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Economie

Quand la dèche gagne Mboro et Darou Khouddoss: Les conséquences sociales de la crise des Ics

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Quand la dèche gagne Mboro et Darou Khouddoss: Les conséquences sociales de la crise des Ics

Naguère fleuron de l’économie du pays, les Ics traversent aujourd’hui une crise aux conséquences sociales incommensurables. Pour une population dont le pouvoir d’achat dépend à plus de 80%, de ce joyau, les habitants de Mboro, Darou Khoudoss et autres localités environnantes n’ont plus que leurs yeux pour pleurer. Et leur foi pour s’en remettre à Dieu. Restaurants, boutiques, boulangeries, cabines téléphoniques, bars, discothèques, ateliers de couture, salons de coiffure, salles de jeux, ferment à la pelle.

ICS logo senegalConséquences, les cas de vols et d’agressions gagnent du terrain. Un tour à Mboro et Darou suffit pour s’en convaincre. Reportage… Il est 13h30. Le soleil darde impitoyablement ses rayons sur Diamaguène. Un paisible quartier de Mboro. Dans chaque coin de rue, jeunes, femmes, personnes âgées, sont là assis au pied d’un arbre. Ils devisent sur leur sort. Visages bridés. Regards par moments tournés vers le ciel. Comme si quelques mannes devraient leur tomber du ciel. Ici, ce n’est pas la canicule qui inquiète. Une seule question taraude les esprits : Où trouver la dépense quotidienne ? En face de nous, une papeterie qui fait office de cabine téléphonique.

Mourtala Diop en est le gérant. Il nous accueille avec beaucoup d’égards. D’un geste preste, il nous introduit. Et se prête volontiers à nos questions. Demandez-lui si les affaires marchent encore bien pour lui. Comme s’il venait de lire un célèbre conte d’Amadou Koumba, il rit sous cape, hoche la tête, rajuste sa chemise avant de répondre d’une voix grave : « Mon cher, ici à Mboro, tout est paralysé. Aucun secteur de l’activité économique ne marche. Comme vous le constatez, je vends aussi des cassettes-vidéo. Avant la crise des Ics, il m’arrivait de vendre dans la journée 10 à 15 cassettes. Mais actuellement, j’en vends 2 ou 3 au maximum. Je n’ai plus de prix fixe. Je me contente de ce qu’on me sert comme argent. Si je suis encore là, c’est parce que je n’ai pas trouvé mieux.

Faites un tour dans la ville. Vous vous rendrez compte que beaucoup de cabines téléphoniques ont fermé boutique. La clientèle est composée des travailleurs des Ics, c’est-à-dire les cadres et les ouvriers. Etablis ici, loin de leurs familles, ils ont besoin de passer toujours des coups de fils pour s’enquérir des nouvelles de leurs parents. Ils sont en chômage. Plus d’argent pour téléphoner. Pour éviter d’avoir des problèmes avec la Sonatel, les gérants des cabines sont obligés de mettre la clef sous le paillasson ». Un détour vers le quartier Escale a suffi pour se rendre à l’évidence. Plus d’une dizaine de cabines téléphoniques ont baissé leurs rideaux. Non loin de notre interlocuteur, c’est l’arrêt cars Taïba. En face de nous, le « Restaurant La Téranga Mado Boutique ». Une dame serviable gère ce restaurant moderne. Madeleine Guèye, c’est son nom.

ICS industrieElle se fait aider par une jeune nymphe, Marie Lucienne ou Ndèye Marie pour les intimes. Malgré son sourire à vous faire oublier vos mille problèmes de la journée, pour autant, Mado n’échappe pas aux contre-coups du « tsunami » qui a fini de plonger les Ics dans le gouffre. « Plus rien ne marche ici. Il m’arrivait d’accueillir plus d’une trentaine de clients dans la journée, tous des travailleurs des Ics. Plus personne ne vient maintenant. C’est seulement la nuit que des clients arrivent à compte-gouttes. Il s’agit, notamment de quelques mécaniciens qui rentrent tard. Actuellement, je reçois dans la journée 5 clients au maximum », confesse-t-elle non sans déception. 14 heures. C’est l’appel à la prière. A. Ba, est un ancien étudiant de l’Ucad. Il nous accorde une dizaine de minutes. Cet ancien du Mouvement des élèves et étudiants libéraux a roulé sa bosse dans tous les coins et recoins de Dakar à la recherche d’un emploi. N’ayant pu trouver le sésame dans la capitale, il a rejoint d’autres horizons. A Mboro où il gère sa petite boutique, tout se résume aujourd’hui à la mévente.

La crise des Ics est encore passée par là. « On n’ose même pas parler de recettes. Rien n’entre dans les caisses. On vend à perte. Les gens viennent pour prendre à crédit. Parfois, ils ne paient pas leurs dettes. C’est la fidélité à la clientèle et la foi en Dieu qui nous restent », lâche ce jeune commerçant, l’air tout abattu. Les stations à essence ne sont pas épargnées. A la station Total, en face de L’Oasis Akiboulane. Joe Marone, Mohamed à l’état civil, explique que les travaux sont au ralenti, notamment pour ce qui concerne l’entretien. « Ce sont les travailleurs des Ics qui venaient ici pour l’entretien de leurs véhicules. Actuellement, on ne voit plus personne. Même pour les bons d’essence, tout est arrêté. On ne leur en donne plus. Ce qui nous fait un manque à gagner terrifiant ». A quelques encablures d’ici, c’est le Restaurant-Bar 5/5. Même si le patron semble un peu trop serein, l’une des employées, N. Diédhou affiche quelques inquiétudes. « La situation n’est pas des meilleures ici. Comme partout, nous vivons les conséquences de la crise. Depuis ce matin, je n’ai vendu que pour 1.500frs. Je m’apprêtais même à rentrer (il était 16h, ndlr) alors qu’avant, il m’arrivait de rester ici jusqu’au-delà de 22h », nous confie-t-elle. Cap sur le marché Escale. Ici, un seul mot sur les lèvres.

« Rien et vraiment rien ne marche ». Astou Diop vend des agrumes et autres légumes. Elle égrène le même chapelet de lamentations. « Nous ne pouvons pas rester à la maison à ne rien faire. Voilà pourquoi nous sommes ici. Mais, choisir de rester à la maison ou de venir au marché, il n’y a pas de différence. Du matin au soir, nous ne repartons pas avec plus de 800frs. Les épouses des travailleurs des Ics n’ont pas d’argent pour venir faire leurs achats. Ce sont elles notre clientèle. Avant la crise des usines, entre 8h et 18 heures, on pouvait faire des recettes de 6 000 à 8 000frcs. C’en est fini, çà !. Actuellement, à partir de 15h, le marché commence à se vider de son monde. Les gens ne peuvent pas rester à se tourner éternellement les pouces ». Darou Khoudoss, l’épicentre de la crise.

De toutes les localités qui ceinturent les Ics, Darou Khoudoss qui polarise une soixantaine de villages, semble, à n’en point douter, le village le plus touché par la crise. Il est 17h. Les habitants affichent une mine d’enterrement. Aucune activité de loisirs. Salles de jeux, menuisiers, mécaniciens, ébénistes, tapissiers, coiffeurs, gérants de cabines téléphoniques, sont en chômage. Même plus le moindre coup de marteau. C’est ici que la plupart des saisonniers des Ics ont élu domicile. Des milliers de jeunes, venus des quatre coins du pays, à la recherche du travail aux Ics, ont établi leurs quartiers dans ce village. Avec le « naufrage » des usines, ils ne peuvent plus se prendre en charge. Conséquence, c’est le grand banditisme auquel s’adonnent déjà certains d’entre eux. Pape Diouf gère un salon mixte de coiffure au Carrefour Ics. Littéralement abattu après une longue journée passée à lire le Saint Coran plutôt qu’à travailler, il témoigne :« Mes clients étaient les ingénieurs, les cadres, leurs enfants, leurs épouses et les saisonniers des Ics. Au minimum, je rentrais le soir avec 10 000f ou plus. Mais, je ne vois plus personne. Voyez, je peux rester maintenant toute la journée sans voir personne.

On ne peut pas rendre compte de l’enfer que nous vivons ici. La chose la mieux vendue, c’est désormais la drogue. Des jeunes qui vivaient dans des conditions décentes sont tous aujourd’hui en chômage. Les cas de vols et d’agressions se multiplient de jour en jour ». Mme Ndèye Khady Sène, infirmière-chef de poste de santé de Darou Khoudoss ne soutient pas le contraire. « Depuis quelque temps, les cas de vols gagnent du terrain dans ce village. Désormais, il y a un peu de tout à Darou. Et cela nous inquiète au plus haut niveau ». Sur les activités du Centre de santé dont elle est la responsable, Mme Sène explique : « 70 à 80% des populations d’ici travaillaient aux Ics. Après les consultations, ces gens-là prenaient leurs médicaments à la pharmacie privée du village. Ce qu’ils ne peuvent plus faire parce qu’ils n’ont plus d’argent. On est obligé de diminuer le traitement. Ce qui est dangereux. Heureusement que la crise a coïncidé avec une dotation de médicaments dont nous avons bénéficié de l’Etat. Seulement, le pire est à craindre. Dans les prochains jours, on n’aura plus de médicaments. Pour les consultations pré-natales, les tickets sont vendus à 300f, pour les consultations des adultes, il faut 300f et 200f pour les enfants et 3000f pour les accouchements. Actuellement, les patients se présentent sans aucune pièce d’argent. On est obligé de les aider. Mais jusqu’à quand ? Le personnel est payé sur les recettes des tickets. Et si on n’en vend plus, c’est une autre catastrophe ». Non loin du Poste de santé, la Pharmacie « Borom Deur bi Serigne Abdourahmane Mbacké ».

Ici, la pharmacienne, Mme Tall souligne que les activités sont en baisse. « On ne sert plus les Ipm. Nous sommes obligés de limiter nos commandes au niveau de nos fournisseurs comme Laborex, Sodipharm… ». Un studio photo « Xippi » sis au Carrefour Ics, au quartier Nass, Rte de Mboro est géré par le jeune Mamour Guèye, la trentaine révolue. M. Guèye passe la journée à Darou dans son studio pour ne rentrer qu’à la tombée de la nuit dans sa ville natale de Thiès. Il explique son lot de misères. « Les activités marchaient bien. Dans la journée, je pouvais réaliser au minimum 40 000f de recettes grâce aux reportages sur les mariages, les baptêmes, les réceptions et autres cérémonies qu’organisaient les femmes des travailleurs des Ics. En restant au studio, je recevais au minimum 20 clients. Actuellement, il n’y a plus personne. Si la chance me sourit, j’accueille 2 ou 3 clients au maximum ».



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