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Economie

Cheikh Hamidou Kane, ancien ministre, écrivain : «Nous n’avons pas besoin d’aller chercher des experts en agriculture pour recenser nos maux»

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Cheikh Hamidou Kane, ancien ministre, écrivain : «Nous n’avons pas besoin d’aller chercher des experts en agriculture pour recenser nos maux»
Ancien ministre sous Senghor et Diouf, Cheikh Hamidou Kane en sait beaucoup sur les problèmes de l’agriculture sénégalaise. L’ancien ministre du Plan et de la Coopération est, aujourd’hui, d’avis que sans une implication effective des paysans, aucune politique agricole ne s’aurait prospérer dans notre pays. Dans cet entretien accordé à Wal fadjri, l’auteur de ‘L’aventure ambiguë’ soutient par ailleurs que, face à la crise mondiale, le gouvernement du Sénégal se doit de bien planifier son développement économique. Non sans réclamer sa part de responsabilité dans la situation de la vallée et lister ce qu’il a pu réaliser pour cette zone.

Wal Fadjri : Vous faites partie des nombreux cadres originaires de la vallée du fleuve. Quelle est votre part de responsabilité dans le retard socio-économique de votre terroir ?

Cheikh Hamidou Kane : J’ai, sûrement, une part de responsabilité comme vous le dites. Mais, je dois vous dire que je me suis beaucoup battu pour le développement de cette vallée et du Sénégal en particulier pour que notre pays ait un développement réfléchi et planifié. Puisque, en 1958, avec Mamadou Dia, nous avions beaucoup réfléchi à la manière de mettre en place des structures de développement à la place des structures administratives coloniales. C’est ainsi que nous avions pensé à la création de coopératives de commercialisation de l’arachide puisque nous avions jugé que c’était la première priorité, c'est-à-dire casser le commerce de traite. Ces coopératives de commercialisation devaient se transformer, progressivement, en coopératives de production et de consommation, c'est-à-dire une espèce de socialisme auto-gestionnaire. En troisième lieu, nous avions jugé nécessaire de mettre en place une politique agricole, en créant la Siscoma pour la production des instruments agricoles à Pout. Des instruments qui seront, bien sûr, à la portée de nos paysans. Et en ma qualité de ministre du Plan et de la Coopération, j’avais beaucoup participé à la réflexion pour créer les barrages au niveau de la vallée. D’ailleurs, c’est moi qui ai créé le commissariat à l’après-barrage. Ensuite quand je fus nommé à l’Unicef - puisque, pendant 11 ans, j’étais hors du Sénégal. Lorsque j’ai démissionné après l’arrestation de Mamadou Dia par Senghor, j’avais décidé de travailler pour les organisations internationales. Et c’est pendant que j’étais responsable régional au niveau de l’Unicef que j’avais demandé et obtenu de cette structure d’aider le Sénégal pendant les sécheresses en réglant le problème de l’eau dans toutes les régions. En ce temps, l’Unicef avait implanté des forages et affecté plus de 400 motopompes que j’ai distribuées dans la vallée, de Bakel à Dagana.

Cela, bien que j’étais hors du Sénégal. Tout ce matériel a permis à ces paysans de créer ce qu’on appelle des Périmètres irrigués villageois (Piv). A mon retour au Sénégal et quand j’ai été nommé ministre du Développement industriel, Senghor m’a demandé de militer au Parti socialiste dans la région de Matam. Ce que j’avais accepté. Et j’ai, sur mes propres initiatives, installé à Ourossogui la première centrale électrique pour le département de Matam. Pour dire, simplement, que pendant tout ce temps que j’étais en activité, j’ai vraiment fait ce que j’ai pu pour le développement économique de l’ensemble du Sénégal. Et à chaque instant, je prêtais mon attention sur le développement de la vallée où nous avions amené de l’électricité, de l’eau et réalisé des pistes de production, des écoles, des structures de santé, etc. Ceux qui sont là aujourd’hui doivent se battre pour qu’on donne à la vallée du fleuve les droits que lui confèrent le patriotisme de ses populations, leur courage et le potentiel agricole et économique grâce aux terres et au fleuve que nous avons.

Dans le cadre du groupe de réflexion stratégique que vous dirigiez dans le passé, vous aviez eu à diagnostiquer les problèmes de l’agriculture sénégalaise, notamment dans la vallée. Quinze ans après, que vous inspire la situation actuelle du monde rural ?

Je dois vous dire qu’en ce temps, nous étions en conclave dans la commune de Ndioum. Et, d’ailleurs, je précise, au passage, que cette rencontre avait eu lieu parce que ce sont les paysans eux-mêmes qui avaient trouvé cette nécessité de l’organiser. C’était pour eux une opportunité de discuter avec les cadres de leur terroir, les techniciens du monde rural, les partenaires ainsi qu’avec les bailleurs pour voir quelles étaient les insuffisances de la politique agricole du Sénégal. Et nous, en tant que responsable du Groupe de réflexion stratégique (Grs), nous n’avions trouvé mieux que d’y participer pour les aider afin de trouver des solutions aux problèmes auxquels ils étaient confrontés. Et, après de larges discussions autour d’un débat qui était très houleux et riche, nous avions pu déceler que l’une des insuffisances majeures de notre politique agricole était qu’elle était conçue au sommet et plaquée sur les réalités. Et d’autre part, cette politique n’avait nullement été axée sur l’exploitation familiale. Alors que, auparavant, l’agriculture, dans l’ensemble du pays, était centrée autour du carré familial. Qu’il s’agisse du bassin arachidier ou de la région du fleuve.

C’est-à-dire que c’était le père de famille ou ses enfants qui se partageaient la production agricole dans les champs. Donc, il revenait aux familles et non à l’administration locale de définir ce qu’il fallait cultiver, semer et récolter et de quelle manière les gens devaient travailler en commun pour réussir les campagnes agricoles. Et je dois dire que, progressivement, cette manière de faire avait fini par céder la place en raison des cycles de sécheresse et de l’exode rural. De manière progressive, cette agriculture familiale a été finalement cassée. Et, progressivement l’accent a été mis sur la création d’entreprises agricoles pour éliminer les exploitations familiales et c’est ce qui fait que depuis lors, nous souffrons tous de cette nouvelle initiative qui n’avait pas pris en compte plusieurs aspects et qui n’avait pas fait l’objet de concertations entre les acteurs. Et je dois dire qu’avant, la politique agricole de l’Etat avait consisté à mettre à la disposition des agriculteurs des outils c'est-à-dire des semoirs, charrues, motopompes, tracteurs qui étaient bien adaptés à la culture et qui étaient d’ailleurs fabriqués ici même au Sénégal. Malheureusement, tout ceci a été abandonné par les pouvoirs publics qui ont finalement mis en place une société d’encadrement et de développement dans la région du fleuve (la Saed).

Avec la mise en place de la Saed, concrètement, qu’est ce qui a changé?

L’Etat du Sénégal, en rapport avec la République du Mali et de la Mauritanie, a décidé de mettre en place des barrages pour maîtriser l’eau du fleuve. Alors qu’avant, les agriculteurs se procuraient l’eau grâce aux crues. Et après les 3 mois de saison hivernale, les populations restaient 2 à 3 mois pendant lesquels il y avait de l’eau grâce aux crues. C’est-à-dire que, pendant une période de 5 à 6 mois, les paysans disposaient de l’eau. Et c’était la cause pour laquelle, on avait une autosuffisance alimentaire. Malheureusement, aujourd’hui, avec l’édification de ces barrages, les moyens d’irrigation par la crue ont été bloqués. Et l’une des revendications principales que nous avions exprimé, au niveau du Grs, c’était de voir de quelle manière combiner l’utilisation des barrages et la sauvegarde des crues. Ce qui n’a, malheureusement, pas été suivi par les autorités actuelles.

Aujourd’hui, au regard de l’évolution du secteur agricole, partagez-vous l’avis des tenants du pouvoir qui soutiennent que le Sénégal atteindra bientôt son autosuffisance alimentaire ?

Je le crois très sincèrement. Mais, cela ne pourrait être possible que lorsque l’on essaie de voir de quelle manière il faudrait faire participer les paysans dans les prises de décision dans la politique agricole de notre Etat. Et ce qu’il ne faut plus faire, c’est imaginer des politiques agricoles au sommet. Mais, il faut concevoir cette politique avec les populations à la base. C’est-à-dire autour de tous ceux qui tournent au niveau de ce secteur : les responsables des organisations paysannes, les acteurs de développement, les services déconcentrés de l’Etat, etc. Parce que ce sont ceux-là qui maîtrisent mieux que quiconque ce secteur puisqu’ils y sont depuis presque un siècle. Donc, la seule manière d’arriver à cette autosuffisance alimentaire, c’est d’associer les populations à la base dans la mise en place des politiques agricoles. Pas de politiques et programmes imaginaires qui ne sont pas mis en œuvre par les acteurs.

Par contre, je dois souligner, au passage, que je respecte beaucoup les initiatives du président Abdoulaye Wade comme la Goana. Mais, je pense que le plus important, c’est d’associer tous ceux qui s’activent dans l’agriculture à la base. Et, malheureusement, ces derniers ne sont mis au courant des innovations que lorsque la balle est déjà partie. Nous avons des paysans intelligents, qui n’attendent rien des cadres intellectuels pour trouver des solutions à leurs problèmes. Des paysans qui vivent dans une zone où la terre est très riche, de l’eau en quantité et d’autres potentialités agricoles qui n’existent nulle par dans le monde. Pourquoi, du moment que nous avons tout ce trésor, nous peinons à sortir du sous-développement ? Ce n’est pas normal et c’est pourquoi il est temps, les yeux dans les yeux, que nous discutions ensemble pour trouver enfin les solutions à nos difficultés. Nous n’avons pas besoin d’aller chercher des experts de l’agriculture pour recenser nos maux. Nous les connaissons tous puisque nos paysans travaillent sur cette terre depuis des siècles. Qui connaît mieux qu’eux aujourd’hui qu’est ce que c’est que l’agriculture, l’élevage, la pêche ?

Lors d’un forum organisé par le Grs à Ndioum, les paysans avaient dressé un sévère réquisitoire contre la Saed qu’ils accusaient d’être la source de leurs problèmes. Partagez-vous leur avis ?

Il y a quelques années, la Saed était une espèce de super-structure qui disposait de moyens techniques et financiers importants et qui, malheureusement, écrasait les paysans à partir de la vallée. Alors qu’il aurait fallu que ce soit la Saed qui, justement, devait discuter avec les paysans. Ce n’était pas le cas avant. Les paysans ne trouvaient pas d’interlocuteurs pour régler leurs problèmes. Ils étaient laissés à eux-mêmes, se géraient eux-mêmes et ceux qui étaient affectés dans les zones et chargés de les encadrer s’occupaient d’autre chose que de leur venir en aide. Et c’est d’ailleurs à la suite de tous ces facteurs qu’ils ont vécus sur le terrain qu’ils ont fait ce réquisitoire. Je pense que ce n’était pas méchant de leur part. D’ailleurs, ce réquisitoire a aujourd’hui permis d’arrondir les angles entre eux et le pouvoir et d’aller vers l’essentiel. Je pense donc que ce n’était pas du tout méchant et que la Saed, en bon encadreur, a compris. Et voilà qu’aujourd’hui, tout le monde travaille, la main dans la main, pour réussir le pari du développement. Pourquoi pas au niveau du bassin arachidier puisque nous avons toutes les potentialités pour y arriver ? C’est juste une question de volonté.



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