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Cheikh et Ismaïla du groupe Touré Kunda : ‘Chirac a voulu offrir un bateau pour remplacer le Joola’

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Cheikh et Ismaïla du groupe Touré Kunda : ‘Chirac a voulu offrir un bateau pour remplacer le Joola’
Santhiaba, le nouvel album des frères Touré est une balade musicale dans leur quartier d’enfance, et par-delà dans toute la Casamance dont ils sont restés profondément attachés, malgré l’exil. Dans cet entretien, Cheikh Tidiane et Ismaïla reviennent sur les raisons de leur engagement dans la résolution de la crise casamançaise et pour l’achat d’un nouveau bateau après le naufrage du Joola. Dans leurs voix, raisonnent aujourd’hui des airs de déception et de défiance vis-à-vis des autorités sénégalaises. C’est avec une nostalgie certaine que les Touré Kunda ont rendu hommage, dans leur album au premier président, Léopold Sédar Senghor.

Wal Fadjri : Depuis 2003, après l’épisode de Terra Sabi et du disque enregistré pour le naufrage du Joola, vous n’avez pas sorti d’album. Qu’est-ce qui explique ce silence de 5 ans ?

Cheikh Tidiane : A nos débuts, les sorties d’album étaient très rapprochées, avec l’expérience et la maturité, nous avons pris le temps de nous faire plaisir et de faire plaisir au public, mais aussi de nous poser certaines questions, à savoir quelle est la portée de notre message. De l’insouciance de l’enfance que nous avons évoquée dans nos chansons, nous sommes passés à la réalité de la vie. C’est pourquoi la proposition d’Ismaïla d’intituler cet album Santhiaba nous a éclairés sur la direction à prendre.

Ismaïla : Un album se construit par étapes : le texte, les mélodies, la recherche artistique, les arrangements et enfin l’enregistrement final. Maintenant ce qu’il faut dire, c’est que, après Terra Sabi, il nous est arrivé un gros malheur avec le naufrage du bateau Le Joola. Ce qui a nécessité une sensibilisation à travers le monde entier et une collecte des fonds pour faire en sorte que le tronçon qui liait la Casamance à Dakar revive. Quand il a été interrompu, les populations étaient dans la catastrophe. La route étant moins sûre, le bateau était devenu la voie de locomotion la plus indiquée. Stopper ce moyens de transport, c’est créer des problèmes à la fois économiques et sociaux à la région et à ses populations. Les gosses qui devaient aller en vacances ne pouvaient plus. Le temps qu’on a mis à trouver un bateau a été très long. Donc c’est tout cela qui explique ce long silence des Touré Kunda.

Wal Fadjri : Vous étiez impliqué dans la recherche d’un nouveau bateau en son temps, pourquoi vous n’avez pas poursuivi votre implication ?

Ismaïla : Le naufrage du Joola nous a tous meurtris ! Nous nous sommes désengagés momentanément dans la recherche du nouveau bateau, car beaucoup de faux problèmes ont fait surface et ne nous permettaient pas d’agir dans de saines conditions. Des fonds ont été collectés par le biais de quelques concerts et donations, environ 50 000 euros (environ 32 millions francs Cfa, nldr) qui devaient contribuer à l’achat d’un bateau. Actuellement un ferry a été affecté par le gouvernement pour faire la liaison Dakar-Ziguinchor, nous réfléchissons donc à une autre utilisation des fonds collectés.

Wal Fadjri : Donc ces 50 mille euros devaient participer au financement du bateau…

Ismaïla : Oui, mais je ne veux pas rentrer dans les détails. Cependant, je peux vous dire que les hautes autorités françaises de l’époque nous avaient sollicités. Elles nous ont demandé comment faire pour participer. Je ne cache pas que le président Jacques Chirac a voulu mettre à la disposition du Sénégal un bateau. Mais quelques-uns au Sénégal étaient réticents. Et Jacques Chirac était obligé de donner ce bateau à l’Algérie qui en avait besoin. Alors que le Sénégal pouvait en bénéficier, mais certains ont voulu, peut-être, que cela passe par eux. Ils n’ont pas eu gain de cause. C’est à cause de cela qu’ils ont pénalisé les populations. Heureusement qu’ils ont mis un autre bateau en route, mais on a perdu beaucoup de temps.

Wal Fadjri : Qui sont ces gens-là ?

Ismaïla: Je ne peux vous le dire. Mais ce ne sont pas de petites personnes qui peuvent empêcher ça.

Wal Fadjri : Est-ce que ce sont les autorités sénégalaises ?

Ismaïla: Certainement !

Wal Fadjri : En l’occurrence le président Wade ?

Ismaïla : Je ne sais pas. Il faut chercher pour savoir. De toute façon, Jacques Chirac n’avait pas accepté la voie que certains ont voulu faire emprunter le bateau.

Wal Fadjri : A quoi va servir l’argent que vous avez collecté ?

Ismaïla: Il servira à une chose. Ce qui est sûr, on va essayer de l’investir dans le social pour que le Sénégal et la Casamance en bénéficient.

Wal Fadjri : Quel est ce projet dont vous parlez ?

Ismaïla : C’est carrément un centre de formation aux métiers artistiques, mais dans un site qu’on voudrait écologique. Je ne veux pas entrer dans les détails de peur que des gens nous piquent l’idée. Mais ce qui est sûr, on en fera bon usage.

Wal Fadjri : Où envisagez-vous installer ce projet ?

Ismaïla: Nous avons envie que cela soit en Casamance. Nous ne savons pas dans quelle zone en Casamance, mais nous voulons que cela soit un site accessible pour tout le monde.

Wal Fadjri : Revenons à votre album : pourquoi le titre Santhiaba quand on sait que vous aviez composé un titre qui porte le même nom ?

Cheikh Tidiane : Vous faites allusion à Santhiaba Silo, le chemin de Santhiaba, qui était une chanson dédiée à notre quartier Santhiaba alors que là, il s’agit d’un album entier, on ne pourra pas aller plus loin car le quartier qui nous a vu naître et grandir, mérite cet hommage.

Ismaïla : Tous les quartiers de Ziguinchor sont nés de Santhiaba : après Boudody et Escale, il a fallu désengorger Santhiaba pour faire place à Boucott, Périssac, Néma, Kandé et consorts…A Santhiaba sont nés Louis Fonséca (chanteur), Bachir Touré (comédien), le Foyer de la Casamance (équipe de football) devenu le Casa-Sport d’aujourd’hui, la Fraternelle (troupe de théâtre), etc.

Wal Fadjri : L’autre particularité de votre album, c’est aussi l’hommage que vous avez rendu à Senghor ; c’est rare que vous parliez politique dans vos albums, pourquoi Senghor ?

Ismaïla : Senghor, grand politicien, nous a nourris intellectuellement et culturellement et l’on va rappeler aux plus jeunes que c’était le premier président du Sénégal ; sa négritude nous a fait prendre conscience de la valeur de l’homme noir ! C’était un visionnaire, il a créé l’unique fameux festival mondial des arts nègres, démontrant ainsi que la culture pouvait être un poumon économique et qu’une civilisation sans culture ne peut exister ; il a pu préserver les acquis de l’indépendance avant de passer le relais. Tout le monde sait ce qui s’est passé après lui. Rafraîchir la mémoire collective fait partie du rôle des créateurs que nous sommes. Nous avions aussi rendu hommage à l’égyptologue Cheikh Anta Diop et à Henrico Macias. Malheureusement cet album n’est pas sorti au Sénégal.

Wal Fadjri : Vous avez été sévère dans votre hommage à Senghor à l’endroit de ses successeurs : en mandingue, vous parlez de ‘trahison’, de ‘malhonnêteté’. Ne pensez-vous être allés un peu loin dans la critique ?

Ismaïla : Quand on fait un constat qui a le mérite d’être clair, on ne doit rien oublier. Ses successeurs n’ont pas été reconnaissants à son égard, ils avaient peur de son ombre et voulaient en finir. Cheikh Tidiane : Les gens n’ont pas travaillé pour faire avancer le pays, en améliorant ce que Senghor nous a laissé comme legs.

Wal Fadjri : Quel regard jetez-vous sur le bilan de l’alternance ?

Ismaïla : Le président Wade a été élu sur une base de promesses électorales. Nous savons tous ce qui s’est passé depuis. Il a œuvré pour le pays et nous faisons confiance à l’opposition pour l’interpeller. Nous n’avons rien à ajouter, notre rôle de musiciens étant ailleurs !

Wal Fadjri : Dans votre album, vous avez chanté la paix en Casamance…

Cheikh Tidiane : Nous appelons à la paix définitive dans la région, car il n’y a pas de raison que la Casamance soit toujours enclavée, malgré son potentiel culturel et économique. Pour développer ces potentialités, il faut d’abord une paix. Quand il y aura la paix, les bailleurs de fonds s’intéresseront sûrement à la Casamance. C’est ce que nous attendons.

Ismaïla : Qui peut nous dire aujourd’hui pourquoi la paix ne revient pas en Casamance ? Nous avons soutenu le président Wade parce qu’il avait promis la paix en Casamance en moins d’un an. Mais où est-ce que cette paix-là ? Il faut que nos hommes politiques soient crédibles et respectent leurs engagements. Il ne faut pas qu’ils oublient qu’il y a des engagements auxquels nous tenons et qui font que nous sommes prêts à les soutenir jusqu’au bout parce qu’on pense qu’ils vont tenir parole. Il y a Mamadou Lamine Badji, Aïdara et le sous-préfet de Diouloulou qui sont morts. Personne ne sait ceux qui les ont tués. Cela va-t-il continuer comme cela ? Il y a problème. C’est grave ! Ceux qui doivent ramener la paix dans cette région, la veulent-ils vraiment ? Ou est-ce que les sommes qui leur sont allouées sont-elles leur seule motivation ? J’espère croire que non. Leur crédibilité commence à laisser place au doute.

Wal Fadjri : Pourquoi ?

Ismaïla ! Je ne sais pas. Je pense que tout n’a pas été essayé alors que des solutions existent.

Wal Fadjri : Mais l’Etat a tout essayé ou presque. Des Assises, des conférences ont été organisées…

Cheikh Tidiane : On était présent à la plupart de ces conférences et nous avons constaté que ce retour à la paix n’est pas effectif. Il faut que la paix s’installe. Les enfants du Sénégal, de la Casamance, de Ziguinchor ont aussi droit à la réussite, à l’épanouissement et non à vivre dans l’inquiétude permanente.

Ismaïla : Mais est-ce que l’Etat a mis les gens qu’il faut ? Est-ce que les gens qu’il a mis sont pour la paix ? Est-ce qu’ils ne pensent pas qu’ils sont salariés à vie et entretiennent ainsi ce conflit ? Il y a une situation qu’on ne comprend pas. Je ne dis pas qu’ils ne sont pas crédibles. En tous les cas, ils n’ont pas trouvé de solution. Il ne faut pas que le combat s’arrête par faute de combattants. Il faut que le combat s’arrête parce qu’on a envie que la paix revienne. Si le combat s’arrête par faute de combattants, c’est la catastrophe.

Wal Fadjri : Comprenez-vous les revendications du Mfdc ?

Ismaïla : Si leurs revendications ne se résument qu’à l’indépendance de la Casamance, cela n’engage qu’eux. Ce que nous pouvons dire c’est qu’il faut que l’Etat et le Mfdc se réunissent sur une table pour trouver des solutions à la paix.

Wal Fadjri : Dans l’album, il y a un autre titre qui concerne l’environnement ; est-ce parce que c’est un thème à la mode ?

Cheikh Tidiane : Ce n’est pas une question de mode, mais de survie qui concerne tout être humain ! En tant qu’africains, nous sommes d’autant plus sensibles parce que nos pays subissent déjà les conséquences de la dégradation de la planète (avancée du désert, déforestation, pollution, perturbation climatique…). Nous nous faisons, donc, un devoir de relayer le discours de prévention que tiennent les spécialistes de l’environnement afin de sensibiliser nos populations de l’imminence des dangers.

Wal Fadjri : Vous avez eu trois disques d’or au cours de votre carrière. Que ressentez-vous quand vous jetez un coup d’œil sur votre parcours ?

Ismaïla : Nous ressentons une grande fierté, mais nous ne comptons pas en rester là. Nous sommes en constante recherche et évolution pour de nouvelles expériences au travers des rencontres avec de jeunes musiciens venus de tous horizons, par nos voyages et surtout rester à l’écoute du monde.



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