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Entretien

Mohamed Lamine Ouattara, analyste malien: «Ce coup d’Etat inédit ressemble à un….»

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Mohamed Lamine Ouattara, analyste malien: «Ce coup d’Etat inédit ressemble à un….»
Philosophe et politiste, enseignant-chercheur à l’université des sciences juridiques et Politiques de Bamako, Mohamed Lamine Ouattara a fait une analyse sans complaisance du dernier coup d’Etat survenu, le 18 août dernier, au Mali. Dans un entretien avec Seneweb, l’universitaire malien parle de putsch «inédit» qui suscite beaucoup d’interrogations. Il a, également, déploré l’attitude de la Cedeao qui, d’après lui, a lamentablement échoué, entre autres sujets.

Au Mali, on assiste au retour du pouvoir kaki avec la démission forcée du président IBK. Quelle analyse en faites-vous ?

Le processus de démocratisation au Mali, qui a juste été amorcé, peine toujours à se frayer un chemin en ce sens que la classe politique malienne a lamentablement échoué quant au fait de s’approprier les principes démocratiques, mais également, à les transmettre aux citoyens. Ce qui en résulte, c’est que la majorité de citoyens n’est pas capable d’apprécier l’offre politique encore moins de faire des choix judicieux par rapport aux dirigeants à qui ils sont censés confier leur destinée.

On assiste également à un affaiblissement, à une fragilisation des institutions qui ne jouent plus leur rôle : On a une justice à deux vitesses, on assiste à un déni du politique, à un désaveu des dirigeants, à une instrumentalisation du religieux.

Tout ceci donne lieu à un système de gouvernance qui est assez atypique et qui ressemblerait plus à de l’aristocratie plutôt qu’à la démocratie. Et ce qui va justement faire naître un système politique à mal avec son cortège de tous les mauvais ‘’isme’’ : Népotisme, clientélisme, affairisme. Voilà ce qui caractérise la gouvernance au Mali.

Il faut dire que la corruption a gangréné tous les secteurs de la vie civile, politique et même militaire. Ceci va avoir comme corolaires des mouvements de contestations qui, quand même, cherchent justement à avoir des lendemains meilleurs. Et le Mouvement du 5 Juin ou le M5-Rfp en est l’illustration parfaite.

C’est ce qui a amené les Maliens à chercher des sauveurs, fussent-ils des militaires. Il faudrait que quelqu’un vienne prendre le destin du pays en main afin de redessiner son horizon. C’est ce qui explique ces coups d’Etat répétitifs.

Que vous inspire cette forme de coup d’Etat ?

J’avoue que c’est un coup d’Etat inédit, au regard de sa forme, au regard des stratégies déployées par les putschistes. Tout porte à croire que c’est quelque chose qui a été minutieusement organisé, longuement et mûrement réfléchi pour la bonne et simple raison qu’il n’y a eu point de résistance, point de suspension de l’ordre constitutionnel comme on a l’habitude de le voir.

Au même moment, on assiste à une stratégie qui peut pousser à penser que c’est le fruit d’une grande expertise dans la gestion des affaires de l’Etat. On amène le président de la République à démissionner mais avant on le contraint à dissoudre d’abord l’Assemblée comme pour nous plonger dans un vide institutionnel. Les putschistes ont quand même affirmé une volonté d’avoir toutes les forces vives de la nation et les acteurs internationaux. Ils ont donné une garantie de respecter les engagements internationaux, mais également de respecter l’accord d’Alger. Les mutins ont aussi annoncé la continuité de l’Etat et qu’ils vont continuer à collaborer avec les forces internationales qui sont présentes au Mali en l’occurrence la Munisma, Barkhane, etc.

On voit donc cette détermination à vouloir avoir cette bénédiction de la communauté internationale. Et lorsque nous prenons à la fois la collaboration avec les forces internationales présentes au pays, le respect de l’accord issu du processus d’Alger et le respect des engagements internationaux, c’est comme si, en fait, les putschistes voulaient coûte que coûte prendre en compte les préoccupations majeures de certains partenaires comme la France. Et cela montre à suffisance que c’est quelque chose qui a été pensé, réfléchi à plusieurs niveaux. Ce qui veut dire que les militaires ont tiré beaucoup d’enseignements de mars 2012.

Justement, les putschistes ont décidé de rendre le pouvoir aux civils… ?

Oui, c’est ce que j’ai dit : Ce putsch est différent des autres, et ce, à bien des égards. C’est la première fois, au Mali, qu’un coup d’Etat est mené par des militaires dont la plupart sont des officiers supérieurs. C’est assez spécial, parce que déjà, comme je l’ai dit, on peut déceler cette accointance avec le M5-Rfp qui déroule sa feuille de route qui demandait la dissolution de l’Assemblée nationale et la démission du président de la République. En le faisant, les militaires sont en phase avec cette partie de la société civile et par ricochet, certains partis politiques qui font partie de ce mouvement. Et les militaires ont bien appris la leçon de 2012. Je coirs qu’ils ont compris, maintenant, ne serait-ce que pour saper les choses, laisser le pouvoir entre les mains des civils et éventuellement l’encadrer. C’est ce qui explique leur décision.

Comment appréciez-vous l’attitude des institutions internationales, particulièrement la Cedeao ?

Elles sont entièrement dans leur rôle, elles ne peuvent que condamner toute prise de pouvoir par la force, par les armes, ce qui est déjà antidémocratique, ne serait-ce que du bout des lèvres.

«La Cedeao a manqué de finesse…»

Mais en réalité, la Cedeao avait montré ses limites dans la résolution de cette crise, elle était carrément à court de solution. La Cedeao a manqué non seulement de stratégie, mais elle a également manqué de finesse dans sa tentative de médiation. Car elle n’avait même pas suffisamment de connaissances du dossier Mali en ce sens que la Cedeao avait déjà réduit toute cette crise socio-politique à une crise post-électorale. Or, le mal est beaucoup plus profond que cela.

Mieux, la Cedeao aujourd’hui, bute sur un problème de crédibilité non pas l’institution en tant que telle, mais les hommes qui l’incarnent, parce que les chefs d’Etat qui sont venus au Mali pour une médiation, sont pour la plupart contestés dans leurs pays.

C’est pourquoi la population pense que la Cedeao, finalement, appartient aux chefs d’Etat et non aux Etats. Donc, ce rôle de syndicat des chefs d’Etat que l’on voit à la Cedeao lui fait perdre toute sa légitimité. Quand on voit un président comme Alassane Dramane Ouattara qui manque lui-même de sagesse en se représentant, les Maliens se disent mais il n’a pas de leçon à nous donner. C’est le même cas avec le président guinéen Alpha Condé.

Aujourd’hui, le vin est tiré, il faut le consommer, il faut maintenant essayer d’encadrer et d’amener les putschistes à remettre le plus rapidement le pouvoir aux civils, demander aux militaires à regagner les casernes. On a beaucoup plus besoin d’un accompagnement que d’un régime de sanctions. Celles-ci ne feront qu’empirer la situation et ce sont les populations qui vont en pâtir.

Le Mali traverse en même temps une crise sécuritaire. Cette situation confuse ne favorise-elle pas les Djihadistes du Nord du pays ?

Bien évidemment, si on ne fait pas attention, cette situation risque de profiter à certains acteurs du Nord. Comme on a fait en 2012 quand, après la chute du président ATT (Amadou Toumani Touré, Ndrl), le temps d’installation des putschistes, à l’époque l’équipe du capitaine Amadou Aya Sanago, la situation au Nord avait complètement dégénéré. C’est pourquoi, il nous faut impérativement un accompagnement de la communauté internationale, de nos partenaires. Parce que si jamais, ces derniers venaient à tourner le dos au pays, ça risquerait de créer le chaos au nord. Donc, avec leur bénédiction et qu’on arrive à assurer la continuité de l’Etat, le problème ne se posera pas à ce niveau-là.

Comment voyez-vous l’avenir politico-institutionnel du Mali ?

Je tiens à dire que je suis circonspect quant à la réussite de la transition, parce qu’on ne sait pas. Il s’agit des militaires. Est-ce qu’ils vont réellement accepter de laisser le pouvoir aux civils ? Est-ce qu’on va assister à un scénario à la ‘’Amadou Aya Sanago’’ ? Ou bien sera-t-il différent ? Il y a autant de questions que l’on peut se poser.

«La démocratie n’est pas un fleuve tranquille…»

Or, l’avenir politico-institutionnel dépend de la réussite de la transition vu que cette transition va consister non seulement à organiser des élections crédibles, libres et transparentes qui permettent bien évidemment de choisir un homme qui soit investi de la confiance des Maliens et qui soit à même de proposer une offre politique à la hauteur de leurs attentes afin que nous puissions justement sortir de cette impasse politique.

Les institutions vont se renforcer petit à petit. Parce que la démocratie n’est pas un fleuve tranquille, les ruptures sont normales encore que notre démocratie n’est qu’à ses balbutiements, on a beau s’inquiéter, mais il faut dire quelque part que c’est normal. Elle peine peut-être à se frayer un bon chemin, mais on finira à se relever. 


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