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Economie

Alex Ségura (Représentant résident du Fmi) : ‘ Un audit sur la dette intérieure du Sénégal est en train d'être fait'

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Alex Ségura (Représentant résident du Fmi) : ‘ Un audit sur la dette intérieure du Sénégal est en train d'être fait'
Pour atteindre l’objectif de réduction de la pauvreté à 30 %, il faut un taux de croissance économique de 7-8 %. Et le Sénégal a les atouts qu’il faut pour y arriver. Le représentant résident du Fonds monétaire international (Fmi), Alex Ségura, en est convaincu. Tout comme il demeure persuadé, dans l’entretien qu’il nous a accordé, que, pour atteindre ce taux de croissance, il y a des préalables à remplir parmi lesquels la poursuite des réformes structurelles, la levée des goulots d’étranglement de l’économie et l’arrêt des subventions généralisées des prix.

Wal Fadjri : Vous reconnaissez les efforts fournis par le gouvernement du Sénégal en matière de lutte contre la pauvreté. Cependant, vous avez émis des réserves quant aux risques qui pourraient anéantir ces efforts. Qu'est-ce que vous craignez à ce niveau ?

Alex Ségura : Absolument, les efforts en matière de lutte contre la pauvreté sont là et il faut les saluer. Permettez-moi de m’exprimer sur les points positifs, avant de parler des risques. La revue du Dsrp (Document stratégique de lutte contre la pauvreté) est jugée globalement satisfaisante par les partenaires au développement, y compris bien entendu par le Fmi qui a aussi participé à cet important exercice. Notre participation à la revue concernait surtout l’Axe 1 du Dsrp (Création de richesses). Le Dsrp montre que pour atteindre l’objectif de réduction de la pauvreté à 30 %, il faut un taux de croissance économique de 7-8 %. Le Sénégal a des atouts très forts qui montrent que ce niveau de croissance est faisable, mais il faut poursuivre les réformes structurelles et couper les goulots d’étranglement de l’économie pour y arriver…

Wal Fadjri : Quels sont donc les principaux points forts du Sénégal ?

Alex Ségura : Lors de mon intervention pendant la revue du Dsrp, j’ai indiqué que le Sénégal a quatre points très forts qui nous laissent penser que ce taux de croissance est possible si certaines réformes sont poursuivies avec vigueur : l’évolution de l’investissement étranger direct (Ide), les réformes sur l’environnement des affaires, la performance du système fiscal sénégalais et le redressement du secteur de l’énergie. D’abord, il y a l’évolution de l’investissement direct étranger, qui constitue un pilier fort de la croissance économique. Ces investissements ont triplé entre 2004 et 2006, et ils vont encore tripler entre 2006 et 2008. Ils vont dépasser, d’après nos projections, les 300 milliards de francs Cfa en 2008 et rester autour de 6 % du Pib à moyen terme. Il s’agit d’investissements très importants pour le pays tels que le projet de Zone économique spéciale intégrée de Dakar (Disez), les investissements de Dubaï Ports World (Dpw), le nouvel aéroport Blaise Diagne, les investissements hôteliers, les concessions d’Arcelor-Mittal, etc.

Wal Fadjri : Vous avez aussi parlé des réformes sur l’environnement des affaires et du système fiscal sénégalais comme points à mettre à l’actif du Sénégal…

Alex Ségura : Absolument. Le Fmi a suivi avec attention toutes les réformes menées par l’Apix et celles du Cpi pour l’amélioration de l’environnement des affaires, car le secteur privé est le moteur principal de la croissance et un environnement propice pour les affaires constitue pour nous le pilier le plus important de la croissance, et la clé de la réussite de la Sca. Nous saluons donc les réformes sur ce sujet, qui sont aussi beaucoup appréciées par le secteur privé, avec qui nous échangeons souvent pour mieux prendre la température économique du pays. Mais il reste encore du travail à faire pour se rapprocher d’autres pays modèles sur ce point comme le Ghana. J’ai cité aussi l’excellente performance du système fiscal sénégalais, considéré par le Fmi comme parmi les meilleurs en Afrique et certainement le leader de l’Uemoa. Ceci permet à l’Etat de financer sa politique de développement des infrastructures et de soutien aux secteurs sociaux tels que la santé et l’éducation. Enfin, il y a la gestion de la crise énergétique où le gouvernement s’est engagé à prendre des mesures qui vont dans le bon sens : appliquer le principe de la vérité de prix, les mesures d’économie d’énergie, et la mise en place d’un système de tarification qui protège les ménages à faible revenu de la hausse des prix. Voilà des éléments positifs qu’il faut saluer ouvertement et qui pourraient relever la croissance et approfondir les efforts de réduction de la pauvreté. Mais il y a aussi des points moins forts et des risques que nous avons aussi évoqués, car nous avons une responsabilité d’identifier aussi les problèmes et d’aider les autorités à trouver des solutions.

‘La politique de subventions actuelle pose problème et, sans mesures de correction, pourrait conduire à une continuation des dérapages budgétaires. Le risque a été maintenant contenu un peu avec la décision du gouvernement, saluée d’ailleurs par le Conseil d’administration du Fmi, de réduire certaines dépenses non prioritaires’

Wal Fadjri : Quels sont ces risques ? Et qu'est-ce que vous préconisez pour les éviter ?

Alex Ségura : Il y en a plusieurs. D’abord, la politique de subventions actuelle pose problème et, sans mesures de correction, pourrait conduire à une continuation des dérapages budgétaires. Le risque a été maintenant contenu un peu avec la décision du gouvernement, saluée d’ailleurs par le Conseil d’administration du Fmi, de réduire certaines dépenses non prioritaires. Le Fmi a toujours indiqué qu’il fallait éviter les subventions généralisées des prix. Notre expérience montre que ces types de subventions ne sont pas efficaces, pèsent lourdement sur le budget de l’Etat et introduisent des distorsions importantes dans le fonctionnement de l’économie. D’ailleurs, notre analyse a montré aussi que les couches les plus aisées ont bénéficié de ces subventions plus que les couches les plus défavorisées de la population. Nous avons apporté quelques pistes de réflexion : examiner la possibilité de subventionner le transport public plutôt que l’essence à la pompe, généraliser les cantines scolaires, revoir la politique de protection de certains produits, etc. Mais nous ne sommes pas des experts sectoriels et il faut que les autres partenaires au développement deviennent plus actifs dans leurs efforts pour aider les autorités dans la recherche des solutions. J’ai été même un peu critique par rapport à ce point aussi, car je m’attendais à ce que certains experts sectoriels participent publiquement à ce débat pour aider les autorités, car il s’agit de questions très complexes et j’ai l’impression qu’on laisse toujours aux institutions de Bretton Woods prendre la parole sur la plupart des choses. Mais nous avons, quand même, besoin de l’expertise des autres acteurs et que leur voix soit entendue dans les différents débats. Je salue, par exemple, l’engagement de mon ami Ian Hopwood, le représentant de l’Unicef, qui part (malheureusement) bientôt à la retraite (une retraite d’ailleurs bien méritée !) et qui était (en tout cas pour moi) une source incroyable de connaissance sur les problèmes des secteurs sociaux. Le deuxième risque est par rapport à la dette aux fournisseurs de l’Etat…

Wal Fadjri : A combien s'élève la dette intérieure du Sénégal ? Quel commentaire cela vous inspire ?

Alex Ségura : Les estimations initiales la situaient à 150 milliards de francs Cfa, mais le gouvernement est en train de faire un audit pour arrêter le montant. Et puis, ce sont des informations qui changent rapidement, car il y a tout le temps des paiements et de nouvelles factures qui entrent dans le système. J’avoue quand même que le Fmi a eu des difficultés pour obtenir les informations sur ce sujet et c’est cela qui explique aussi notre prise de position, parfois sévère, sur ce sujet. Mais maintenant, nous sommes relativement optimistes sur la résolution de ce problème à travers l’emprunt obligataire que le gouvernement a lancé et l’ajustement budgétaire, et ceci va avoir un impact positif sur l’économie nationale. Le Fmi a aussi exprimé le souhait que les factures soient payées par date et sans oublier les petites et moyennes entreprises qui sont moins puissantes pour réclamer le paiement, mais qui sont plus vulnérables et contribuent énormément à l’économie nationale. Il s’agit d’une question que nous suivons de près…

‘Le Fmi a toujours conseillé à l’Etat d’augmenter la part des dépenses sociales dans le budget de l’Etat, mais il faut qu’il y ait aussi une culture de l’évaluation et de la performance. Ceci est particulièrement important dans les secteurs sociaux’

Wal Fadjri : Qu'en est-il des dépenses sociales ?

Alex Ségura : Elles ont été protégées de l’ajustement budgétaire. Les secteurs sociaux n’ont pas été touchés par la circulaire qui a ponctionné les dépenses de fonctionnement et d’investissement des ministères pour réduire le plafond des dépenses publiques à un niveau soutenable. Mais il faudrait faire des efforts pour améliorer l’efficacité dans les secteurs sociaux. Il y a quelques indicateurs sociaux clé comme celui de la mortalité des enfants de moins de 5 ans où le progrès serait plus rapide s’il y avait une culture plus forte de planification, de rationalisation et d’évaluation des dépenses publiques. En tout cas, le Fmi a toujours conseillé à l’Etat d’augmenter la part des dépenses sociales dans le budget de l’Etat, mais il faut qu’il y ait aussi une culture de l’évaluation et de la performance. Ceci est particulièrement important dans les secteurs sociaux, car ils bénéficient des allocations budgétaires qui deviennent de plus en plus importantes.

Wal Fadjri : Quelles sont les perspectives pour une bonne croissance économique profitable à tous ?

Alex Ségura : C’est difficile d’apporter une réponse définitive à cette question. Je vois trois éléments de réflexion. Il y a d’abord la nécessité de préserver la stabilité macroéconomique, de contenir le déficit budgétaire à des proportions soutenables et d’éliminer les factures impayées qui étaient en train d’asphyxier le secteur privé. Le Sénégal est en train de s’y atteler. Deuxièmement, il y a les mesures d’amélioration de l’environnement des affaires et de promotion de l’investissement privé qui permettent de créer de la croissance et de l’emploi. J’en ai parlé auparavant. L’accent sur l’agriculture est positif aussi, car un point de croissance dans le secteur agricole a un impact sur la réduction de la pauvreté quatre fois plus élevé que dans les autres secteurs, d’après les analyses récentes de la Banque mondiale. Maintenant, il faudrait accompagner les idées avec des études de faisabilité bien ficelées. L’Apix a démontré avec le projet de l’autoroute que le Sénégal a la capacité de préparer de bonnes études de faisabilité et les transformer en projets porteurs de croissance. Le même modèle pourrait être utilisé pour les projets dans le secteur de l’agriculture. Et nous avons bon espoir que le ministre de l’Agriculture va réussir, mais il faudrait peut-être renforcer ses moyens en ressources humaines et son équipe technique. Le Fmi n’a pas d’expertise particulière sur ce secteur, mais nos collègues de la Banque mondiale, je le sais, sont prêts à les aider. Finalement, il y a aussi la réforme administrative de l’Etat, à savoir comment rendre l’administration publique plus efficace et plus performante. Les perspectives pourraient donc être positives, mais les risques de dérapages budgétaires sont devenus de plus en plus importants et nous devons toujours jouer la carte de la transparence pour identifier à la fois les points forts qui sont indéniables, mais aussi les faiblesses et risques, car autrement, on ne rendrait pas service au Sénégal.  



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