Akon: "Les artistes africains ne doivent pas se focaliser sur le marché américain "

La musique que propose la star américaine, Akon, est un astucieux mélange de hip hop et de soul. Entretien.

Libé: Ces vingt dernières années ont vu émerger sur la scène américaine des stars d’origine africaine. Y voyez-vous une explication ?

Akon: Pour l’instant, je n’y vois aucune explication. Par contre, je trouve que depuis 20 ans, il y en a eu très peu sur la scène américaine par rapport au nombre d’artistes africains qui évoluent aux Etats-Unis. Malgré leur nombre, ce n’est que depuis ces deux dernières décennies que quelques-uns sont parvenus à se frayer une place sur la scène internationale. L’explication la plus probable est qu’aujourd’hui, les artistes d’origine africaine essaient de trouver d’autres moyens de promotion et d’être reconnus.

Quoi qu’il en soit, les artistes africains doivent s’entraider pour pouvoir se hisser sur la scène internationale. Mais s’ils attendent à ce que quelqu’un les soutienne, alors leur nombre restera toujours aussi minimum.

Quels rapports entretenez-vous avec les stars africaines évoluant sur d’autres scènes américaines?

Hormis les musiciens, on compte aussi des acteurs, sportifs et bien d’autres d’origine africaine qui ont émergé dans leur domaine respectif. Ce sont des gens cool avec lesquels j’entretiens de bons rapports.

Dans vos vidéo-clips, vous arborez des vêtements aux couleurs du drapeau sénégalais. Est-ce une manière de revendiquer vos origines sénégalaises ?

J’essaie en fait de le faire le plus possible parce qu’il faut d’abord commencer par montrer le pays d’où je viens pour que les gens sachent qu’il existe avant qu’ils le reconnaissent et aient envie de le visiter.

Vous arrive-t-il d’écouter de la musique africaine, notamment sénégalaise, pour vous inspirer?

Bien sûr. Je vis au Sénégal, mais je suis basé aux Etats-unis. Ma famille est toujours au Sénégal. Oui, je suis inspiré par la musique sénégalaise. J’écoute toujours les chansons des artistes africains, tels que Youssou N’Dour, avec lesquels j’envisage d’établir des collaborations. La musique africaine m’inspire, mais j’y vais doucement. Car les Américains n’ont pas l’habitude de l’écouter.

Vous avez fait de la prison à votre jeunesse. Pour quels motifs ? Pensez-vous que cette expérience a pu influencer votre carrière ?

J’ai toujours tendance à oublier pourquoi j’ai été incarcéré. La réponse, c’est pour vol et recel de voitures. Je volais des voitures de luxe et les revendais à des prix bas vu que je les avais eues gratuitement. Et cela m’a coûté trois ans d’emprisonnement. Mais je n’ai pas été incarcéré pour un crime violent.
Mon incarcération m’a appris à être responsable, à faire la différence entre être libre et être en prison. Cette expérience a été une bénédiction pour moi, car elle m’a permis de réfléchir sur mon avenir. Et la seule chose qui me convenait était de faire de la musique. Le choix du hip hop est arrivé par hasard. Il me paraissait intéressant du fait que cette musique permet d’exprimer des souffrances. Et moi, j’en ai connu.

Bien sûr, tout homme aurait préféré être libre, contrôler son destin, ne pas être conditionné par quelqu’un. J’aurais bien voulu ne jamais connaître de la prison. C’est une grande leçon.

On a le sentiment qu’aux Etats-Unis, le passage par la prison assure un succès dans la musique ?

Je ne pense pas que cela soit vrai. Même s’il est vrai qu’aux Etats-Unis, cela fait toujours de la publicité. Ce qui explique que beaucoup de rappeurs gangsters se vendent bien. Ou que des rappeurs se font passer pour des gangsters pour juste se vendre.

Comment expliquez-vous le fait que des chanteurs de hip hop traînent souvent la réputation de bad boy?

Cette mentalité de bad boy n’est que le reflet de la vie, du monde dans lequel les chanteurs de hip hop sont nés. Ils parlent et chantent les problèmes qu’ils ont vécus dans leur monde celui qu’ils ont connu. Aux Etats-Unis, il y a très peu d’opportunités pour les noirs qui ne bénéficient pas d’une meilleure éducation. Ils n’ont pas de moyens d’aller dans des écoles privées ou d’obtenir des bourses pour une meilleure éducation. Dans ce cas, la musique est l’unique moyen pour se faire de l’argent.

Accepteriez-vous de jouer un rôle au cinéma, si on vous le proposait?

On m’a déjà proposé plusieurs rôles. Mais aucun ne correspondait à ma personnalité, au sens que je donne à ma vie. J’ai refusé parce que les gens croient à tout ce qu’ils voient au cinéma, même si ce n’est que de la fiction. C’est, entre autres, pour cette raison que je préfère interpréter un rôle qui soit plus proche de ma personne, de mes idées ou de la réalité.

Quels conseils donneriez-vous aux jeunes artistes africains ?

Je les encourage à persévérer. Ils ne doivent pas se focaliser sur le marché américain. Personnellement, je me focalise sur le marché international, parce que quand ça marche, le marché américain suit. Aux Etats-Unis, il y a une sorte de ségrégation à l’encontre des artistes non-américains. Si vous n’êtes pas d’une manière ou d’une autre lié à un groupe de là-bas, vous ne serez pas écouté. Alors autant voir ailleurs, et éventuellement les intéresser après.