Les prix des denrées de première nécessité continuent leur flambée malgré l’engagement du président Wade de les contenir. Comment comprendre ce paradoxe ? C’est ce à quoi tente d’aider, à grands renforts d’éclairages, le professeur Moubarack Lô, ingénieur statisticien économiste, Président de l’Institut de l’émergence.
En tant qu’économiste, quelle lecture faites-vous de la hausse continue des denrées de première nécessité ?
C’est une tendance planétaire. Deux phénomènes sont en cause. D’abord, l’utilisation croissante de produits alimentaires dans la fabrication de biocarburants, dans un contexte de difficultés pluviométriques dans certaines zones du monde (Océanie par exemple), pousse à la hausse les prix des huiles végétales et des céréales. Ensuite, on note une très forte augmentation de la demande de matières premières en provenance des deux géants émergents que sont l’Inde et la Chine qui, par son ampleur, provoque un profond déséquilibre entre l’offre et la demande sur les marchés. En 2007, ces différents facteurs ont généré, selon les estimations de la Banque mondiale, un accroissement global de 15 % de l’indice des prix agricoles et de 20 % de l’indice des prix des denrées alimentaires. Pour le Sénégal, les calculs de l’Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie (ANSD) font état d’une hausse de 9% des prix des biens alimentaires sur les douze mois de l’année 2007, avec des pics de 42,8% pour le lait et de 28,8% pour l’huile.
Selon vous, pourquoi le gouvernement ne parvient-il pas à stopper cette saignée alors qu’il avait promis des solutions à ce problème ?
C’est le président de la République qui avait promis une baisse des denrées en janvier 2008. On constate que cette promesse n’a pas été tenue. Paradoxalement, les choses ont même empiré pour les ménages, puisque le prix du riz a augmenté depuis lors. En vérité, l’Etat échoue dans sa politique de lutte contre l’inflation pour deux raisons. Primo, il n’a pas pris le soin de mettre sur pied une bonne stratégie en la matière, c’est-à-dire une politique globale, cohérente, bien communiquée et dont la mise en œuvre est étroitement coordonnée par le gouvernement. La tactique consistant à jouer sur les effets d’annonce, plus fracassants et inefficaces les uns que les autres, montre, de manière éclatante, ses limites. Secundo, l’Etat a fait un mauvais diagnostic de la source de l’inflation, en ciblant uniquement les cours sur les marchés mondiaux, en oubliant les comportements de marge des industriels et des commerçants qui, concomitamment avec la hausse des prix mondiaux, génèrent l’inflation galopante. C’est ainsi que, jour après jour, chaque branche industrielle entre dans la danse et annonce des hausses des prix, profitant en quelque sorte du manque d’organisation (volontaire ou involontaire) de l’Etat, de la confusion générale et de l’asymétrie d’information qui règne en sa faveur.
Après le riz, aujourd’hui c’est le savon, le café et probablement l’huile. Compte tenu des prévisions de l’évolution du marché mondial, à quoi les consommateurs sénégalais devraient-ils s’attendre les prochains jours ?
Les cours des principales matières premières se situent dans une tendance haussière. Ceci explique en partie les répercussions sur les prix à la consommation des produits précités. Mais, comme indiqué plus haut, le tout est de savoir si les industriels font un juste ajustement ou s’ils adoptent une stratégie de renforcement de leur marge. Ce qui serait inacceptable. Il importe également de veiller à ce que, de la même manière que les industriels et les commerçants se précipitent, lorsque les cours mondiaux montent, pour exiger ou justifier la hausse de leurs prix, qu’ils acceptent également de baisser leurs prix lorsque la tendance se retourne. Le maintien d’un comportement asymétrique serait de nature à enfoncer les ménages dans la pauvreté.
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