la garantie de la parité repose sur une perception erronée des autorités publiques concernant la dévaluation, un sujet qu’elles préfèrent éviter à tout prix. Allez expliquer au consommateur que sa perte impressionnante de pouvoir d’achat depuis 2022 n’est que de l’inflation, surtout pas une dévaluation!
 La théorie monétariste sur laquelle s’appuie cette obsession à la répression monétaire et à un régime de change fixe a montré ses limites dans l’environnement macroéconomique mondial des deux dernières décennies, marqué par la globalisation du commerce et du système financier. Un ajustement de la valeur de la monnaie est de toute façon inévitable dans le long terme, et il est beaucoup plus coûteux quand il est forcé par des chocs externes. Plusieurs études de cas montrent que des transitions forcées vers un régime de change flexible à la suite de chocs externes s’accompagnent souvent de crises économiques pluriannuelles sévères. Comme l’attestent les cas de l’Inde et du Mexique au début des années 1990 et récemment l’Égypte, qui vu le pound égyptien souffrir une dévaluation de plus de 200% depuis 2021 et qui finira éventuellement par adopter un régime de change flexible.
Les divergences entre les réalités macroéconomiques et l'importance des échanges commerciaux entre l'Union Européenne et la zone UEMOA ne soutiennent pas le maintien d'une parité fixe du franc CFA avec l'euro à long terme. Adopter une gestion prudente de la question monétaire implique nécessairement d'entamer une réforme majeure, à savoir le lancement d'un processus de transition vers un régime de change flexible.
Masse monétaire et profils d’endettement des états de la zone UEMOA
L'analyse de la dynamique et des risques liés au profil de la dette publique des pays de la zone UEMOA souligne l'urgence de redéfinir la politique monétaire pour promouvoir un financement interne des économies. Ces dernières années, on a observé une réduction notable de la part de l'endettement concessionnel, issu des programmes et projets des institutions multilatérales de développement, laissant place à une augmentation significative de la dette de marché. Par ailleurs, la convergence accrue des États vers le marché sous-régional depuis 2021, après s’être vu restreint l’accès aux marchés financiers internationaux, a mis en évidence sa capacité d'absorption restreinte. Cette tendance a également amplifié de façon significative les risques de refinancement à court terme des États.
La limitation de la capacité d'absorption est attribuable à une masse monétaire insuffisante, conjuguée à la libre circulation des capitaux vers l'Union Européenne et à l'existence de flux financiers illicites, lesquels portent préjudice tant au développement des activités économiques locales qu'à l'accumulation de l'épargne domestique. Face à une orientation structurelle de l'endettement vers les marchés financiers, il devient impératif d'instaurer des réformes du système monétaire qui s'alignent sur une stratégie de renforcement du marché des capitaux sous-régional. Cette démarche s'inspire des réussites observées au sein des pays de l'ASEAN, qui, suite à la crise de la dette de 1997, ont su dynamiser leurs marchés financiers locaux combinée à des réformes des monnaies locales, leur permettant ainsi d’avoir mieux résister aux pressions inflationnistes des années 2022-2023.
La banque centrale et l’orthodoxie des politiques monétaires
La nature cyclique et l'absence de maîtrise des pays de la zone UEMOA sur les financements externes exigent une introspection sur le rôle de la banque centrale. L’orthodoxie des politiques monétaires imposées par le FMI aux banques centrales africaines ne correspond plus aux cycles économiques actuels ni aux spécificités macroéconomiques des pays de l'UEMOA. Entre la crise financière de 2008 et la crise du Covid-19, les banques centrales des pays développés ont adopté des mesures inédites pour soutenir leurs économies, contraires à l’orthodoxie prescrite.
Il est impératif que la question du financement direct des économies de la zone UEMOA par la BCEAO soit réévaluée par les économistes et les professionnels des marchés financiers, sous l'impulsion d'une volonté politique affirmée. À tout le moins, cela faciliterait une coordination plus efficace entre les politiques budgétaires et monétaires des États, et pourrait même considérer l'utilisation des ressources naturelles comme levier pour le financement de projets d'intégration économique et le développement des marchés au sein de la zone UEMOA.
Mouhamadou DIOP Directeur général ELIXIS CAPITALExpert des marchés financiers internationauxDiplomé École Polytechnique – Ponts et Chaussées – Columbia University
Auteur: Mouhamadou DIOP

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