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Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Economie

Mamadou DIOP DECROIX (Ministre du Commerce) : ' 75 000 tonnes de riz ont disparu du marché sénégalais '

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Mamadou DIOP DECROIX (Ministre du Commerce) : ' 75 000 tonnes de riz ont disparu du marché sénégalais '
C’est un ministre du Commerce qui semble être gagné par le dépit que nous avons trouvé, hier, dans son bureau, tant la situation à laquelle il fait actuellement face est pour le moins bizarre. En effet, selon Mamadou Diop Decroix pendant que les Sénégalais peinent à trouver du riz, cette denrée de première consommation est en quantité suffisante dans le pays. Seulement, explique-t-il, dans l’entretien qu’il nous a accordé, “il y a des commerçants véreux qui veulent faire une spéculation sur le riz”. Ce que l’Etat n’entend pas laisser faire. C’est ainsi qu’il a décidé de sévir tout en usant du dialogue.

Wal Fadjri : Qu’est-ce qui explique la pénurie de riz que connaît le Sénégal ?

Mamadou Diop Decroix : Pourtant, le riz est bien là.

Wal Fadjri : Alors, pourquoi les Sénégalais peinent-ils à en trouver ?

Mamadou Diop Decroix : Parce que des commerçants sénégalais ont stocké des milliers de tonnes de riz et ils pratiquent la spéculation. C’est tout. Vous gardez cent ou deux cents tonnes et vous sortez par compte-goutte, vous créez forcément une pénurie artificielle. Voilà ce qui se passe chez nous. Mais cette pénurie artificielle provoque aussi des comportements irrationnels chez le consommateur. Ceux qui ont les moyens d’acheter trois, quatre ou même cinq fois plus que leur besoin mensuel, le font. Cela a aussi créé un déréglement du marché. Enfin, il y a les évasions vers les pays limitrophes où le riz coûte deux à trois fois plus cher qu’au Sénégal où il est subventionné.

Wal Fadjri : Et que fait concrètement l’Etat pour mettre fin à tout cela ?

Mamadou Diop Decroix : Nous combinons plusieurs actions. Nous communiquons, sensibilisons et réprimons aussi. Hier (mardi, Ndlr), j’étais à Touba pour un plaidoyer auprès du khalife général des mourides. Ce dernier a pris une position très claire et ferme, demandant aux commerçants de libérer le riz et de le mettre à la disposition des consommateurs. Il a demandé de vendre le riz à des prix licites, c’est-à-dire, normaux. Le khalife est même allé plus loin, en demandant que la même chose soit faite sur les autres denrées et en précisant qu’il ne s’adressait pas seulement aux mourides, mais à tous les Sénégalais et en tant qu’autorité religieuse. Cela est un plaidoyer important. Nous lançons un appel solennel à tous les chefs religieux pour qu’ils nous aident auprès des populations parce que c’est une bonne chose que d’être dans un pays où la démarche participative est importante. L’Etat a la force avec lui, mais il faut convaincre d’abord les populations.

Wal Fadjri : Cette démarche consistant à impliquer les religieux dans la lutte contre la spéculation n’est-elle pas un aveu d’impuissance de l’Etat ?

Mamadou Diop Decroix : Mais non ! En réalité, il faut combiner tout. Mais pour cela, il convient de partir de comment notre société fonctionne. Je comprends bien votre souci, mais ça, c’est un schéma. L’Etat doit quand même utiliser toutes les modalités de régulation sociale. Par conséquent, parler avec les marabouts ne signifie pas qu’on est impuissant. Cela veut dire simplement que nous préférerions que les compatriotes comprennent et aient du civisme. Il y a quelque chose qui n’est pas normal dans la situation que nous vivons actuellement. Vous prenez l’argent de la subvention et vous refusez de vendre le riz dans le but de le revendre plus cher. Nous avons subventionné le riz pour que le consommateur ne l’achète pas au prix coûtant. Par conséquent, si vous vendez le riz à un certain prix, cela veut dire que vous avez décidé d’enfreindre la loi et ça, l’Etat ne peut l’accepter.

“Je ne suis pas allé à Touba dans l’optique de faire le tour des familles religieuses. Touba nous intéresse parce qu’il y a de très grands commerçants là-bas et nous savons qu’il y a du riz qui y est stocké dans beaucoup de magasins.”

Wal Fadjri : Pourquoi vous êtes-vous rendu chez le khalife général des mourides et pas chez celui des tidianes ?

Mamadou Diop Decroix : Je suis allé à Touba parce que je sais qu’il y a beaucoup de riz qui est stocké là-bas. Et là, vous posez une question pertinente parce que je ne suis pas allé à Touba dans l’optique de faire le tour des familles religieuses. Touba nous intéresse parce que c’est une grande agglomération, il y a de très grands commerçants là-bas et nous savons qu’il y a du riz qui y est stocké dans beaucoup de magasins. Il était donc normal que j’aille parler avec le khalife général des mourides.

Wal Fadjri : Pourquoi n’allez-vous pas directement vers ces magasins où est stocké le riz pour l’en faire sortir ?

Mamadou Diop Decroix : Mais il est toujours préférable d’expliquer en vue de sensibiliser d’abord, avant de frapper. Le marabout a, par exemple, parlé. Je pense que s’il y avait cent commerçants de Touba qui avaient stocké le riz, les quatre-vingt dix vont arrêter. Pour ce qui est des 10 %, s’ils savent que l’Etat est en train de frapper, certainement qu’ils vont se retirer de ce circuit malsain.

Wal Fadjri : Vous êtes-vous fixé un délai au-delà duquel vous allez passer à une vitesse supérieure ?

Mamadou Diop Decroix : Je suis revenu de Touba hier (mardi, Ndlr), je vais rencontrer le Premier ministre aujourd’hui (Ndlr : hier). Je lui rendrai compte de nos actions et, ensemble, nous allons voir comment passer à une vitesse supérieure. Il faut, à mon avis, passer à cette vitesse supérieure !

Wal Fadjri : Au vu de la gravité de la situation, ne pensez-vous pas que vous avez le devoir d’agir vite dès maintenant ?

Mamadou Diop Decroix : Vous avez raison. Je ne veux pas aller plus loin dans mes explications, mais comme je vous l’ai dit, je vais rendre compte au Premier ministre et croyez-moi que des mesures seront prises. L’Etat va absolument réagir. Déjà, des actes ont été posés. Nous ne pouvons pas continuer à être des otages de pratiques économiques, à la limite, inhumaines.

Wal Fadjri : En attendant, que faire ?

Mamadou Diop Decroix : Le principal, ici, est celui de la communication. Beaucoup de Sénégalais qui voient des pratiques illicites, ne savent pas à quel service s’adresser pour l’en informer, se plaindre ou porter plainte pour avoir une réaction de l’autorité. Souvent, le service concerné est éloigné et vous ne pouvez pas vous y rendre et pour le joindre, il faut payer, etc. Tout cela fait que les populations ne collaborent pas normalement avec l’Etat dans son combat contre les pratiques illicites. En tout cas, nous avons décidé de mettre un numéro vert, c’est le 8 000 7777, à la disposition des populations pour qu’en cas de découverte de magasins ou de boutiques où du riz est stocké, elles puissent nous prévenir pour qu’on agisse sur ces spéculateurs. Avec le numéro vert qui doit être opérationnel dès aujourd’hui (l’interview a eu lieu hier : Ndlr), les Sénégalais, où qu’ils se trouvent, peuvent nous joindre et aider à combattre les spéculateurs. Nous avons mis autour de ce numéro vert toute une organisation que nous appelons le Plan opérationnel de surveillance du territoire contre les pratiques illicites (le Postpi). Ce programme met en mutualisation les forces de police, de gendarmerie et la douane autour du service du ministère du Commerce. Ainsi, si nous avons la bonne information dans une ville, en principe dans une heure au maximum, ces forces devraient pouvoir intervenir et procéder aux opérations nécessaires. En dernier lieu, l’Etat doit aussi réprimer. Et à ce niveau, à la date d’avant-hier, lundi, nous avons saisi 1 600 tonnes de riz et dressé 1 600 procès-verbaux et des commerçants se trouvent en prison.

“L’Etat est en train de durcir le ton tout en articulant avec le plaidoyer pour que, très rapidement, les uns et les autres comprennent que ce qui se fait, n’est rien d’autre que des crimes économiques”

Wal Fadjri : Combien sont-ils ?

Mamadou Diop Decroix : Je n’ai pas le chiffre exact, mais retenez que des commerçants véreux ont été arrêtés et d’autres ont subi des amendes. En fait, l’Etat est en train de durcir le ton tout en articulant avec le plaidoyer pour que, très rapidement, les uns et les autres comprennent que ce qui se fait, n’est rien d’autre que des crimes économiques. Nous avions 200 mille tonnes de riz, il y a un mois. Or, notre consommation, c’est 54 000 tonnes par mois et aujourd’hui, on est entre 70 et 75 000 tonnes. Il y a quelque chose qui ne va pas. Il y a 75 000 tonnes qui ont disparu entre les magasins stockés ou par évasion. Souvenez-vous, nous avions pris des camions qui exportaient du riz subventionné. Maintenant, ce sont les charrettes qu’on utilise tout le long de la vallée du fleuve Sénégal. Des personnes venant de cette zone m’ont dit que le riz est mis maintenant dans des glacières et des sacs de voyage pour être transporté ailleurs. Convenez-en, cela est très grave. Il y a là un sérieux problème de civisme et même de compréhension des enjeux parce que ce riz est subventionné. Même le riz de contre-saison cultivé dans la vallée est menacé d’évasion alors que c’est du riz qui est également subventionné par le biais des intrants.

Wal Fadjri : Aujourd’hui, quelle est la quantité de riz qu’il faut pour que la situation revienne à la normale ?

Mamadou Diop Decroix : Nous consommons 50 mille tonnes de riz par mois. Il y a trois jours, nous avions 54 mille tonnes sur le marché et 19 mille tonnes sous douane. Donc, le riz est là, dans les magasins. Il faut qu’on aille le sortir. Et c’est ce que nous allons faire.

Wal Fadjri : Tous les grossistes sont-ils impliqués dans cette spéculations ou y en a-t-il qui se sont démarqués en respectant la loi ?

Mamadou Diop Decroix : Si, il y en a qui vendent normalement, sans problème. A Touba, par exemple, il y a un grand commerçant du nom de Mbaye Touré qui s’acquitte convenablement de son travail. D’ailleurs, le khalife général des mourides l’a félicité à haute et intelligible voix parce que Mbaye Touré est un grand commerçant exemplaire. Je me suis rendu au niveau de ses magasins où j’ai trouvé plusieurs gros porteurs avec des centaines de tonnes de riz. Pourtant, il vend le sac de 50 kg à 13 525 F, c’est-à-dire au prix normal et ce sont des centaines de personnes qu’on a trouvées sur place qui sont venues s’approvisionner. Cela veut dire qu’il y a des commerçants qui font normalement les choses.

Wal Fadjri : Et à Dakar, y en a-t-il ?

Mamadou Diop Decroix : A Dakar aussi, j’imagine. Je n’ai pas encore fait les quartiers. Mais nous allons frapper ceux qui continuent à narguer l’Etat, et nous allons bien frapper.

Wal Fadjri : Qu’en est-il du riz indien dont on avait annoncé la prochaine arrivée ?

Mamadou Diop Decroix : Le riz indien est suivi par notre ambassadeur en Inde. Je ne peux vraiment pas vous dire grand chose là-dessus. Peut-être faudrait-il se rapprocher du ministère des Affaires étrangères pour en savoir plus. En tout cas, l’engagement du gouvernement indien n’a pas été annulé, mais je ne peux pas vous en dire plus puisque je n’avais pris l’attache du ministère des Affaires étrangères avant cette interview.

Wal Fadjri : Au regard de la situation actuelle, que compte faire l’Etat pour rendre compétitif le riz de la vallée ?

Mamadou Diop Decroix : Je vais me rendre dans la vallée demain (aujourd’hui, Ndlr). Je vais regarder comment ça se passe et discuter avec les acteurs. On va voir les circuits de distribution et de commercialisation, ensuite on va agir.

“Les subventions sont capturées par des commerçants véreux. L’Etat subventionne le riz pour supporter le pouvoir d’achat des consommateurs et à l’arrivée, ces derniers achètent ce riz à un prix exorbitant. Est-ce qu’il faut moduler la subvention ? Faut-il la supprimer ? Doit-on trouver un système pour les couches défavorisées ?”

Wal Fadjri : Toute expérience étant enrichissante, peut-on s’attendre à ce que l’Etat revoit la question de la subvention du riz dans le futur ?

Mamadou Diop Decroix : Nous sommes en train d’examiner cette question. C’est le président de la République qui avait décidé de cette subvention de 5 milliards 100 millions. Actuellement, nous examinons les différentes hypothèses possibles. Nous en discuterons avec le Premier ministre et des propositions vont être faites. Pour l’instant, je ne peux pas dire dans quel sens celles-ci vont être orientées. En tout cas, ce qu’il faut retenir, c’est que des mesures seront prises car comme vous le constatez, les subventions sont capturées par des commerçants véreux. L’Etat subventionne le riz pour supporter le pouvoir d’achat des consommateurs et à l’arrivée, ces derniers achètent ce riz à un prix exorbitant. Est-ce qu’il faut moduler la subvention ? Faut-il la supprimer ? Doit-on trouver un système pour les couches défavorisées ? Il y a là beaucoup de questions qui surgissent, mais il y a quelque chose à faire.

Wal Fadjri : La subvention a-t-elle été entièrement versée aux importateurs de riz ?

Mamadou Diop Decroix : Oui (il insiste). C’est un flux constant. Ainsi, quand les importateurs sortent le riz, nous vérifions si celui-ci est bien arrivé à destination. A ce moment-là, nous libérons la subvention. Maintenant, il est arrivé que ce contrôle prenne du temps. Et cela gêne les importateurs, nous le savons bien. Mais eux, aussi, savent qu’on doit vérifier parce qu’il nous est arrivé de vérifier et de constater des choses.

Wal Fadjri : Lesquelles ?

Mamadou Diop Decroix : Il nous est arrivé de nous rendre compte qu’on voulait nous faire payer plus que la quantité de riz existante. Vous savez, dans chaque domaine, il y a des bons et des moins bons. C’est pour cette raison qu’on dit que la confiance n’exclut pas le contrôle. Maintenant, nous avons convenu, d’accord parties, qu’il faut accélérer les vérifications pour qu’il n’y ait plus de problème. Mais la question de fond est celle que vous avez posée tout à l’heure, à savoir qu’est-ce qu’il faut faire de la subvention. Si vous achetez le kilo du riz à 300 F au Sénégal, vous le revendez à 800 ou 1 000 F dans un pays de la sous-région, c’est quand même assez tentant. Alors qu’est-ce qu’il faut faire ? Cela est aussi valable pour le gaz. Ce sont des camions de gaz qui sont vendus dans les pays limitrophes. Il y a quand même un problème, hein ! C’est un problème économique qui n’est pas politique ou politicien. Il faut donc qu’on trouve un schéma économique en terme d’échange et qui puisse, peut être pas supprimer, mais au moins réduire à une portion marginale cette pratique.

Wal Fadjri : Mais pour le gaz, n’est-ce pas plutôt un problème d’approvisionnement du marché qui se pose ?

Mamadou Diop Decroix : C’est la même chose. Quand le gaz arrive, on le met dans les camions qui vont le vendre dans les pays voisins.

Wal Fadjri : Mais il n’y a pas de gaz justement…

Mamadou Diop Decroix : (Il coupe). Même les bouteilles de gaz restent. Si, au moins, en allant vendre dans ces pays, les gars se débrouillaient pour nous ramener les bouteilles. Non seulement, il n’y a pas de gaz, mais on nous prend aussi nos bouteilles (rires). On critique beaucoup l’Etat, mais il y a des comportements qu’il faut revoir chez nous.

Wal Fadjri : Vous aviez pris, en son temps, des mesures concernant le pain. Aujourd’hui, nous revenons à la situation de départ. Comment vivez-vous cela ?

Mamadou Diop Decroix : Cela veut dire que quand on arrête de mettre la pression, les gens retournent aux mauvaises habitudes. Tout ça, c’est un problème de civisme. Mais sur la question du pain, nous avons décidé de reprendre le dossier de manière très sérieuse et ferme. Le pain fait partie des produits, dont le prix est administré. Nous allons convoquer une réunion interministérielle avec les boulangers et les différents partenaires pour discuter de tout cela et trouver un schéma. Bien évidemment, lorque ce schéma sera retenu, nous tiendrons à ce que toutes les parties le respectent. Il faut qu’on soit, quand même, un peu plus ferme, sinon, c’est la grande masse qui va pâtir du mauvais comportement d’une minorité.

Wal Fadjri : Le prix du pain va-t-il rester à son niveau actuel ?

Mamadou Diop Decroix : On va discuter. On va voir s’il y a des facteurs favorables à une baisse ou un maintien ou des facteurs favorables à une hausse. On verra bien. Le prix du blé a quand même beaucoup baissé, mais le coût de l’électricité va augmenter. Nous allons voir ce qu’il faut faire pour que le prix baisse ou n’augmente pas.



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