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« Préparer une nouvelle génération de leaders charismatiques » : Saliou Konté retrace son héritage

Auteur: Entretien réalisé par Lena THIOUNE

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Après 23 ans de carrière au sein de la Fondation Friedrich Ebert, Saliou Konté, directeur de programme, tire sa révérence en juillet 2025. À travers les initiatives « Leadership politique » et « Paix pour la Casamance », il a marqué la vie politique et sociale du Sénégal. Dans cet entretien accordé à Seneweb, il revient sur son parcours riche et ses contributions majeures.
Est-ce que vous pouvez nous parler un peu du programme Leadership politique ?
Le programme Leadership politique est né d’un constat : les jeunes n’occupaient pas une place prépondérante dans la démocratie sénégalaise. Nous avons alors jugé pertinent de créer un espace où ils pourraient faire entendre leur voix. En 2007, nous avons lancé cette initiative en collaboration exclusive avec les partis politiques. Nous avions débuté avec 22 jeunes issus de diverses formations politiques : PS, PDS, PIT… Ainsi, nous incluions aussi bien des représentants du pouvoir que de l’opposition. Cet espace démocratique permettait aux jeunes leaders de s’exprimer librement, favorisant ainsi un changement générationnel. À cette époque, l’espace politique était dominé par des acteurs plus âgés. Il était donc crucial de préparer une nouvelle génération de leaders, non seulement charismatiques et éloquents, mais aussi capables de maîtriser les dossiers dont ils parlaient.
Le programme incluait ainsi une formation politique, mais également économique, car les jeunes leaders doivent comprendre les enjeux sociaux et économiques, ainsi qu’un volet culturel, régional et international. Les modules étaient structurés autour de ces thématiques.
Quel est l’enjeu de ce programme ?
L’objectif était de créer un espace démocratique où les débats pourraient se tenir de manière respectueuse et intellectuelle, où l’on accepte la contradiction, où l’on discute de façon civilisée et apaisée. Chaque cohorte débutait par un module sur l’art oratoire, afin de leur enseigner qu’il est possible d’avoir des échanges francs sans recourir à la violence. Et ils ont pleinement adhéré à cette approche.
Avez-vous le sentiment d’avoir atteint cet objectif avec les participants ?
Oui, je crois que le programme a même dépassé nos attentes. Aujourd’hui, plus d’une décennie après son lancement, on retrouve à tous les niveaux de l’État et dans les partis politiques des jeunes ayant suivi ce programme, manifestant une forte volonté d’agir. Le dernier exemple en date est Ayib Daffé, aujourd’hui président du groupe parlementaire de PASTEF, qui a bénéficié de cette formation.
Mais je dis toujours que la véritable réussite de ce programme résiderait… dans sa disparition. Permettez-moi de m’expliquer : autrefois, la plupart des partis politiques (sauf quelques exceptions) disposaient d’écoles internes pour former leurs militants sur les plans idéologique, civique et comportemental. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Le jour où tous les partis reprendront cette formation en interne, notamment pour les jeunes et les femmes, alors ce programme n’aura plus de raison d’être. Actuellement, certaines « écoles de partis » ne sont que des coquilles vides. Si elles renaissaient réellement, avec des contenus théoriques, civiques et techniques solides, alors oui, on pourrait affirmer que le programme « Leadership politique » aura pleinement atteint son but.
Comment appréciez-vous le comportement des jeunes formés par ce programme et devenus leaders ?
Globalement, je suis très satisfait. L’objectif était de leur apprendre à accepter les idées des autres, à défendre leurs opinions avec conviction tout en respectant les principes démocratiques. À 99 %, je suis très content du comportement de ces jeunes.
Qui sont ceux qui vous ont le plus marqué ?
Un exemple marquant est celui d’Abdoulaye Seydou Sow, récemment ministre dans le dernier gouvernement de Macky Sall. Ce qui m’a impressionné, au-delà de son intelligence, c’est son sens politique aigu. Il y a 15 ans, nous étions ensemble en Casamance dans le cadre d’un programme, et une représentante du bureau critiquait la gestion du naufrage du « Joola » par le gouvernement d’Abdoulaye Wade. Avec beaucoup de tact et de fermeté, il lui a rappelé qu’elle s’adressait à des Sénégalais profondément marqués par ce drame. Ce courage, face à une personne détenant un statut diplomatique, m’a profondément touché. C’est le genre de cran qu’on attend d’un vrai leader. Nous sommes restés amis, même si nos convictions politiques divergent.
Quelle analyse faites-vous du débat politique actuel au Sénégal ?
Il y a deux dimensions à considérer. D’un côté, des débats d’idées intéressants émergent. De l’autre, on observe des échanges d’un niveau extrêmement bas. Le climat politique reste tendu depuis 2021, avec un espace encore peu apaisé, ce qui influence les comportements. Cependant, les jeunes prennent de plus en plus conscience que l’essentiel reste le Sénégal, et qu’il faut faire preuve de dépassement. Ayib Daffé illustre parfaitement cela : il défend ses idées avec vigueur, respecte ses interlocuteurs et aborde des sujets de fond. Malheureusement, le débat est trop souvent pollué par les chroniqueurs, qui monopolisent l’espace médiatique, et cela me dérange.
Donc vous estimez que les chroniqueurs polluent le débat public ?
Précisément. Je ne dis pas qu’ils sont tous incompétents. Mais je souhaiterais que les journalistes formés reprennent la main sur le débat et interrogent directement les responsables politiques.
Le Premier ministre a récemment critiqué la société civile, accusant certains membres d’être des opposants déguisés. Qu’en pensez-vous ?
Il y a eu un certain dérapage dans ces propos. Bien sûr, la société civile peut être critiquée, mais elle ne doit pas être muselée ou mise sous pression. Elle joue un rôle indispensable dans toute démocratie : elle régule, alerte, défend les citoyens et certaines valeurs. Il peut y avoir quelques brebis galeuses, proches de partis politiques, mais cela ne remet pas en cause son rôle fondamental. Elle doit continuer à agir de manière neutre.
Durant votre carrière, vous avez aussi contribué au processus de paix en Casamance. Parlez-nous de cela.
Le programme « Paix pour la Casamance » est né d’un constat : les jeunes, souvent enrôlés comme combattants ou prisonniers dans les deux camps, n’avaient que peu de voix dans les discussions. Beaucoup de Sénégalais parlent du conflit en Casamance sans en saisir pleinement les enjeux. Ce n’est pas une crise propre à la Casamance, mais une crise sénégalaise qui se déroule dans cette région. Cette nuance est cruciale.
Nous avons donc travaillé avec les acteurs sur le terrain, car sans stabilité économique et sociale, la paix reste illusoire. Nous avons encouragé les jeunes à s’asseoir à la table des négociations. Ce n’était pas simple, surtout au début avec les combattants de Diakaye, qui avaient été déçus par de nombreuses promesses non tenues. Nous avons agi avec tact et patience, en bâtissant la confiance étape par étape. Après plusieurs discussions, un accord a été trouvé pour le dépôt des armes entre l’État et le camp de Diakaye. Ce fut une immense fierté, à la fois en tant que Sénégalais et en tant qu’acteur engagé pour la paix en Casamance.
La Fondation Friedrich Ebert mise beaucoup sur les jeunes et les femmes. Pourtant, les femmes peinent encore à s’imposer dans le champ politique sénégalais. Pourquoi ?
L’espace politique ressemble à un champ de bataille. Les femmes l’ont bien compris. C’est pourquoi leur autonomisation économique est une priorité. De plus en plus d’organisations féminines s’investissent dans ce combat. Une femme financièrement indépendante est plus libre de s’engager. Cependant, le chemin reste long. Il ne faut pas percevoir les hommes comme des adversaires, mais comme des partenaires. Beaucoup d’hommes sont prêts à collaborer avec les femmes pour faire avancer le pays.
Quels souvenirs garderez-vous de votre passage à la Fondation Friedrich Ebert ?
Mes plus beaux souvenirs sont liés aux programmes « Leadership politique » et « Paix pour la Casamance ». J’ai eu la chance de servir la justice, la solidarité et de contribuer au développement de mon pays. Surtout à travers « Paix pour la Casamance », qui représente, pour moi, le sommet de mon engagement. Maintenant que je suis à la retraite, je reste mobilisé pour continuer à sensibiliser sur ces enjeux.
Auteur: Entretien réalisé par Lena THIOUNE

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