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Vendredi 01 Juin, 2018 +33
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[ Contribution ] STATUE DE LA RENAISSANCE OU STATUT DE LA RECONNAISSANCE: AMBIANCE DE FIN DE REGNE AU SENEGAL

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[ Contribution ] STATUE DE LA RENAISSANCE OU STATUT DE LA RECONNAISSANCE: AMBIANCE DE FIN DE REGNE AU SENEGAL

Il y a dix ans, le Sénégal entrait éloquemment dans le 21ieme siècle, à la faveur d’une alternance politique longtemps souhaitée, avec l’espoir d’un changement de comportement drastique dans la gestion de la chose publique et partant d’un système de gouvernance améliorée pour une vie meilleure pour tous ses citoyens.  Aujourd’hui, le pays vient de poser un premier pas fébrile dans la deuxième décennie du siècle, affaibli par un système de gestion libérale entachée de méthodes peu orthodoxes -pour le moins- aux yeux des administrés,  et surtout animé d’un sentiment d’inconfort social causée entre autres, par la sortie maladroite du premier magistrat de l’état à l’endroit de la communauté chrétienne.   Cette sortie est d’autant plus douloureuse qu’elle a lieu dans un contexte de recueillement spirituel pour les chrétiens autour de  Noel et après que les responsables de plusieurs confréries musulmanes aient été écorchés vifs par des commentaires partisans du chef de l’état durant la pose de la première pierre de la mosquée mouride à la Tabaski.  La justification de ces dérapages en série du Président de la république est imputable à sa propension à vouloir utiliser depuis un moment, tous les micros qui lui sont tendus pour essayer de justifier la construction du monument dit de la renaissance africaine.  Objet de polémiques multiformes, la construction de la statue aura marqué la fin de l’année 2009 au Sénégal et au sein de la diaspora.  En effet, au-delà de l’aspect matériel de la construction d’un monument, c’est tout le système de gestion libérale de Wade qui est remis en cause tant l’approche et les méthodes utilisées pour l’accomplissement de cette œuvre sont révélatrices de l’identité réelle du système qui nous gouverne c’est-à-dire un mélange d’amateurisme, de cafouillage et de manque de considération pour les  gouvernés, le tout sur fond de nombrilisme de Goorgui qui cherche à jauger son action globale par « sa » statue de la renaissance africaine, dernier né de ses « grands chantiers » qu’il compte léguer aux générations futures pour magnifier son passage à la tête du pays.  Il y a lieu, dès lors de s’interroger sur le statut de la reconnaissance de Goorgui après près d’une décennie à la tête de l’état, à la lumière des réactions suscitées au Sénégal et en dehors, par la construction de ce monument, et surtout des réponses maladroites apportées par le chef de l’exécutif et ses souteneurs.   

La fin d’année 2009 aura assurément marqué les consciences des Sénégalais par la polémique créée autour de la construction du monument dit de la renaissance africaine, un « monstre » à trois corps de cinquante mètres érigé sur l’une des mamelles de Dakar et censé représenter l’Afrique qui « sort de l’obscurantisme pour entrer dans la lumière » selon son concepteur, le chef de l’état qui en réclame d’ailleurs les droits d’auteur et d’exploitation que sa progéniture aura la lourde charge de gérer au profit d’œuvres caritatives nous dit-on.   Nous pourrions toutefois sans verser dans la subjectivité, nous interroger sur le sens et l’opportunité du débat sur ce monument.  Pourquoi avoir attendu près d’un an après le début des travaux pour voir des positions de plus en plus radicales sur cette réalisation être soulevées par les différentes couches de la société, des hommes de Dieu aux sociologues, des élèves aux artistes, des commerçants aux pécheurs ?  Comment le contexte sociopolitique d’une part  et la démarche arrogante utilisée par le concepteur de l’œuvre, de l’autre, ont  joué en défaveur d’une validation nationale sans heurt du monument ?  

Plusieurs voix citoyennes se sont déjà fait entendre sur la question.  Pour les imams du Sénégal qui se sont prononcés au nom de certaines prescriptions de l’Islam, les interprétations ont varié et que de passions et de susceptibilités soulevées.  Mais nous n’entrerons pas dans ce débat qui dépasse nos compétences et le cadre de notre propos.  Toutefois, il faut noter que ces imams sont des citoyens sénégalais à part entière et ont le droit de faire entendre leurs opinions qu’elles soient pour ou contre l’érection du monument.  Ce sont plutôt les répliques malencontreuses du Président de la république à l’endroit des confessions religieuses qui sont à déplorer.  Lui qui, à l’instar de tous les sénégalais, s’est toujours enorgueilli de la situation assez inédite du Sénégal où une majorité musulmane et une minorité chrétienne ont vécu et continue de vivre en parfaite harmonie.  Lui qui est la moitié d’un couple mixte avec des liens familiaux tant musulmans que chrétiens, s’est pourtant arrangé pour choquer les sénégalais toutes confessions confondues en voulant défendre vaille que vaille l’utilité de « son » monument, par des propos déplacés qui ont offensé la communauté chrétienne et tous les Sénégalais jaloux de l’harmonie sociale du pays.   

L’argument culturel avancé qui voudrait que ce monument dit de la renaissance africaine soit un bien commun à tout le continent est réfutable car le reste de l’Afrique n’a contribué ni à son financement, entièrement couvert par les subsides de l’opération douteuse de vente des terrains, ni à sa conception dont le seul maitre penseur n’est autre que le chef de l’Etat lui-même.  Ce qui rend difficile tout sentiment d’appropriation continentale de l’objet de la polémique.   On pourrait imaginer que si le monument avait été érigé à Gorée, l’argument d’appartenance africaine aurait été gagné d’avance parce que ce lieu symbolise l’esclavage des africains et tout le continent noir et sa diaspora s’y reconnaitrait d’office.  Cette reconnaissance historique n’est malheureusement pas dévolue aux collines des mamelles de Dakar.  De plus, compte tenu des diversités culturelles au sein du continent, on pourrait se demander si entre autres, le sein nu de la dame sur la statue serait du gout des puritains sénégalais, marocains, soudanais ou encore somaliens.  Il serait intéressant de voir d’ailleurs comment les autres pays africains se représentent la renaissance africaine.  Un concours à l’échelle du continent pour la plus belle représentation de la renaissance africaine à l’ère de la mondialisation, aurait pu être une belle manière de s’en rendre compte.

Tout cela ne saurait occulter le caractère politique de la polémique autour du monument.  Si avoir le monument le plus haut du monde devrait représenter une fierté pour tout le peuple sénégalais, il y a lieu de constater que les divers clans politiques du pays ont très vite interrogé l’opportunité d’une telle dépense et le style de gestion opaque utilisée pour arriver à ses fins par le gouvernement libéral.  Le montage financier qui consistait à céder des terres au constructeur coréen en contrepartie de leur investissement par une nébuleuse affaire de bradage de terres autour de l’aéroport, à un promoteur privilégié, n’est pas pour rassurer l’opinion en matière de transparence dans la gestion. 

Le manque de consultations avec les forces vives de la nation et l’absence d’une approche participative pour une telle entreprise est sans aucun doute une double erreur de gestion qui pourrait être fatale au projet.  Quid de l’absence d’implication de nos frères africains pour la dimension continentale de l’œuvre.  Mais toutes les manifestations de rejet du monument ont une constante qui est de dire « non !» à Wade.  Non à la méthode utilisée! Non au dédain persistant envers les citoyens jamais consultés ! Non à l’opacité générale autour de l’œuvre ! Non à la démagogie !  

En effet, aujourd’hui le problème du Sénégal dépasse la question de la statue qui n’a été en fait qu’un abus de plus par le pouvoir en place.  Ceux qui se sont manifestés contre l’érection du monument dit de la renaissance africaine quelque soit les raisons avancées –fussent-elles politiques, économiques, religieuses, sociales ou culturelles- sont tous entrain d’envoyer le même message au Président de la république pour dire non à la méthode Wade et que « trop c’est trop ».  Lorsque le messager (Wade), épinglé par son peuple dans l’affaire de corruption à l’endroit de l’ancien représentant résident du Fonds monétaire international au Sénégal, Alex Ségura,  et discrédité à la face du monde, à un moment où tous les pans de la société souffrent de délestages intempestifs, de la cherté de la vie et des incertitudes de ses dirigeants, veut faire passer son message (le monument de la renaissance africaine), les chances de recevabilité sont nulles.  Le peuple rejette le message faute d’un messager crédible à ses yeux.  Cela n’est pas de l’opposition mais de la résistance et dorénavant toutes les occasions sont  bonnes pour les gouvernés de manifester leur refus de se laisser entrainer contre leur gré.  L’exemple des imams de la banlieue qui avaient refusé de payer leurs factures l’électricité exorbitantes, est assez édifiant à ce sujet.  Un autre exemple, plus actuel, est le soutien aveugle par une pétition de huit cent mille signatures de la population sénégalaise en faveur de l’octroi de la licence de la « télé futurs média » dont le propriétaire Youssou Ndour souffre aux yeux de la population, des abus du pouvoir en place qui lui refuse l’autorisation d’émettre depuis plusieurs mois déjà. 

Dans ce contexte, ni les réalisations des grands chantiers de l’état ponctués de scandales, ni le gout d’inachevé de la plus belle corniche d’Afrique, ni la « Wade formula », ni le plan Omega phagocyté par ce qui est devenu le NEPAD, ni les succès mitigés des médiations pour la paix dans les conflits africains (sans mentionner le cas interne de la Casamance), n’est assez déterminant pour rapprocher Goorgui de la stature d’un Mandela et marquer les générations futures.  C’est certainement devant ce constat d’une reconnaissance nationale et internationale limitée que le Chef de l’Etat s’est empressé dans sa mégalomanie plusieurs fois manifestée, d’ériger « sa » statue et de l’imposer à son peuple et au reste du monde.  Cette volonté de reconnaissance de son œuvre est quasi-maladive chez Wade qui parle souvent à la première personne des réalisations faites sous son magistère comme le souligne si bien, un éditorialiste de la presse locale qui a relevé que le Président de la république a prononcé dans son adresse à la nation de la St. Sylvestre de soixante minutes, le pronom « je » soixante fois ?  C'est-à-dire une fois chaque minute.  Ce besoin de reconnaissance et de flatteries que l’on dénote dans les superlatifs souvent employés par le Chef de l’Etat et sa cour en parlant de leurs actions, a dicté un mode de gestion anti-participatif où une clique s’érige en faiseurs de miracles pour un peuple de suiveurs sans capacités de discernement de ses priorités et de son bien être.  C’est cette attitude méprisante et  empreinte d’un flou artistique qui a dicté la méthode adoptée pour la construction du « monument le plus haut du monde ». 

Cette méthode d’exclusion mise en place pour la construction du monument à été faussée dès le début par l’absence d’une large consultation nationale, donc d’un manque de transparence.  La volonté de légitimation de l’œuvre par l’invitation des personnalités comme les présidents Obama et Sarkozy à l’inauguration du monument est saugrenue et montre à quel point le pouvoir en place continue de nourrir des complexes auprès des pays occidentaux.  Ce monument devrait d’abord être endossé par les citoyens qui se réveillent au quotidien à ses cotés. D’ailleurs ces chefs d’états occidentaux ne s’y sont pas trompés, ils n’aimeraient pas être associés à un projet qui n’aurait pas eu l’assentiment de la majorité de son peuple.  Ce dernier aurait sans doute préféré que toute œuvre bénéfique pour la nation reçoive au préalable, la bénédiction des chefs religieux toutes confessions confondues et de certains leaders auxquels ils sont socialement, culturellement ou politiquement affiliés.   Aujourd’hui que la construction du monument est terminée, et devant l’évidence d’une acceptation sociale difficile de l’œuvre, la décision de procéder à l’inauguration du monument le jour de la célébration de la fête de l’indépendance apparait comme une ruse de plus de Niombor et ses supporters, visiblement dépassés par la teneur du « non ».  Cet évènement de souveraineté nationale que constitue le 4 avril offre l’occasion au Président de la république, de profiter de la présence de ses pairs à Dakar pour les amener « bon gré mal gré » sur les lieux pour ainsi essayer d’accentuer le caractère « africain » de l’œuvre en guise de récupération de la situation.  Mais il faudrait que le Président Wade comprenne que la renaissance africaine ne se décrète pas.  Le commun des sénégalais se demande en quoi cette statue qui domine la ville est représentative de la renaissance africaine et comment les autres peuples du continent qu’il semble engager, vont s’y retrouver.  La représentation de l’Afrique par trois corps pour quelqu’un qui ne cesse de prôner les Etats-Unis d’Afrique laisse à désirer et l’illustration d’une Afrique unie comme un seul bloc et incarné par une seule figure aurait certainement été mieux indiquée pour tout panafricaniste qui se respecte.  De plus, et de manière imagée, il apparait assez anachronique pour les amoureux de l’art que nous sommes, de vouloir « entrer dans la lumière » en tournant le dos au soleil et en pointant la statue dans sa posture actuelle, face au couchant au-dessus de l’atlantique.  D’ailleurs, la jeunesse désœuvrée,  volontaire invétérée à la prise du large par des pirogues de fortune y trouverait certainement une incitation à mettre le cap sur les Amériques à l’image de cette famille en acier de trois personnes qui symbolise dans l’imaginaire de son concepteur, la renaissance africaine en pointant le doigt vers l’occident.  Que dire d’ailleurs au niveau symbolique, de cette main gauche du jeune garçon représenté dans les bras de son père, pointant vers l’atlantique qui pourrait être interprétée par certains superstitieux comme un geste de mauvaise augure  tant nos réalités mythico-religieuses sont pleines de réserves et d’interprétation concernant l’usage de la main gauche? 

Des réponses convaincantes aux arguments des « avocats du non » au monument se font toujours attendre et le peuple reste à l’écoute du Président de la république qui a promis dans son adresse du 31 décembre à la nation de revenir sur la question. En attendant, la cacophonie qui a caractérisé à la fin de l’année 2009, le comportement de nos dirigeants, au plus haut sommet de l’Etat par rapport à la construction du monument est loin d’être rassurante.  Elle est plutôt symptomatique d’une fin de règne qui ne dit pas son nom, comme si toutes les franges de la population attendaient cette affaire pour en découdre avec le régime Wade.  L’émission télévisée improvisée en fin d’année sur la chaine nationale sur la position de l’Islam sur la construction de statues, les accusations de Farba Senghor envers certains hommes du clergé et des proches du Président de la république, la destitution de l’architecte Pierre Goudiaby comme conseiller du président, la réplique de ce dernier qui traite Farba Senghor de danger pour la république, les pertes de mémoires sélectives du Président Wade, la nomination d’un ministre conseiller pour les affaires religieuses et l’éventuelle rallonge du pagne de la dame sur la statue jugé trop court, sont autant d’exemples qui illustrent les errements dans la gestion du dossier qui, à terme, vont porter un lourd préjudice au pouvoir en place et vont incontestablement affecter les chances du président en exercice de briguer un autre mandat à la tête du pays.  D’ailleurs si la pression actuelle est maintenue sur le régime en place et si la résistance des citoyens se fortifie en cette année anniversaire du cinquantenaire de nos indépendances, ce serait un exploit pour le pouvoir libéral de terminer son mandat courant.  Un colloque sur le monument comme cela semble être suggéré ne suffira pas pour recoller les morceaux encore une fois parce que le messager n’est  pas crédible et de plus, le débat actuel du Sénégal dépasse ce cadre.  Le pouvoir libéral a raté une belle occasion avec les assises nationales qu’il a boycotté l’année dernière, de dialoguer avec tous les pans de la société et de rectifier la trajectoire du pays.  Et c’est désormais trop tard.  Le Sénégal a besoin d’un nouveau mode de gouvernance démocratique basé sur les vertus cardinales d’une république digne de son nom.  Il est temps pour le peuple souverain d’appliquer implacablement la logique du « Sopi » qui a dicté le changement au Sénégal en 2000, à son propre concepteur pour éviter à la pirogue Sunugal d’aller à la dérive.   

Less Salla

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