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Dr MAMADOU OUMAR DIA, EXPERT ET CONSEILLER DU CABINET FAYDA FINANCE DÉVELOPPEMENT : « Le Sénégal peut être un hub sous-régional »

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Dr MAMADOU OUMAR DIA, EXPERT ET CONSEILLER DU CABINET FAYDA FINANCE DÉVELOPPEMENT : « Le Sénégal peut être un hub sous-régional »

En prélude à l’ouverture du séminaire de Casablanca sur le thème de « l’implémentation de services financiers islamiques dans une institution financière », les 2 et 3 juin prochains, le Dr Mamadou Oumar Dia, expert et conseiller du cabinet Fayda Finance Development (Afrique) basé à Casablanca, revient ici sur les avantages de la finance islamique. Le spécialiste considère que Dakar peut constituer un « hub sous-régional » de la finance islamique. Mais il recommande plus de pragmatisme aux autorités.

La finance islamique, on en parle de plus en plus, c’est nouveau et les gens la considèrent comme une alternative à la finance classique. Qu’est-ce qui englobe ce concept de finance islamique ?

C’est une finance éthique. Il y a eu un besoin qui s’est fait sentir de par le monde à la fin des années 1980 et on a parlé de plus en plus des investissements socialement responsables. C’est un concept qui a pris de l’ampleur après l’accident de l’Union carbid à Bhopal et dans le contexte de la conférence de Rio qui a attiré l’attention du monde sur le développement durable. Donc, de plus en plus, les industriels se sont posés la question de savoir si la finalité c’était d’attendre des résultats en fin d’exercice ou est-ce qu’il ne fallait pas donner une chance aux générations futures de profiter des ressources de la nature ? Dans ce souci de durabilité des investissements, des chercheurs se sont penchés sur la question. Mais, la solution était bien là, depuis le Moyen-Age. Il faut rappeler que toutes les religions monothéistes interdisent le « riba », parce que c’est moralement inacceptable de gagner de l’argent par le simple passage du temps. Le Judaïsme l’interdit entre les Juifs, le christianisme aussi l’a interdit. Si bien qu’au Moyen-Age, c’était une activité interdite. C’est seulement en 1917 que l’Eglise catholique a levé l’interdiction absolue de faire dans le prêt à intérêt. En Islam, l’interdiction est formelle, notamment dans la sourate de la vache. Le Prophète (Psl) aussi, dans ses hadiths, l’a rappelé à plusieurs reprises. On a deux sortes de « riba », le riba Nasseya et le riba al Fadl. Le riba Nasseya, c’est celui interdit par le Coran ; et le riba al Fadl, c’est celui qui a été enseigné à l’Humanité par le Prophète. L’idée, c’est de mener des activités rentables et soutenables.

Le monde n’est pas encore sorti de la crise financière internationale dont la finance islamique semble pourtant détenir les clés.?Quels sont donc les fondamentaux de la finance islamique ?

La finance islamique est basée sur le principe du partage des pertes et profits selon les enseignements du fiqh al Mouamalat. D’une manière structurelle, la finance islamique ne pouvait en aucun cas être affectée par cette crise financière. Car c’est une crise de la spéculation. Et dans la finance islamique, deux choses sont interdites. C’est la spéculation elle-même et les jeux de hasard. A chaque fois qu’on mène une opération, il faut un actif sous-jacent tangible. Or la crise a été générée par une spéculation sur les produits dérivés. En fait, les ingénieurs financiers ont beaucoup plus travaillé sur les outils et les éléments de mitigation des risques que sur le risque en lui-même. Si bien que dès qu’il y a une asymétrie d’information, il est évident que les choses flanchent. Cela va continuer tant que les règles du jeu seront les mêmes.

Cette finance islamique, quelle est sa vraie particularité par rapport à la finance classique ?

D’abord, c’est sur l’aspect éthique et le souci du développement durable. Dans la finance islamique (comme cela a été recommandé dans la Bible, le Coran et la Thora), il faut aller dans des contrats de partenariats gagnant-gagnant. Mais dans la finance classique, il y a un seul acteur qui gagne dans tous les cas de figures.

Dans la finance islamique, en quoi cette partie responsabilité sociale est aussi importante ?

Elle est essentielle, parce que du moment que le Bon Dieu nous a créés, Il a dit que l’Homme est mon lieutenant sur terre. Cela implique des droits à l’usufruit généré par cette terre, mais aussi des devoirs pour la gestion durable celle-ci. Quant vous déléguez quelqu’un, il est évident qu’il va assumer ses actes dans tous les sens. La projection des acteurs de la finance islamique dans le temps englobe les aspects sociétaux des projets dans lesquels ils s’engagent. Donc cela ne sert à rien de développer un projet qui va anéantir les chances des générations futures à réaliser elles-mêmes leurs ambitions légitimes.

Aujourd’hui, cette finance islamique, elle est appliquée par les pays musulmans ou une portion simplement de pays...

On ne peut pas dire qu’elle est appliquée dans tous les pays musulmans. Mais il est vrai qu’il y a des pays dont les banques centrales s’impliquent, c’est le cas du Pakistan, du Soudan. Mais cela se limite à des aménagements, des compromis positifs. Cela a été le cas à Londres où une banque islamique a vu le jour et qui a profité des aménagements et du pragmatisme des autorités monétaires. Signalons au passage que la première expérience occidentale de banque islamique est née au Danemark. C’est vrai que Londres est connu pour être une place qui fait beaucoup dans l’ingénierie de la finance islamique. Ils ont une démarche spécifique, c’est-à-dire que les ingénieurs financiers conçoivent un produit financier qui pourrait intéresser un marché spécifique, ils font venir des fouqaha, membres d’un charia board, je peux citer le mufti Taqi Ousmani qui est réputé dans le milieu des entreprises cotées à Wall street, et ces derniers valident, amendent ou rejettent le produit. C’est une procédure de validation de projet. L’ingénieur financier élabore le projet, ils le font valider par le Fouqaha et celui-ci dit c’est go ou no go. En fonction de cela, on le commercialise ou on l’arrête.

Quelles sont les contraintes qui empêchent la finance islamique de se développer dans des pays comme le Sénégal ?

L’une des contraintes est d’ordre fiscal. Il faut une fiscalité adaptée. Je donne le cas de la mourabaha qui est un contrat d’achat et de revente. Si une institution financière quelconque voulait monter un projet de mourabaha, il est évident qu’elle ferait face une double taxation comme un droit d’enregistrement double et, éventuellement, une Tva double. Mais ce sont des contraintes auxquelles les autorités sont en train de réfléchir. D’un autre côté, la partie à haute valeur ajoutée de la finance islamique, le sukuk, demande nécessairement la mise en œuvre de Spv (Special purpose vehicules). Ces Spv ne peuvent opérer que dans des juridictions fiscalement efficientes comme le Luxembourg. Dans cette niche, il y a une place à occuper pour le Sénégal. Et on peut parfaitement faire de ce pays un hub pour le développement des Spv ; ce qui permettrait à chaque institution financière qui émet des sukuk de se référer à la place sénégalaise. Parce que quand même, le pays a une stabilité institutionnelle, une monnaie solide et des ressources humaines de qualité. La volonté politique a été clairement exprimée, il faut du pragmatisme pour y arriver.

Mais pour le développement de la finance islamique, les choses bougent quand même au Sénégal...

Il est clair qu’il y a une vision limpide dans ce sens. J’ai vu à quel point le ministère des Finances du Sénégal s’implique pour la vulgarisation de cette nouvelle industrie. Au Sénégal, nous sommes en avance, il n’y a pas de doute, par rapport au monde francophone. Mais il faut qu’on matérialise cet avantage par des actions à même d’amener de la valeur ajoutée à notre pays, particulièrement par l’aménagement de zones franches pour permettre l’implantation des Spv à partir du Sénégal et que les opérateurs puissent y émettre des sukuk. Et pourquoi pas ouvrir un compartiment islamique au niveau de la Brvm, c’est tout à fait possible. Il y a l’Islamic index à Wall Street, il y en a aussi à la Bourse de Londres.

Certains pays rechignent toujours à développer la finance islamique. Ne pensez-vous pas que cela soit par manque de connaissance des enjeux certainement ?

Avec l’explosion du prix du pétrole et le développement des fonds souverains, il y a une manne certaine qui est à la recherche de placements charia-compatible, surtout dans les secteurs de l’énergie et des infrastructures. Et la zone où la croissance est attendue à ce niveau, c’est sans nul doute l’Afrique sub-saharienne. Cela veut dire qu’il y a un besoin qui est là, une offre de l’autre côté, il faut qu’on développe l’interface, la jonction, cela est faisable. Il n’y a pas de doute que la vision est clairement définie au Sénégal. Mais il faut une mise en œuvre, un pragmatisme.

Ne pensez-vous pas que l’implantation de cette finance islamique en Afrique sub-saharienne ne soit guère facilitée par l’existence des banques classiques qui ont déjà occupé le terrain ?

En fait, une banque classique peut parfaitement développer des produits islamiques, c’est ce qu’on appelle le modèle Windows. Cela a été la démarche de Bnp Paris Bas à Bahreïn. C’est une banque française qui opérait avec des produits classiques, mais qui s’est ajustée dans le marché avec beaucoup de flexibilité, beaucoup de pragmatisme et ils ont développé au pied levé un modèle Windows qui est maintenant un cas d’école. C’est une industrie en construction, peut être même que d’autres modèles pourraient être développés à partir de la place dakaroise, pourquoi pas ?

Par rapport à la vulgarisation de la finance islamique, ne pensez-vous pas que les docteurs en science islamique ont un rôle à jouer ainsi que l’Oci ?

Concrètement, l’Oci a joué un très grand rôle depuis le début. Si les gens parlent de finance islamique de par le monde, c’est en grande partie grâce à Oci. Cette organisation a encouragé la création d’infrastructures (Ifsb, Aaofi...) pour harmoniser et normer cette nouvelle industrie. N’oubliez pas que notre religion est traversée par plusieurs courants ou écoles (Maliki, Hambali, Hanafi, Chafiite et Jaafari) et harmoniser ces courants autour de l’essentiel n’était pas chose aisée.

Aujourd’hui, les Pme peinent à trouver des financements au niveau du système bancaire classique. Est-ce que la finance islamique peut être une alternative pour surmonter cet obstacle ?

Absolument. Mais il va falloir que les Pme aillent de plus en plus sur le marché. Il est vrai que dans le système francophone, en général, on a tendance à se faire financer par le crédit bancaire, ce qui n’est plus le cas dans les pays anglophones. Mais cela va arriver. Il y a un temps de latence linguistique, c’est-à-dire entre le moment où les théories sont élaborées et les pratiques adoptées dans la langue de travail qui est l’anglais et le moment où nous, Francophones, avons l’information. Durant ce temps, les marchés arrivent en maturité. Et du coup, les tickets d’entrée deviennent plus élevés, si bien qu’on éprouve plus de difficultés à utiliser ces nouvelles méthodes de financement. J’ai parlé d’index islamique au niveau de la Brvm, beaucoup d’entreprises sont certainement éligibles à ces types d’investissements qui, au-delà du marché local des capitaux, peut parfaitement drainer d’autres flux financiers qui sont à la recherche de cette cible spécifique. Encore faut-il qu’on vulgarise ces produits. Une fois de plus la vision est claire, mais il faut que la mise en œuvre soit rapide. Il y a des systèmes lents et des systèmes rapides. Et les systèmes rapides finissent par dominer. Le monde est ainsi fait.

A Casablanca, un séminaire va s’ouvrir sur le thème de l’implémentation des services financiers islamiques. Quels sont les objectifs de ce forum ?

Ce séminaire de Casablanca a pour ambition de donner des outils opérationnels aux acteurs des banques commerciales et des institutions de micro-finance, de même qu’aux autorités de régulation. Nous mettrons l’accent sur le fiqh al mouamalat, matrice de la finance islamique. Il est important de rappeler que la charia comprend deux dimensions importantes : l’Ibadah cad, les relations de l’homme avec Dieu et la mouamalat qui organise les relations de l’homme avec son prochain incluant les activités commerciales.

Nous nous attendons, à l’issue du séminaire, de voir fleurir des modèles windows dans les banques et les Imf.

Rappelons que cette nouvelle industrie connait une croissance à deux chiffres au niveau mondial et que le taux de pénétration dans la sous-région n’est que de 1%, vous voyez bien qu’il y a des efforts à faire.



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