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Monday 01 September, 2025
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Microfinance au Sénégal : entre levier d’émancipation et spirale d’endettement silencieuse

Auteur: Aïcha FALL

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Portée comme une réponse à l’exclusion bancaire, la microfinance occupe aujourd’hui une place centrale dans le paysage économique sénégalais. Elle s’adresse principalement aux populations à faibles revenus, aux femmes, aux acteurs de l’économie informelle et aux petits exploitants agricoles, souvent ignorés par les circuits traditionnels du crédit. Depuis le début des années 2000, ce secteur a connu une expansion fulgurante. En 2023, selon les données de la BCEAO, plus de 3,5 millions de clients étaient servis par quelque 400 institutions de microfinance (IMF) agréées, pour un encours global estimé à plus de 500 milliards de FCFA.
 
Si la microfinance a permis à des milliers de Sénégalais de financer une activité génératrice de revenus, de couvrir des besoins de santé ou de scolarité, ou encore d’amortir les chocs économiques, elle suscite également de vives inquiétudes. Derrière l’image d’un instrument d’autonomisation se cache parfois une mécanique redoutable d’endettement en cascade, où les emprunteurs s’enlisent dans une succession de crédits sans perspective de remboursement durable.
Les premières alertes sont venues des milieux associatifs, relayés ensuite par plusieurs études menées notamment par le Consortium des ONG intervenant dans la microfinance (CONGAD) et par la BCEAO. Dans certaines zones périurbaines de Dakar, de Thiès ou de Ziguinchor, des ménages cumulent jusqu’à quatre ou cinq prêts simultanés auprès de différentes structures, sans coordination entre les institutions. Le surendettement devient alors un piège silencieux, entretenu par une méconnaissance des taux réels, des délais de remboursement courts et une pression sociale souvent très forte.
Le problème réside moins dans le principe même de la microfinance que dans ses dérives. Dans une logique de rentabilité accrue, certaines institutions, en particulier les plus grandes, adoptent des pratiques proches de celles des banques commerciales : multiplication des frais annexes, taux d’intérêt effectifs pouvant dépasser 30?% annuels, relances agressives en cas de retard, saisie de biens personnels ou pression exercée sur les garants solidaires. Le rôle initial de la microfinance - outil de solidarité et d’ascension économique -tend à s’éroder au profit d’une dynamique plus marchande.
Face à ces dérives, les autorités de régulation ont renforcé le cadre juridique. La BCEAO, à travers sa Direction de la microfinance, impose désormais un plafond d’endettement, fixe des normes prudentielles plus strictes et exige une plus grande transparence dans la communication des conditions de crédit. L’obligation de consulter la centrale des risques de la microfinance (CRM) avant tout octroi de prêt vise à limiter le cumul non maîtrisé des emprunts. Ces efforts commencent à porter leurs fruits, mais les effets restent encore partiels, en particulier pour les petites structures communautaires, souvent peu équipées en outils numériques.
Sur le terrain, certaines innovations sociales redonnent du sens à la microfinance. Des modèles basés sur la finance islamique, sans intérêt, gagnent du terrain, notamment dans les régions de Kaolack et Touba. D’autres initiatives, comme les caisses villageoises autogérées, réintroduisent la confiance et l’autonomie au cœur des mécanismes de crédit. L’accompagnement non financier - formation à la gestion, éducation budgétaire, appui à la structuration des activités -s’affirme de plus en plus comme une condition essentielle de réussite.
La microfinance reste ainsi une réponse pertinente aux limites du système bancaire classique, mais elle ne peut se substituer à une véritable politique publique de développement. Elle doit être encadrée, repensée et recentrée sur ses bénéficiaires réels, sans dérive consumériste. Loin d’un simple outil de survie, elle peut redevenir un instrument d’émancipation économique, à condition de préserver l’équilibre entre l’accès au crédit et la protection de l’emprunteur.
Le Sénégal se trouve à la croisée des chemins. Soutenir la microfinance, oui, mais pas à n’importe quel prix. Le secteur doit aujourd’hui choisir entre deux trajectoires : celle d’un modèle solidaire au service des exclus du système, ou celle d’une financiarisation déconnectée de sa mission première.
Auteur: Aïcha FALL

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