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Vendredi 01 Juin, 2018 +33
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[ Contribution ] LES PARADOXES DU SYSTEME EDUCATIF SENEGALAIS

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[ Contribution ] LES PARADOXES DU SYSTEME EDUCATIF SENEGALAIS

Outre les entreprises étrangères (comme SGBS, TOTAL, etc.) établies au Sénégal, nous constatons que l’activité économique du pays est presque entièrement entre les mains de personnes issues du système dit informel ou système des « Daaras ».  Les milliardaires sénégalais se comptent plus dans ce système comme l’attestent les réalisations à leur actif :  

  1. le groupe CCBM de la famille Mboup formée au daara de Koki, qui intervient aujourd’hui dans le commerce avec les centres commerciales comme Touba Sandaga et le réseau Easy Boutique, le transport avec Mboup Transport, le voyage avec Mboup Voyage, l’assurance, l’automobile avec Espace Auto, etc.
  2. le groupe Diprom qui intervient dans l’énergie avec Sitra, Touba Gaz et Touba Oil.
  3. Le Holding Al Azhar, fondé par feu Serigne Mourtalla ibn Cheikh Ahmadou Bamba, qui intervient dans l’éducation avec Les Instituts Al Azhar, le transport avec Al Azhar Transport, le pétrole avec Al Azhar Oil, dans l’Assurance, dans les fouilles, les mines et les carrières.
  4. Le groupe SAIM Kebe Fondée en 1972 par feu Elhadji Babacar « Ndiouga » KEBE, la Société Anonyme Immobilière est devenue, par la construction, le rachat, et par une gestion saine et rigoureuse, la première société immobilière privée du Sénégal.
  5. Bocar Samba Dieye qui importe la majeure partie du riz consommé dans le pays
  6. Les mini-bus Ndiaga Ndiaye, ceux de Bada LO, etc, assurant le déplacement des populations.
  7. Youssou Ndour, qui quitté l’école à 13 ans 1 intervient dans la production musicale avec Jololi, la presse avec le groupe futuremedias, le microcrédit avec Birima et a même créé sa fondation.
  8. Sidy Lamine Niass avec le groupe Walfajri.
  9. Le milliardaire feu Djily Mbaye
  10. etc.

 
Rappelons au passage que ce système est laissé à lui-même par l’Etat qui ne lui alloue pratiquement pas de budget officiellement voté même si le gouvernement de Wade a lancé depuis peu le concept de daaras modernes. 

Nous constatons aussi malheureusement le contraire pour les personnes issues du système dit formel c’est-à-dire issues de l’école à la française même si 40% du budget lui est alloué par l’Etat. Plusieurs traits les caractérisent :

  1. ils s’attendent souvent à ce qu’on leur donne un emploi mais ne créent souvent pas d’emplois autant que ceux du système informel.
  2. ils ne sont pas en général des employeurs mais juste des employés.
  3. on les trouve dans l’administration, la politique, l’éducation et les services mais pas dans l’économie réelle (agriculture, pêche, commerce, transport, etc.) même si on les trouve aujourd’hui de plus en plus dans la vallée par exemple.
  4. ils ne sont pas très représentatifs dans la création des richesses du pays  mais dans la gestion de ces richesses.
  5. ils ont tendance à éviter les difficultés en s’établissant à l’étranger (Europe, Amérique) au lieu de les affronter.
  6. etc.

 

Ce qui est un paradoxe. La question est maintenant de savoir pourquoi ceux issus du système formel ne sont pas aussi entreprenant que leurs frères du système informel, malgré que 40% du budget leurs soient alloués ? Qu’est ce qui justifie que ceux issus du système informel parviennent à tant de résultats  malgré le manque de budget et de considération ? Pour répondre au mieux à ces questions, il serait bien de voir l’historique de ce système bipolaire. 

Comme l’a si bien retracé le professeur Mamadou-Youry SALL Enseignant-Chercheur à l’Ugb dans son article sur le sort des talibés, je cite : « En introduisant son système d’enseignement à Saint-Louis du Sénégal en 1817 par Jean Dard et les sœurs de Saint-Joseph de Cluny en 1819, l’Etat français colonisateur avait trouvé sur place une Ecole bien structurée tenue par des maîtres bien formés. Celle-ci, fondée sur la culture sénégalo-arabo-islamique, convenait à la plupart des Sénégalais. Ils y faisaient leurs humanités sans aucun risque d’un mal-vivre social éventuel. Ce qui n’était pas sans gêner le colonisateur, qui voulait aussi répandre sa culture Franco-Judéo-chrétien. Dès 1844, l’Abbé David Boilat, inspecteur de l’instruction publique du Sénégal et Dépendances préconisa : ‘D’interdire, pour l’Intérêt de la civilisation (française), les écoles coraniques et de forcer les parents d’envoyer leurs enfants aux écoles françaises, en y établissant un professeur d’arabe.’ Ce que William Ponty, le gouverneur général de l’Aof, appuya en 1910 : ‘Nous ne devons négliger aucun concours pour répandre l’usage de notre langue et diminuer le nombre des élèves qui encore aujourd’hui fréquentent exclusivement l’école coranique. Or, vous avez bien voulu me faire savoir qu’à Saint-Louis même la population scolaire des autres écoles communales ne serait que de 200 élèves environ, tandis que plus de 1 300 garçons se groupaient autour des marabouts-enseignants.’

A sa suite, Louis Faidherbe, devenu gouverneur, a, le 22 juin 1857, pris le premier arrêté relatif aux établissements d’enseignement coranique pour mieux contrôler la situation. A partir de ce moment, l’ouverture d’une école musulmane était soumise à autorisation. Il fallait pour y enseigner passer devant un jury d’examen et avoir un certificat de bonne vie et mœurs. Les noms et âges des élèves devaient être transmis au Gouverneur tous les trois mois. Le maître d’école musulmane était obligé de conduire ou d’envoyer tous les jours, à la classe du soir (soit celle de l’école laïque soit celle des frères) tous les élèves de 17 ans et au-dessus.  

N’ayant pas réussi à déstabiliser l’école musulmane, le colonisateur s’était résolu à l’intégrer dans son système éducatif, pour cette fois-ci l’orienter à sa guise. Il créa ainsi la Médersa à la fin du IXe siècle. Mariani, l’Inspecteur de l’enseignement musulman et directeur de l’instruction publique, définissait les objectifs assignés à la Medersa comme suit : ‘En créant la Médersa, nous nous sommes préoccupés de former le personnel indigène, dont nous pouvons avoir besoin, les magistrats et les greffiers, sans compter les maîtres d’écoles coraniques et les professeurs, appelés à enseigner les éléments de langue et interpréter dans un sens large les textes jusqu’ici commentés d’une manière hostile à nos idées et à notre influence.’ Avec cette école bilingue, la connaissance de l’arabe était devenue obligatoire pour être instituteur. L’arrêté du 23 septembre 1893 stipulait : ‘Article 3 : Dans toutes les écoles en pays musulman, l’instituteur devra enseigner l’arabe ’

En résumé, le colonisateur est resté dans sa logique dominatrice. Il a tenu par tous les moyens à étayer son établissement en instrumentalisant l’Ecole. N’ayant pu neutraliser la culture arabo-islamique, il décida de l’intégrer dans son système pour pouvoir l’orienter. 

Mais l’Etat du Sénégal indépendant n’a jamais remis en question le plan ou l’œuvre déstabilisatrice du colonisateur. Ses dirigeants, bien formés par les missionnaires chrétiens ou laïques de l’Ecole nationale de la France d’Outre-Mer (Enfom), quand ils n’ont pas consolidé la politique éducative initiale du colonisateur, l’ont bel et bien poursuivi. Ils ont, dès le début, décrété que seules les écoles qui ont adopté le programme d’enseignement légué par le colonisateur sont officielles. Les autres sont à gérer à la marge sans aucune reconnaissance. » 

Nous voyons donc que les objectifs coloniaux de l’école étaient de répandre la culture Franco-Judéo-chrétien et  de défendre l'intérêt de la civilisation « française » en formant le personnel indigène, dont ils pourraient avoir besoin. C’est pourquoi il était uniquement basé sur le savoir de celle-ci sans aucun savoir faire dont avaient besoin les populations. C’est d’ailleurs ce qui est maintenu jusqu’à nos jours et qui explique en parti notre retard économique.  

Le système est purement instructif, inactif et favorise la dépendance. De l’école primaire à l’Université en passant par le collège et le lycée, l’élève n’a autre tâche que les études, il ne fait en général pratique rien d’autre chez lui, ni la cuisine, ni le linge, ni son lit, ni n’aide les autres à débarrasser les plats après les repas. Il est habitué dès le début à ne rien faire d’autres que les études. Et cela continue jusqu’à ce qu’il termine.  

A la fin, il obtient un diplôme sans jamais chercher du travail, sans jamais travailler, sans jamais faire la cuisine, bref sans jamais rien faire d’autres de sa vie que les études. Comme on lui a  habitué à faire les choses à sa place, il ne peut que commencer la vie active à demander du travail mais pas à créer parce qu’il n’a pas été formé pour cela. Il considère le diplôme obtenu comme une fin contrairement à son camarade du système informel qui considère le savoir comme un moyen à mettre au service des créatures pour avoir l’agrément de Dieu. Comme le dit Cheikh Ahmadou Bamba dans son ouvrage intitulé Tazawudus Chubaan « Le savoir sert à quatre choses : à sortir de l’ignorance, servir les créatures, développer le savoir et à être appliqué ».  

Dès lors comment voulez vous alors qu’il crée une entreprise ? C’est d’ailleurs pourquoi les étudiants sénégalais éprouvent d’énormes difficultés une fois à l’étranger. Ils doivent alors faire leurs études tout en s’occupant seul de trouver du travail, de faire leur linge, la cuisine, etc. Ce qui fait que beaucoup d’entre eux reprennent la première année. 

Contrairement à l’élève du système formel, le « talibé » du système informel est confronté dès son plus tendre enfance à trouver lui-même ses repas et ses habits soit en travaillant soit en mendiant.  Bref, il doit tout faire par lui-même durant toute sa formation. Il est formé à ne rien attendre des autres. C’est d’ailleurs ce qui explique qu’il soit disposé à créer des richesses. On ne demande pas que les étudiants fassent tout par eux même mais au moins qu’ils préparent leur petit déjeuner ou leur diner comme cela se fait dans les pays développés. 

Il  est urgent de changer le système au niveau de ses objectifs ainsi que sur la manière d’y parvenir.  

Pour se développer un pays a besoin de quatre types d’acteurs : d’ouvriers qualifiés pour exécuter les tâches, de techniciens pour superviser le travail des ouvriers, d’ingénieurs pour concevoir des systèmes de productions et de chercheurs pour trouver des solutions aux problèmes rencontrés par les ingénieurs. De plus le nombre d’ouvriers qualifiés doit être supérieur au nombre de techniciens, qui doit supérieur au nombre d’ingénieurs qui doit être supérieur au nombre de chercheurs.

Mais au Sénégal, on observe  l’inverse, on forme plus d’ingénieurs et de chercheurs que d’ouvriers et de techniciens. Du coup les choses sont très mal faites fautes d’ouvriers et de techniciens qualifiés.

C’est parce que la Chine a investi sur ses ouvriers qu’elle est devenue aujourd’hui l’usine du monde.  

Des centres de formation devraient être ouvert dans les lycées et collèges pour initier nos élèves aux savoirs faire et permettre aussi aux populations environnantes d’avoir la possibilité de se former à un métier. Elles sont actuellement injustement exclues du système. 

Des UFR métiers devraient aussi être mises en place dans les universités afin que chaque étudiant sorte avec un savoir faire (métier) en plus de son diplôme. Actuellement ils sortent ingénieurs sans aucun savoir faire manuel au moment où le pays a du mal à assurer son autosuffisance alimentaire. On aurait alors aucune difficulté à résorber le surplus de bacheliers non orientés qui n’ont malheureusement aucune issue que l’université car n’ayant aucun savoir faire après 13 ans passés dans les bancs. Alors que 5 ans suffiraient à les former à un métier, ils vont faire 20 ans sans rien pouvoir faire de concret.  

De plus, les universités devraient être ouvertes au peuple en formation payante en cours du soir afin que les agriculteurs, les commerçants,  les éleveurs puissent accéder, en langue locale, à une formation pour améliorer leurs activités. Il est absurde de réserver l’université aux seuls étudiants ou aux titulaires du bac. Il est aussi absurde que l’accès au savoir soit subordonné à la seule maîtrise de la langue française alors que prés de 80% de la population ne la comprend pas2. Une langue est juste un moyen de communication.  

On devrait utiliser les langues locales comme le wolof (car parlé par plus de 80% de la population) pour former la masse analphabète car il est sept fois plus chère d’apprendre le français que le wolof que tout le monde utilise presque. Cela permettrait alors, en interprétant en wolof les milliers de films, de dessins animés et de théâtres et en traduisant les milliers de livres, de bandes dessinés, de logiciels et de jeux produits chaque année dans d’autres langues, de hausser le niveau intellectuel des sénégalais et de créer ces milliers d’emplois qu’attendent les étudiants diplômés de lettres qui ne savent pas quoi faire.  

On devrait aussi contrôler la fuite des cerveaux en refusant que les pays occidentaux nous prennent nos diplômés sans participer à leur formation. 23 000 cadres quittent l’Afrique chaque année3, un vrai exode des cerveaux. Des moyens devraient être trouvés pour les retenir sur place ou les faire revenir, afin qu’ils trouvent des solutions aux problèmes des populations, ce pourquoi ils ont été formés. Sinon qu’ils remboursent leur formation ou financent des projets de développements pour les populations. Rappelons que chacun de nous a été formé avec l’argent du contribuable donc il doit être obligatoire de contribuer à améliorer des conditions de vie de ces contribuables. 

Bref on doit rendre au peuple ce qui est au peuple en mettant en place des formations exclusivement pour ses besoins. Pour finir justice doit être rendue en incluant une bonne fois pour toute le système informel dans le système éducatif national car ceux du système formel ne sont pas plus sénégalais que les autres et pire ils participent  moins que ceux du système informel au développement de la nation. 
 

El hadji Mamadou NGUER

Enseignant chercheur en Informatique

UFR SAT Université Gaston-Berger  



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