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[ Contribution ] Une manière d’analyser la crise des finances publiques au Sénégal

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[ Contribution ] Une manière d’analyser la crise des finances publiques au Sénégal

Durant ces dernières années, le gouvernement du Sénégal a multiplié ses emprunts obligataires ainsi que ses emprunts directs auprès des banques locales. Un emprunt public a été récemment adressé à toutes les compagnies bancaires de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa) pour un montant de 100 milliards de francs Cfa. Dans le contexte économique actuel au Sénégal, cela ne peut être que le fruit d’un dépassement budgétaire. Un budget est, en effet, une prévision de recettes publiques à laquelle l’Etat est tenu de faire correspondre une prévision de dépenses publiques du même montant, si l’équilibre des finances publiques est sa préoccupation.

Dans un pays comme le Sénégal, étouffé par les dettes internes comme externes, l’accent doit être mis sur l’évaluation des recettes potentielles, hors dons et aides, préalablement aux affectations en termes de dépenses, dont le service de la dette. Les dons sont maintenant très faibles alors que l’aide et le crédit ont été le binôme infernal qui a retardé l’Afrique. A défaut d’une telle méthode, l’Etat fera toujours face à des déséquilibres perpétuels des finances publiques, tenu entre un service de la dette compromettant et une tendance dépensière débridée.

Le gouvernement a reconnu récemment qu’il y a eu des dépassements budgétaires au Sénégal. Cette situation est un double coup de fouet sur l’économie sénégalaise :

1°) - les dépassements budgétaires creusent le besoin de financement public ;

2°) - l’Etat les résorbe maintenant en recourant à des emprunts pernicieux auprès des banques locales.

Il n’est pas nécessaire d’être économiste pour comprendre que de tels actes constituent un frein efficace à la création de richesses. Les économistes analysent ce phénomène par le concept d’effet d’éviction : les emprunts publics auprès des banques suscitent l’éviction de l’investissement privé par l’investissement public qui est reconnu moins efficace. Ces pratiques sont aux antipodes des principes du libéralisme qui prônent l’investissement privé comme socle du développement économique. Si la libéralisation de l’économie sénégalaise a pu prospérer à partir des années 90 alors même que le régime était socialiste, c’est parce que l’inefficacité de l’action productive de l’Etat sénégalais a été établie avec une force d’argumentaire inébranlable. Le triomphe actuel de l’idéologie libérale est porté par un argumentaire puissant, fortifié par l’effondrement du bloc communiste et l’épuisement des modèles d’assistance publique. La propriété publique est partout indexée comme étant une source avérée de laxisme et d’inefficacité économiques. Socrates disait il y a 2000 ans que ‘ce dont on se préoccupe le moins est ce qui appartient au plus grand nombre’.

Par ailleurs, les études empiriques réalisées par les organismes internationaux ont établi une corrélation négative entre la hausse des dépenses publiques et la croissance économique. Savas (1) note que, dans les années 90, la constatation de ce qu’il appelle la hausse du gouvernement des Etats-Unis a correspondu avec une baisse constante de la croissance du Pib.

Citant certaines publications de l’Ocde, Savas souligne aussi que le passage des dépenses gouvernementales de ses 23 pays membres de 27 % du Pib en 1960 à 48 % en 1996, s’est accompagné d’une chute de la croissance économique de 5,5 % à 1,9 %, respectivement. Les études de la Banque mondiale portant sur les pays africains se rangent dans la même logique. Elles montrent que le rôle de plus en plus important des gouvernements africains dans la sphère économique (dans les 50 dernières années) a été contre-productif selon des proportions significatives. Dès lors, les investissements publics étant reconnus moins efficaces, la croissance économique est d’autant plus faible que les ressources d’un pays sont davantage consacrées à des dépenses publiques.

Le choix est déjà fait pour notre pays : ‘Le secteur privé est érigé en moteur du développement économique’. Dans tous les pays qui ont emprunté cette voie du libéralisme, la création de richesses est littéralement impartie au secteur privé, moyennant l’adoption des réformes socio-financières correspondantes reposant sous la responsabilité d’un Etat devenu régulateur. Mais le paradoxe est flagrant dans notre cher Sénégal : les choix publics de nos autorités sont inscrits dans une dynamique qui ne recoupe pas avec ce modèle libéral choisi. Pire qu’à l’époque du socialisme, les dépenses publiques se sont gravement multipliées à partir de 2000.

Le secteur privé est profondément affaibli, non seulement par l’éviction publique de l’investissement privé, mais aussi par la multiplication des arriérés et des impayés vis-à-vis des entrepreneurs ainsi que par le renchérissement du crédit dû à la libéralisation financière prématurée des années 80. Le keynésianisme, souvent évoqué par notre cher président, ne peut faire l’objet d’aucune déclinaison qui puisse légitimer toutes les lignes de dépenses initiées par notre gouvernement. En théorisant les dépenses publiques comme facteur de croissance et de relance économiques, John Maynard Keynes réfléchissait en économie fermée.

Si les dépenses publiques, en plus de susciter des emprunts internes, sont largement consacrées à des importations, les effets multiplicateurs escomptés sur l’économie ne seront jamais atteints. Il est clair que la plupart des dépenses publiques, actuellement engagées au Sénégal, portent sur des véhicules et des infrastructures nécessitant d’importants lots de matériels importés. Néanmoins, nul ne saurait s’opposer à la réalisation d’infrastructures dans notre pays, mais c’est l’économie des choix publics qui est primordiale. L’allocation optimale des ressources publiques suppose que chacun de nos francs Cfa soit investi dans un projet pertinent, suivant les priorités. C’est cette notion de priorité qui échappe complètement à nos autorités. Comment peut-on engloutir des dizaines, voire des centaines de milliards de francs Cfa dans des infrastructures à l’intérieur de Dakar alors que la route principale d’accès à Dakar continue de coûter cher au pays en termes de pertes de valeurs ajoutées ? Comment peut-on dépenser des dizaines de milliards de francs Cfa pour embellir quelques kilomètres de corniche alors que, par exemple, le réseau d’assainissement de toute la région de Dakar est terriblement défectueux ?

Notre cher président nous parlait de Bot ou Boo qui sont des types de partenariats public-privé avec lesquels l’Etat n’aura à débourser aucun franc. Et pourtant, le trésor public continue d’être rogné au point de ne plus pouvoir honorer la subvention des importations de riz. C’est pourquoi, parmi toutes les inquiétudes qui hantent les Sénégalais avertis, la faillite programmée du trésor public est la plus inacceptable et la plus redoutable parce qu’elle conduit tout droit au chaos et à des troubles sociaux irréversibles.

Le Sénégal est ainsi dans une impasse : le rythme de fonctionnement de l’Etat est insoutenable et le secteur privé est étouffé. Les marges de manœuvres financières de l’Etat sont laminées par l’entretien d’un appareil d’Etat doté de tentacules extrêmement coûteux et la réalisation d’infrastructures à forte intensité capitalistique boudée par des bailleurs de fonds craignant l’insolvabilité récurrente de l’Etat. Devant une telle impasse, la réforme des institutions économiques en entier est dorénavant une nécessité incompressible. La solution consiste à un retour simple à l’orthodoxie économique et au rétablissement de l’équilibre des finances publiques. Cela dépend seulement de la bonne volonté des autorités et de leur propension à mieux utiliser les multiples ressources humaines dont regorge notre pays.

Elhadji Mounirou NDIAYE Docteur en Sciences Economiques (1) - Savas E.S. (2000), Privatisation et partenariats public-privé, (Traduction Française), Nouveaux Horizons, Paris, 400 pages.



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