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Economie

Dossier : " Pratique de la pêche à la ligne sur les rives du fleuve Sénégal "

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Dossier : " Pratique de la pêche à la ligne sur les rives du fleuve Sénégal "

"Apprends-moi à pêcher au lieu de me donner du poisson tous les jours " comme le dit le proverbe chinois. En pays soninké, être jeune donne le droit à plusieurs passions. Il y a des amoureux du football, de la chasse, de la cueillette…, mais également des férus de la pêche. Cette activité se pratique dans les "xaaru" (marre) ou "fan?e" (fleuve). Dans le département de Bakel, on compte de nombreux cours d’eau qui sont les affluents directs ou indirects du fleuve Sénégal. Contrairement à certaines zones du Sénégal, la pêche n'est pas saisonnière dans le Gajaaga, même si l'abondance des poissons varie d'une saison à une autre. Comme plusieurs activités artisanales, la pêche à la ligne répond également à un rituel particulier. Enfants, nous réservions plus souvent notre temps libre à cette passion. Nous investissions les coins poissonneux du fleuve dès que le besoin et l'envie se faisaient sentir. Quelle que soit la saison, certains matériels sont indispensables au pêcheur, fût-il un amateur. Nous nous procurions des cannes à pêche. Confectionner une canne à pêche exigeait une certaine dextérité. Elle devait être de longueur moyenne, facile à lancer et à sortir de l'eau avec rapidité. Une canne à pêche artisanale était faite avec du nylon que nous appelions " Crène " et de crochets que l’on appelle dans la taxinomie locale "gorin puncce". Selon le bon-vouloir du pêcheur, il pouvait mettre un, deux, voire trois crochets au bout de son fil pour maximiser ses chances de captures. Les petits crochets étaient plus prisés. Leur petite taille permettait de mieux accrocher les nageoires ou même les écailles des poissons. Notons également que chaque zone de pêche exigeait son type de nylons et de crochets. Ainsi, celui qui pêche des sardines utilise un crochet fin, tandis que le pêcheur de silures ou d'autres gros poissons confectionnait sa ligne avec de gros crochets. La saison des pluies est la période la plus propice pour la pêche dans le Gajaaga. Les eaux deviennent profondes et abondantes. Les poissons, fatigués par les vagues et le courant, regagnent généralement les berges du fleuve ou ses estuaires.

 

Dans les villages du département de Bakel, les jeunes profitaient de leurs travaux agricoles pour trouver des vers de terre. Ces vers sont appelés communément "dibininoxo". Souvent, quand il pleut, les vers sortent de la terre et les jeunes les ramassent pour les besoins de leur pêche. Les grands amateurs de pêche à la ligne, quant à eux, investissaient les bords de marres pour déterrer les vers à l'aide des herminettes (sawta). Cette opération annonçait la pêche. Jeunes, nous faisions le "dibinoxo bagandinde" après les travaux agricoles. Cela consistait à avoir le maximum des vers pour le besoin de notre pêche. 

 

 

 

Une zone située entre différents marigots de la ville procurait les vers de terre les plus nourris du département. Ils étaient longs, gras et noirs. Nous remplissions nos pots et mettions de l'argile au dessus des vers pour leur confort et leur procurer une certaine humidité. Dès que nous arrivions à la maison, nous mangions et investissions les abords du fleuve. Chaque personne choisissait son coin et le rendait accessible, en défrichant les arbustes. Le pêcheur doit s'armer de patience. Dès que l'emplacement devenait confortable, nous accrochions les vers autour du crochet en guise d'hameçons. Enrouler le ver est un art. Plus le ver est bien accroché, plus les chances de prises étaient multiples. Le ver devait être coupé et bien accroché pour occulter le crochet. Une fois cette opération délicate effectuée, nous lancions nos lignes et attendions les prises. Un bon pêcheur sait différencier les poissons par les prises. À titre d’exemple, le tilapia (fuura) mord petit à petit l'hameçon, tandis que le silure avale le crochet. Les enfants aimaient particulièrement les prises de silures parce qu'elles auguraient un succès. Un amateur pouvait facilement remplir son panier de silures. Les prises des Tilapia, capitaines et autres poissons blancs étaient par contre plus difficile à réaliser. Ils jouaient avec l'hameçon et s'alimentent sans se faire prendre. Ces poissons étaient la bête noire de plusieurs pêcheurs. Ils pouvaient finir les vers de terre sans qu'aucun d'entre eux ne soit dans la corbeille des pêcheurs. Nous les appelions " Jobi Jobaane ". "Jobi" veut dire goûter. Ces poissons avaient pour noms Soninké "fuura", "Seeba", "wandoone", "gicce". Ils étaient délicieux et leur cuisson était facile, contrairement à d’autres poissons, tels que le silure, le "xooxa", le" kerle?e ", qui étaient faciles à capturer, mais peux savoureux. Les enfants pouvaient passer des heures à patienter pour une première prise. Généralement, ils changeaient de place au bout de quelques minutes.

Certains enfants, épris de jalousie, n’hésitaient pas à s'approcher des zones où leurs camarades ont attrapé quelques poissons. Les plus aigris troublaient les eaux de pêche pour faire fuir les poissons. Parmi tous les pêcheurs que j'avais connus lors de mes parties de pêche, trois d'entre eux sortaient du lot. Un des plus adroits de notre quartier était "Bouba Founé". Frêle et paresseux, il pouvait rester immobile pendant des heures avec ses deux ou trois cannes à pêche plantées dans la boue (botoxa) de la berge. Il ne déplaçait que pour sortir le poisson de l'eau. Il était haï par un bon nombre de jeunes à cause de sa dextérité. Il ne ratait point une prise. Voir "Bouba Founé" pêcher, correspondait à un cirque où l'on voyait les poissons défilés les uns après autres. Mes grands cousins qui ont le même âge que ses frères disaient que c'est un don de famille. Ses grands-frères "Midou" et "Dama" étaient aussi de grands pêcheurs. Pourtant, ils n’étaient point d'une famille Somono, même si leur domicile était à quelques encablures de la grande concession de pêcheurs Somono de Bakel. Leur père, maçon de métier était également un habitué du fleuve. Avec sa pirogue, il pouvait passer des nuits dans l'eau à la recherche de gros poissons. Il ne rentrait jamais bredouille. À coté de ces "magiciens" de la pêche, Yinguile sortait également du lot. Il avait hérité les techniques de la pêche de son père. Ceux qui avaient connu son père disaient qu'il était l'un des plus grands pêcheurs du village. Il mourut quand son fils Yinguilé était enfant. Yinguilé était très souvent à la pêche. Quand, nous autres descendions avec des sceaux pour garder nos poissons, lui prenait des sacs. Il ne ratait jamais ses cibles. Il pouvait à lui tout seul remplir un sac de 25 Kg de poissons. Certains lui prêtaient de la magie. Il était doué. D'ailleurs, on disait que son expulsion de l'école était justifiée par sa passion pour la pêche

Pendant la saison des pluies, on ne distinguait point les amateurs des professionnels. Les berges du fleuve Sénégal devenaient les lieux les plus fréquentés des villages riverains du fleuve Sénégal. Jeunes et vieux s'adonnaient quotidiennement à cette activité. Les endroits les plus prisés des pêcheurs de Bakel étaient "gindin palle", c’est-à-dire après la montagne. Cette zone avait une flore abondante et plusieurs grottes. Les plus inspirés disaient que les poissons aimaient les grottes et les arbres. Parallèlement aux autres abords du fleuve, cet endroit du quartier "gindin palle" était réservé aux professionnels. Les meilleures places étaient pour pour les premiers à arriver sur le lieu. En réalité, les habitués du lieu connaissaient mieux que quiconque les meilleurs endroits. L’occupation de ces places provoquait des conflits entre les pêcheurs. Cet emplacement prisé se trouve dans l'ancienne bâtisse de la SONEES (Société Nationale d'exploitation des eaux du Sénégal) de Bakel. Il était à quelques encablures de l'embarcadère de Bakel que l’on appelle "bologan xoore", à gauche de la Mairie en face de Gouraye (sur la rive droite de Bakel, en Mauritanie). Dans ce lieu de pêche, les cannes à pêche pouvaient atteindre une cinquantaine de mètres. Leur nylon est épais, et les crochets bien solides. C'était le fief des gros poissons. Les prises de ces hommes adultes n'avaient rien de comparable à celles des enfants. Le surplus de leurs captures faisait l’objet d’un commerce important dans le marché central de Bakel. Grâce à cette activité, ils permettaient aussi à leurs familles de préparer du riz au poisson pour le déjeuner. On y pêchait des carpes, de gros silures, de gros capitaines, du "bapoore" (gros poisson de l'afrique subsaharienne) et d'autres espèces de poissons devenues rares de nos jours. Ces hommes pouvaient passer toute une journée assis à attendre les gros poissons pour réussir leur semaine de capture. Beaucoup d'entre eux pêchaient par nécessité. Ils assuraient ainsi leurs besoins familiaux par cette activité. Pour mieux se sentir à l'aise, ils se cotisaient entre eux et achetaient du thé qu'un jeune préparait pour eux. Ils discutaient, s’embêtaient, se félicitaient dans la joie et dans la bonne humeur. Ces grottes de Bakel étaient des véritables nids de gros poissons. Les amateurs de poissons investissaient également d'autres endroits dès fois insolites à la recherche du "bapoore", cette espèce tant prisée en milieu soninké.

Pendant la saison sèche, la pêche était également pratiquée, malgré la rareté de poissons. En effet, pendant cette période, les eaux baissaient et les poissons prisés devenaient rares. Toutefois, c'est la bonne période pour goûter au poisson le plus célèbre du Gajaaga : le "wandoone" (poisson de fritures). Ce minuscule poisson abonde à la décrue. Les pêcheurs au filet pouvaient remplir leur pirogue rien qu'avec cette variété de poisson. Cette espèce de poisson était tellement célèbre que les Soninkés font des devinettes avec : « Yaaxe be geri Wandon puure sounba ken di yaaxe gebe wori », c'est-à-dire : « L'œil qui a conduit la pirogue contenant du wandoone, aura vu plusieurs yeux». À l’inverse du "Wandoone", d'autres espèces de poissons étaient souvent méprisées. Il s’agit, entre autres, de duddu koro, du dolla, du dimije. Si le premier était peu comestible, le deuxième, bien que comestible, n'était pas prisé. Les Soninkés, pour caricaturer le "dolla", ils l'assimilent souvent à un poisson qui ne "vaut rien", car, disent-ils, il n’a point de saveur. Il utilise la devinette suivante " A ya ña dolla "... Contrairement aux deux premiers, le "dimije" est un poisson électrique et cause souvent des problèmes aux pêcheurs lors de sa capture. paralèllement, il y avait également des poissons comme le xooxa, le dunbunne qui étaient très délicieux et bien utilisés pour la cuisson de " kele kele ji", (sauce de poisson accompagné de couscous). À la saison sèche, les vers de terre deviennent rares. Les jeunes, pour pallier ce manque, se rabattaient sur du pain sec en le transformant en une patte pour le mettre au bout de leurs crochets. On utilisait également des intestins de poissons de mer à cette fin. La star de la pêche en saison sèche était un des jeunes hommes du quartier N'diayega 1. On l'appelait par le sobriquet de "Mamadou Tanpillé". Il était, à l'instar de "Bouba Founé", frêle et mou. Il était de grande taille. Il était avec la canne à pêche ce que Zidane était au ballon rond. Il descendait au fleuve après le déjeuner. Sceau à la main, armé de sa canne à pêche, "Tanpilé" se plaçait toujours sous les arbres ou à coté des clôtures de jardin longeant le fleuve. Il n'aimait pas être dérangé. Posé, concentré, Tanpilé faisait des "mannequins" qui se défilaient dans l’eau ses victimes. Il ne rentrait jamais bredouille. Il revenait toujours avec son sceau plein de poissons. Il surprenait même les pêcheurs de profession de la ville, car il était issu d'une famille peule de Bakel. Il était admiré par les jeunes enfants qui rêvaient d'être aussi doués que lui dans le domaine de la pêche. La pêche à la ligne était très pratiquée dans le département de Bakel. Les jeunes enfants, issus des familles modestes en faisaient leur travail saisonnier, tandis que d'autres s'y adonnaient pour se faire plaisir. Dans tous les cas, les poissons terminaient leur course dans la marmite soit en "kele kele ji" ou en plat principal. Aujourd'hui, comme partout en Afrique, les cours d'eau regorgent de moins en moins de poissons. La pêche intensive et professionnalisée a vidé le fleuve Sénégal et les "xaaru" du département de Bakel de leurs ressources halieutiques.

 

Samba KOITA dit EYO, www.bakelinfo.com



1 Commentaires

  1. Auteur

    Djimera

    En Mai, 2011 (11:44 AM)
    bakel est une ville qu j'aprecie bcp mais l'etat na rien fait pour bakel il faut que sa change

    MR DJIMERA
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