Loi d'interprétation adoptée par l'Assemblée nationale : Une frontière très mince entre obligation de non-répétition et insécurité juridique aux conséquences imprévisibles :Par (Abdou Lahad Diakhate Responsable Politique & Consultant en Stratégie)
Auteur: Abdou Lahad Diakhate Responsable Politique & Consultant en Straté
Au-delà de l’impératif de vérité, le défi qui se pose à notre nation est celui de juger l’histoire sans compromettre son avenir. En d’autres termes, si l’initiative législative du parlementaire M. Amadou Ba est certes salutaire en ce qu’elle rappelle nos obligations mémorielles, elle touche aussi aux fondements de la justice et de la mémoire collective. Dès lors, elle doit avant tout viser à renforcer la cohésion nationale plutôt qu’à accentuer des blessures. D’où l’importance d’en questionner ses implications :
S’achemine-t-on vers une situation où deux lois vont nécessairement entrer en conflit dans le temps ? Sommes-nous en train d’ouvrir une boîte de Pandore dont les conséquences, à terme, pourraient se révéler imprévisibles et difficiles à maîtriser ? Sommes-nous réellement pour la justice, rien que la justice, ou voulons-nous simplement prendre une revanche sur le passé ? Autrement dit, s’agit-il d’un véritable et sincère effort de justice ?
L’exercice requiert, à mon sens, beaucoup de prudence, de pédagogie et de parcimonie, si l’on veut éviter d’autoriser des amalgames à l’avenir.
J’ai entendu hier sur TFM Me Abdoulaye Tine dire que l’une des motivations de cette loi interprétative serait de clarifier ce qu’on entend par « motivation politique » dans la précédente loi d’amnistie. Je suis d’accord : il faut borner cette loi pour qu’aucune forme de confusion ne puisse exister !
Par ailleurs, il est tout aussi important de clarifier ce qu’est la liberté de manifester :
* Faudrait-il entendre par là que tout citoyen peut, même sans autorisation préalable, manifester son désaccord comme il le souhaite ? La Constitution est pourtant claire : « cette liberté s’exerce dans les conditions prévues par la loi. » Dans de telles situations, l’autorité administrative doit nécessairement apprécier les risques inhérents à la tenue d’une manifestation. Certes, cette prérogative a souvent donné lieu à des abus et des excès de zèle. Mais si le choix devait se poser entre ces dérives localisées et le déni général d’autorité , voire une forme d’anarchie , il faudrait bien choisir la première option.
* Ensuite, le manifestant pourrait-il faire usage de toute forme d’expression, y compris de la violence à l’égard des forces de l’ordre, tout en restant dans le cadre de l’exercice d’une liberté constitutionnelle ?
* A partir de quand et comment faut-il considérer la suprématie de l’aspiration populaire sur les principes constitutionnels ? Si demain, une communauté, par exemple majoritaire , estimait nécessaire de rompre un consensus pour en imposer un autre, pourrait-elle s’en autoriser au mépris de l’autorité de l’État ? Mon avis est qu’un État de droit ne peut céder à la pression populaire sans cadre juridique clair, au risque de sombrer dans l’instabilité institutionnelle.
* Autre point, tout aussi crucial et sur lequel je souscris pleinement après lecture de l’exposé des motifs: un homme politique, fut-il de la mouvance présidentielle, peut-il user de son influence pour faire jouer à des nervis le rôle et les missions des forces de défense et de sécurité ? Cette loi pourrait éventuellement permettre de séparer définitivement l’ivraie du bon grain et surtout d’infliger des sanctions exemplaires à ces bourreaux commanditaires.
* Au-delà des considérations juridiques et politiques, comment garantir que la perte de vies humaines ne devienne plus jamais une variable d’ajustement dans la gestion des crises politiques ? Quelle responsabilité pour les différents acteurs ? La justice saura-t-elle établir les faits avec rigueur et impartialité pour éviter que de telles tragédies ne se répètent ?
[…] toutes ces interrogations révèlent la délicatesse du sujet, je pense qu’il est essentiel d’analyser de manière lucide et posée les causes profondes de cette situation, d’en faire toute la lumière, et de sanctionner ceux qui ont enfreint la loi, d’une manière ou d’une autre. Mais sans pour autant commettre l’erreur de créer les conditions d’un désordre permanent. Pour rappel, en France, certaines lois ont été assouplies pour renforcer les prérogatives des Forces de Défense et de Sécurité (FDS) face aux menaces terroristes. Certes, cela a permis de répondre à un problème ponctuel, mais avec le temps, le pays s’est retrouvé confronté à un autre type de dérive : des abus et des meurtres répétés de civils par des hommes en uniforme.
De Gaulle, à propos de qui je salue la décision des nouvelles autorités de débaptiser une grande artère de notre capitale, disait : « D’abord la patrie, ensuite l’État, et enfin le Droit. » Évitons de faire l’inverse : mettre le droit au-dessus de l’État et de la nation sénégalaise.
En terminant, en cette veille de célébration de notre fête nationale, je tiens à rendre hommage à nos Forces de Défense et de Sécurité, véritables gardiennes de la Nation. Notre pays a semblé marcher au bord de l’abîme. Et c’est dans ces moments cruciaux que des hommes et des femmes, conscients de leur rôle et de leurs responsabilités, ont pris sur eux d’agir pour maintenir debout la République.
Au-delà des controverses, sachons reconnaître la grandeur de leur mission : servir, protéger et défendre, souvent au prix du sacrifice. À eux, notre respect et notre gratitude.
Abdou Lahad Diakhate Responsable Politique & Consultant en Stratégie
Auteur: Abdou Lahad Diakhate Responsable Politique & Consultant en Straté
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