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Economie

Michel Dané, secrétaire général de l'Organisation Mondiale des Douanes :« On a trouvé de la contrefaçon d'un dentifrice sénégalais, fait pour les Sénégalais, que vous utilisez et qui est fait par une usine sénégalaise »

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Michel Dané, secrétaire général de l'Organisation Mondiale des Douanes :« On a trouvé de la contrefaçon d'un dentifrice sénégalais, fait pour les Sénégalais, que vous utilisez et qui est fait par une usine sénégalaise »

Secrétaire de l'Organisation Mondiale des Douanes depuis 1999, Michel Dané, est aujourd'hui âgé de 65 ans. A la tête d'une organisation de 171 membres, ce français se veut expert reconnu sur des questions qui touchent la contrefaçon, la piraterie, la fraude et la contrebande. Au vu du rôle central que jouent les douanes qui gèrent 98% du commerce mondial, font 70% de saisie des produits contrefaits et 60% des produits de drogue dans le monde entier, il revient en large dans une interview qu'il nous a accordé, sur les dangers des produits contrefaits,le niveau d'implication des pouvoirs publics, les faiblesses des moyens de lutte et les nombreux obstacles qu'ils rencontrent pour leur stabilisation dans le monde. Aussi, n'a-t-il pas manqué de souligner que l'Afrique restait la poubelle de ses produits qui causent d'énormes problèmes de santé et de sécurité publique sans oublier de faire une révélation fracassante de contrefaçon qui touche notre pays. Entretien…

•  Contrefaçon, 5 à 7% du commerce mondial

•  500 milliards d'euros en valeur

•  Des tissus sénégalais, photographié et envoyé en Chine

•  Des freins de voitures en herbe séchée

•  Channel n'est pas Charnel

•  Cannibalisation du parc automobile africain

•  Fausses pièces détachées d'avions

•  L'Afrique, une poubelle

L'office : Apparemment, Mr le secrétaire général connaît bien le Sénégal ?

Vous savez que pour un français, le Sénégal reste un pays d'hôte, parce que je suis un pur produit de l'administration des douanes françaises dans le cadre d'une politique bilatérale qui existe entre Paris et Dakar. Donc, il y'a toujours eu une politique de coopération entre nos deux pays et les deux administrations des douanes. Et depuis mon élection à la tête de l'Omd, je me suis toujours appuyé sur ceux qui m'ont apporté leur soutien, à savoir les pays francophones dont le Sénégal et sur ceux qui partagent les mêmes visions ou les mêmes approches des problèmes que la communauté douanière rencontre. Et encore une fois, ici au Sénégal j'ai toujours eu avec les différents gouvernements et les différents directeurs généraux, tout le soutien politique, administratif, technique, diplomatique pour prendre un certain nombre d'initiative. Et le Sénégal, dans le cadre de l'organisation, a une place particulière, et qui permet également de mener des projets pilotes, des expérimentations, qui après, pourront être répandu dans le reste de l'Afrique, de la sous région ou dans d'autres pays du monde.

L'office : La contrefaçon ou encore la piraterie, restent-elles un fléau mondial ?

C'est un sujet qui m'inquiète depuis plus de deux ans. En effet, il y'a de cela deux à trois ans, nous étions à Bruxelles au quartier général de l'organisation, entrain de regarder les saisies effectuées par les administrations douanières dans le monde entier. Et là, nous nous sommes rendus compte, en compagnie des différents ministres du budget du monde entier, qu'au sein de l'Union Européenne, les saisies de produits contrefaits avaient augmenté entre 1998 et 2004 de plus 1000%. Et ce sont des pourcentages que nous n'avons pas l'habitude d'atteindre. Et même, si les administrations douanières sont efficaces, c'est quelque chose qui nous a laissé perplexe. Les douanes américaines annonçaient des saisies mensuelles de 100%, et d'autres douanes de l'hémisphère Sud, des saisies de 80%, et pour la France , une augmentation des saisies annuelle de plus de 100%.

L'office : Aucune étude pour expliquer ce phénomène qui va de mal en pie ?

Si ! Brutalement, nous nous sommes demandés, mais qu'est qui se passe ? Pourquoi avons-nous une telle augmentation des saisies douanières ? Même si nous pensons que nos fonctionnaires et nos services douaniers sont de meilleure qualité, et sont plus efficace, mais là, il y'avait quelque chose qui nous a inquiété. Nous nous sommes retournés vers les titulaires de droit, et quelque soit les métiers et les secteurs, nous nous rendus compte qu'il y'avait la contrefaçon et le piratage partout ! Nous avons essayé d'imaginer la vie d'un pays, ou d'un quelconque citoyen qui se levait le matin. Et au moment où il quittait le lit, réveillé par un faux réveil, et à travers toute sa journée personnelle, privée, professionnelle, il était entouré d'un monde du faux. Il s'habillait avec une fausse chemise, de fausses chaussures, il avait un faux sac, de fausses lunettes, et prenait peut-être même un jus de fruit qui était faux. On était donc affolé de voir que la contrefaçon n'était pas seulement dans des produits de luxe, de marque, mais partout.

L'office : C'est qui voudrait dire quoi exactement ?

Hé bien ! Nous retrouvons la contrefaçon dans les pièces détachées de voitures, d'avions, d'hélicoptères, de bateaux. Ce qui veut dire que nous avons la contrefaçon dans tous les produits et surtout alimentaire. Ce qui est embêtant, c'est lorsque nous nous sommes rendus compte que les gens buvaient des eaux minérales, qui en réalité sortaient des égouts, là il y'a problème. Tout ce qui était la parapharmacie, utilisée pour les enfants, tout ce qui était des jouets, tout ce qui était pour la maison était faux, et l'on s'est retrouvé avec le problème des faux médicaments et avec des morts. Des morts annoncés notamment dans les pays pauvres et ceux en voie de développement. Par ailleurs, des campagnes de vaccination qui étaient menées au Niger contre la méningite avec 2500 enfants qui mourraient, des laits maternels qui étaient vendus à des enfants en Chine ou en Afrique avec des nourrissons qui mourraient aussi. Là, il faut donc signaler que les grandes pandémies et les graves maladies africaines sont l'objet de produits contrefaits. C'est dire donc, que sommes soumis à un problème mondial, un énorme problème à résoudre. Donc, il faut traiter la contrefaçon comme la drogue ou comme le terrorisme, c'est-à-dire en utilisant les mêmes méthodes et en faisant en sorte d'avoir une approche globale, une vision globale et une réponse globale.

L'office : Donc, la lutte contre la contrefaçon et le piratage, sont aujourd'hui une priorité pour l'Omd ?

Ce n'est pas seulement une lutte des services de douane, de police qui sont engagés dans ce combat. Pour y arriver, nous avons fixé comme priorité la lutte contre la contrefaçon et le piratage et à cet effet, nous avons obtenu que cette question soit traitée par le G8 qui est le sommet des chefs d'Etat les plus puissants et les plus riches au monde. Cela peut paraître choquant dans les pays du Sud, mais l'important est que les chefs d'Etat réfléchissent au phénomène de la contrefaçon et indiquent des voies et moyens.

L'office : Concrètement, à quel niveau l'Afrique est-elle concernée ?

Alors ! De manière concrète, l'Afrique est concernée à plusieurs titres. Deux choses nous inquiètent sur l'Afrique. La première, c'est que l'Afrique est devenue une terre de transit pour dissimuler l'origine des produits contrefaits. Beaucoup de ses produits arrivant des zones asiatiques comme la Chine. En s'efforçant de cacher l'origine de la marchandise, on passe par un autre port, aéroport, ou une autre zone franche pour changer les documents, casser les itinéraires, et l'Afrique se révèle comme une voie de passage des produits contrefaits. Le deuxième élément, c'est qu'en raison de la pauvreté, du sous-développement qui frappe l'Afrique, elle devient la poubelle. Sous prétexte qu'il n y a pas de pouvoir d'achat, on met sur le continent toute les gammes de produits contrefaits qui sont consommés par la population. Quand vous êtes pauvres, nus et sans espoir, mais que vous avez une fausse chemise Lacoste ou des fausses Nike, vous n'allez pas mourir. Et quand vous êtes malade et que vous preniez un faux médicament qui risque de vous tuer, ce n'est pas acceptable. Et l'Afrique avec ses spécifiés, de sa lutte contre le piratage et les visites que j'ai faites au Sénégal, au Burkina Faso et sur la parie orientale du continent, m'ont permis de mieux comprendre que c'était pas les solutions préconisées qui allaient s'appliquer immédiatement, parce qu'étant plus compliquées pour les pays du Sud. De ce point de vue, faudra être assez patient par rapport à la réponse que l'on pourrait apporter.

L'office : Ne faut-il pas que les pouvoirs publics essaient de la manière la plus accrue, de lutter contre la pauvreté qui sévit sur le continent, pour pouvoir augmenter le pouvoir d'achat des populations ?

C'est vrai et c'est faux en même temps. C'est vrai parce que si vous avez des populations qui n'ont pas un dollar par jour pour vivre, ils achèteront les produits qu'ils trouveront sur le marché avec les faibles revenus qu'ils ont. Un père de famille qui achètera trois paires de chaussures contrefaites pour ses enfants au prix où elles sont, les habillera certes, mais ne pourra pas acheter une seule paire de chaussure de marque normale pour un membre de la famille. Donc, c'est vrai que le phénomène est lié à cette pauvreté. Ce qui m'embête dans ce schéma, c'est que ce sont des produits de mauvaise qualité. Cependant, même avec des salaires de niveau élevé comme en Europe ou aux Etats-Unis, vous trouvez de la contrefaçon dans les rues de New York ou encore Paris. Le problème de la pauvreté est compliqué parce que lié aussi à l'illettrisme. Quand les gens savent lire, ils peuvent faire attention en sachant que Channel n'est pas Charnel. Donc, on peut espérer qu'il n'achètera pas. Mais quand les gens ne savent pas lire et qu'on leur mette les mêmes couleurs ou les mêmes disign sur les produits, ils peuvent penser en bonne foi qu'ils achètent un bon produit. On a un problème de la demande et de l'offre et il faut expliquer dans les pays pauvres comme développés pourquoi la contrefaçon tue des économies, des emplois, des entreprises, de l'innovation, etc. pourquoi le consommateur doit-il privilégier le vrai du faux.

L'office : Peut-on avoir une idée du coût de ce phénomène des temps modernes pour l'économie mondiale ?

Nous avons quelques chiffres et comme toujours, quand vous êtes dans les grands fléaux mondial comme la drogue, l'émigration, il est quand même un peu difficile pour pouvoir quantifier exactement ce qui est illégal et ce qui échappe aux autorités nationales. Mais, nous pouvons dire aujourd'hui, que la contrefaçon représenterait 5 à 7% du commerce mondial. Ce qui signifie que c'est monstrueux. En valeur, cela équivaudrait à 500 milliards d'euros. Alors, laissez moi vous dire que cette contrefaçon touche absolument tous les produits. Ici au Sénégal, j'ai trouvé des choses que je ne savais pas. On a trouvé de la contrefaçon d'un dentifrice sénégalais, fait pour les Sénégalais, que vous utilisez et qui est fait par une usine sénégalaise. Et il n'est pas exporté dans les pays voisins du continent africain. Le ministre délégué chargé du budget m'expliquait d'énormes contrefaçons d'allumettes ici à Dakar et sur les batteries. Il m'a aussi expliqué que dans vos ateliers artisanaux où un certain nombre de personnes créent des tissus typiquement africain et typiquement sénégalais, aux couleurs et aux formes particulières, sont immédiatement pris en photo par des résidents chinois qui les scannent et les envoient vers des usines qui se trouvent en Chine. Et quinze jours après inondent le marché pour tuer la petite entreprise sénégalaise parce que contrefait, devient moins chers que le produit sorti des mains et de la créativité de l'artisan sénégalais.

L'office : Revenons-en avec le problème de dentifrice que vous venez d'aborder. Cela veut dire que les Sénégalais, soumis à un problème de santé publique, il y'a comme qui dirait une certaine impunité et un laisser faire ?

Le problème que nous avons aujourd'hui sur la contrefaçon, reste un problème d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique. Tous les médicaments ou autres produits qui touchent le corps humain posent un problème. Nous avons par exemple trouvé, pas au Sénégal mais ailleurs en Afrique, des freins de voiture qui étaient faits en herbe séchée. Ce qui veut dire qu'au premier freinage, la voiture rentre dans le mur ! Quand on voit l'état du parc automobile africain où l'on cannibalise les voitures pour les faire durer le plus longtemps possible, nous encore là un énorme problème. Juridiquement, la contrefaçon pose un énorme problème. Ce n'est pas parce que l'entreprise a déposé sa marque et son brevet, qu'elle est pour autant protégée de la contrefaçon. Il faudrait mettre en place des mécanismes, des listes pour telle ou telle produit pour savoir qu'est ce qu'on fait d'un produit qui est contrefait, mais qui ne rentre pas dans cette catégorie. Si la contrefaçon s'est autant développée, c'est qu'il n'existe pas un ordre international juridique de très bon niveau. Les accords de l'Omc sont faibles et sont des accords à minima qui empêchent les administrations des douanes de travailler sur ce sujet. Certains pays en développement ont jusqu'à 2013 pour se doter d'une législation anti-contrefaçon ou anti-piratage. Aussitôt la contrefaçon, la criminalité organique trouve des zones sans défense où elles peuvent s'engouffrer immédiatement qui leur permettent de développer en toute impunité leurs dispositifs.

L'office : Comment faire pour abattre ce grand monstre ?

Je considère que nous avons perdu la première manche de notre combat au vu de l'expansion de la contrefaçon. Que vous disiez que c'est le crime du 21eme siècle, le mouton noir de la mondialisation ou le tueur silencieux, peu importe les termes, nous avons en face de nous un véritable fléau mondial qu'il faut stabiliser, avant d'envisager de l'éradiquer. Il faut donc une législation internationale qui nous permette de mieux lutter contre ce phénomène. Qui va la prendre, comment la prendre, où allons nous la prendre et quel va être le courage des gouvernements des pays du nord et ceux du sud, qui n'ont pas les mêmes moyens, les mêmes situations pour pouvoir avoir un dispositif de cette nature. Sur le même fil, un engagement des gouvernements à pouvoir protéger leurs populations, que cela soit de l'ordre public, de sécurité publique ou de santé publique. Cela va certes être un exercice difficile surtout pour les gouvernements, qui voulant résoudre le problème du chômage, laissent émerger des entreprises qui fabriquent de la contrefaçon. S'attaquer au pays producteurs, pour qu'on nom du développement et du commerce licite et légitime, clé de voûte du sous-développement et de la lutte contre la pauvreté, que ces pays s'engagent dans une politique de production de produits légitimes. Aussi, convaincre les consommateurs, qu'acheter un produit contrefait est un acte négatif.



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