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Vendredi 01 Juin, 2018 +33
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[ Contribution ] Un ballon à la place du crâne et du cœur !

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[ Contribution ] Un ballon à la place du crâne et du cœur !

Quelque part à Dakar, dans une maison, autour d’un petit téléviseur, on assistait à un match de football. La partie était palpitante, ou plutôt l’atmosphère était lourde et il faisait presque chaud dans cette soirée de janvier, mois qui nous avait habitués à  un climat plus doux. C’est à se demander, compte tenu de la tension qui régnait dans cette habitation, si ce n’est pas la température de celle-ci qui avait grimpé ? Plus le match se réchauffait, plus les relations se refroidissaient ! Avant la fin de la partie, les relations « diplomatiques » entre les différentes parentés de cette famille se sont transfigurées ! Il faut dire qu’il y avait cinq nationalités en tout et pour tout qui vivaient en bonne cordialité jusqu’au jour de ce match ! Quel match ! 

Quand le sociologue Jean-Marie Brohm soutient que le football est une « peste émotionnelle », on ne peut qu’acquiescer devant cette bataille rangée qui avait eu comme cadre cette villa. On ne peut que  se questionner sur les vertus supposées démocratiques que ce sport pourrait procurer. Ainsi, quand un autre sociologue de la trempe d’Edgar Morin  se met à tresser des lauriers au football, on aurait envie de l’appeler arbitrer cette rencontre familiale.

Le football, jamais une activité sportive n’a eu à exacerber ainsi les différences entre les nations, entre les communautés. Comment peut-on dire du foot qu’il peut constituer un ciment national, alors qu’avec les « navétanes », les rencontres de quartiers ou de villages, c’est encore et toujours un spectacle lamentable qui nous est servi ? Des rancœurs attisées, des batailles rangées, des maraboutages activés, des jalousies aiguisées, des compartimentages érigés !

Qui ne se souvient pas d’un certain France-Sénégal où l’on voyait des individus exhiber des coqs en guise de trophée ? On avait tous bouffés du coq ce jour-là et on continue de ruminer ce plat chaque fois que de besoin pour se chatouiller le nombril, pour tromper sa faim.

Qui ne se souvient pas d’un Gambie-Sénégal, d’un Sénégal-Zambie, d’un Mali-Togo, d’un OM- Milan AC, etc. ? 

Moi, je me souviens de ce match familial  et d’un autre que j’avais vécu sur le terrain !

Vers 15 heures, on s’apprêtait à quitter notre village pour rallier un autre distant d’une quinzaine de kilomètres tout au plus. On avait fini de préparer les charrettes et les calèches et de se préparer mystiquement. On donna au capitaine une amulette qu’il se devait de tenir avec sa main gauche du début à la fin du match. On formula des prières avec toutes sortes d’incantations, d’imprécations et on prît la route pour l’autre village. A quelques encablures de ce bled, on était accueillis par des enfants qui huaient à tue-tête et l’on savait comme d’habitude que ça n’allait pas être facile.

A peine l’entame du match, un de nos joueurs se foula le pied à la suite d’un tacle glissé d’un de nos adversaires et il fallait s’affairer pour le mettre au chaud, le renvoyer au village et le venger. Ce fut par la suite, un match de karaté et on n’avait rien à  envier à Jackie CHAN. Et pourtant, dans ce village, on y trouvait des consanguins. Mais, qu’à cela ne tienne ! Le match continua dans cette atmosphère délétère jusqu’à la mi-temps. Durant la pause, des gens que l’on croyait bien intentionnés, sont venus nous donner des rafraîchissements. Il faut dire que nous en avions besoin. Mais, devant  notre réticence, ils ont usé de tout leur talent de laudateur pour enfin nous faire avaler ce lait frais à la menthe. Après quelques petites gorgées très hésitantes, toute notre méfiance se dissipa. L’ambiance devenait bon enfant.

Parmi nous, cependant, il y en avait qui, parce que très soupçonneux, se sont mis à douter de la qualité de ce très bon lait frais qui nous était servi. Et de fil en aiguille, on découvrit, après une seconde mi-temps très tatillonnant, qu’on venait de nous servir du très bon lait…d’ânesse. Il paraîtrait que ça  peut étourdir. Vrai ou faux ? En  tout  cas, on avait les jambes tout engourdies. Et on nous flanqua un bon 4 à 0 plus un pied foulé et quelques petits bobos. Certains d’entre nous avaient eu de la diarrhée durant deux semaines après ce match. Et non content de nous avoir battus sur le terrain, il fallait qu’ils demandent aux plus petits de nous raccompagner chaleureusement avec des jets de pierre. Ce fut un spectacle hollywoodien. Des charrettes qui se télescopaient, des enfants qu’on piétinait et qui pleuraient à chaudes larmes, et des blessés et encore des blessés. Quel match ! C’état un miracle qu’il n’y ait pas eu de morts ! 

Et on dit du foot que c’est une fête ! Non, ce n’est pas une fête et ça ne le sera jamais !

Qu’est-ce qu’une fête alors ? Une fête, c’est une dissolution et c’en est une pour l’ensemble des participants. Alors qu’avec le foot, si cela ne dégénère, on voit que ce n’est fête que pour ceux-là qui gagnent, les autres devraient souffrir en silence, prendre leur mal en patience. Et comment se pourrait-il en être autrement quand, contrairement à la vraie fête, on exacerbe les différences, on veut annihiler même l’autre, l’anéantir, l’écraser, le bouffer ?

Outre ce fait, le foot est très souvent utilisé comme arme de diversion. On en vient à oublier tout jusqu’à soi-même !

On en arrive même à remercier, son Excellence l’Honorable Foot, le représentant du peuple, le « député du peuple » d’avoir  permis à cette nation d’éprouver « comme jamais des sensations fortes », des moments fabuleux de communion, d’unicité et d’indivisibilité. Et partout, on arbore  le drapeau national, on retrouve des élans patriotiques, tout en oubliant qu’il y a peu on avait frôlé un affrontement interethnique, une friction inter confrérique, un conflit inter villageois ou une bataille rangée entre quartiers d’une même et unique ville, d’un même pays, d’une même nation ! Où se trouve alors cette fibre patriotique, nationale ou citoyenne ? Où se trouve alors ce dépassement de soi ?

Il faut avoir un ballon à la place du crâne pour croire aux vertus du foot !

Il faut avoir un ballon à la place du crâne pour croire que le foot est dissolution, alors qu’il n’est que dissimulation, exacerbation et exagération !

On dissimule les fraudes, les tricheries, les dopages des uns et des autres !

On exacerbe les différences villageoises, communautaires et nationales !

On exagère sur ses vertus démocratiques, thérapeutiques et éducatives !

En 2002, le « Sénégal qui gagne » était donné en exemple d’intégration religieuse par le Vatican parce que il y avait un Saint Henri et un disciple de Sérigne Touba, El hadj Diouf, qui faisant fi de leurs différences confessionnelles, démontraient à la face du monde que l’important c’est d’aimer, l’important c’est d’y croire ! Et le « beur, blanc, black » pour résoudre la fracture identitaire et sociale ? Que dalle ! Ecran de fumée tout simplement, il suffit d’interroger la réalité (les faits sont têtus) pour s’en apercevoir facilement. Ce serait archi faux de croire qu’au Sénégal, la magie du foot serait  le ciment de cette « entente cordiale » entre les religions. Faire allusion à cela, serait même une insulte et un manque de respect à ce peuple, qui au point de vue foot, n’a rien à se glorifier, si on a à se glorifier !

Le foot, un mirage mystificateur ? Cette image est plus proche de la réalité que toutes les autres images panégyriques que l’on nous sert à chaque occasion.

Alors,  le jeu en vaut-il la chandelle ?

Assurément non ! Même si l’on sait que cette démonstration par la négative n’enlèvera en rien l’entraînement, l’enchaînement, l’illusion dans lesquels les masses contemporaines, les meutes populaires, les foules solitaires évoluent sans retenue. 

A-t-on le droit de peindre un aussi sombre tableau d’un fait quelconque quand la majorité  des individus d’une société n’y voit que clarté et bonté ?

On peut et on doit  certes avoir ce droit et même ce devoir ; mais ce qui n’offense pas une société donnée doit-il relever de la justice ?

That’s the question ! J’avoue que le principal enseignement que l’on peut tirer du foot, de tous les sports de masse, de toutes les activités de foule, de tous les droits de la majorité, serait de savoir si cette foule, cette masse, cette majorité est toujours bien éclairée ? 

Mamadou Moustapha WONE

Sociologue

 



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