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IBOU NDOUR, PRODUCTEUR : « Ce que les artistes vivent et ce qu’ils montrent est diamétralement différent »

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IBOU NDOUR, PRODUCTEUR : « Ce que les artistes vivent et ce qu’ils montrent est diamétralement différent »
Avec un regard à la fois critique et lucide, le producteur et non moins frère de Youssou Ndour décrypte dans cette interview l’environnement musical sénégalais. Selon lui, la plupart des artistes vivent dans une sorte de faux semblant.

Producteur, arrangeur, découvreur de talent. Qui est Ibou Ndour ?

Je suis tout d’abord un musicien, un claviste. J’ai commencé à faire de la musique depuis 1991. J’ai débuté au côté d’Habib Faye qui habitait près de chez ma mère. C’est comme cela que j’ai commencé à taquiner le clavier. C’est ainsi que j’ai joué avec le frère de Dembel, Ibou Cissé. Par la suite, j’ai changé de registre en intégrant le mouvement hip hop, en produisant des groupes de rap comme Da Brains, Raktak Squat, Rapadio. Et avant de partir aux Etats-Unis, j’ai fait la chanson « Internet » de Aby Ndour. Après les Etats-Unis, je suis revenu au Sénégal pour voir comment je pourrais travailler dans la production. Ainsi, depuis 1991, je suis dans la musique.

Donc vous étiez un peu en retrait par rapport à ce que faisait votre grand frère Youssou Ndour...

J’ai commencé d’abord comme claviste. Ensuite, petit à petit, j’ai fait des arrangements.

Comment est née cette passion pour la musique ?

C’est dans la famille. C’est vrai que c’est par rapport à Youssou qui nous a influencés, c’est aussi dans le sang. Par contre, celui qui m’a le plus motivé, c’est Habib Faye. Il m’a toujours intéressé comme musicien lorsqu’il habitait près de chez ma mère.

L’entourage et l’influence familiale dans tout cela...

Bon, vous savez, quand j’ai commencé, c’était difficile avec Youssou parce qu’il pensait que c’était juste pour l’ambiance. Je me souviens, à l’époque, à l’ouverture des classes, il confisquait mon clavier. Il le gardait chez lui pendant toute l’année scolaire. Mais passionné, je me rabattais sur mes amis qui me prêtaient leur instrument. Je trouve que c’était juste pour mesurer le degré de ma conviction, puisque mon père a, à peu près, fait pareil avec lui. Il voulait voir exactement si j’étais réellement intéressé. Ce n’était pas une manière de me dissuader de faire de la musique. Mais par la suite, il a su que je me débrouillais pas mal.

Est-ce que vous aviez reçu des encouragements ?

Bien sûr. Pour moi, le plus grand encouragement, au début, c’est quand j’ai commencé à arranger des cassettes. Après, j’ai joué avec Viviane. Avec le Joloof Band, on a essayé de faire l’album « Tiey you » où j’ai assuré la direction musicale. Par la suite, le grand frère a commencé à croire en moi. C’est dans cette foulée que j’ai produit des artistes comme Pape Diouf, Titi. Il a vu qu’il y avait quelque chose et il m’a laissé faire l’album « Roky mi Roka » suivi d’ « Alsama day ». En réalité, Youssou Ndour m’a laissé travailler, histoire de me tester pour voir si je pouvais me débrouiller, en mettant de côté la casquette du grand-frère. Par mes résultats, j’avais de bons arguments.

Revenons un peu sur votre séjour aux Etats-Unis. Voulez-vous entretenir les lecteurs de cette expérience américaine ?

En fait, je n’étais pas très enthousiasmé à l’idée d’aller aux Etats-Unis. Je me souviens, lorsque j’ai obtenu le visa d’entrée, les gens m’encourageaient à y aller. Mais j’étais hésitant parce qu’en effectuant ce voyage, je pensais que j’allais arrêter la musique. Finalement, j’ai fait le voyage. Comme tout bon Sénégalais, j’ai fait du « Xoslu » (la débrouille). Il m’est même arrivé de travailler dans les restaurants. Aidé de Mbacké Dioum que j’ai trouvée sur place, j’ai rencontré des producteurs. C’est la base de tout ce que je fais aujourd’hui, car ce séjour américain m’a permis d’apprendre beaucoup de choses et d’acquérir de l’expérience dans le domaine de la production. Ce qui se fait là-bas dans l’industrie du divertissement est complètement différent de ce qui est pratiqué ici.

Par rapport à l’esprit de créativité qu’est-ce qui manque pour booster le secteur ?

Pour moi, ce qui fait réellement défaut, c’est plutôt le problème d’argent. Auparavant, la pratique consistait à donner de l’argent pour qu’on te sorte ton album. Maintenant la situation a changé. Dans la musique, il n’y a plus d’argent. Ceux qui s’en sortent, ce sont ceux qui se produisent en concert ou dans les clubs. En se basant sur les ventes, ce n’est pas possible. Si un album marche, on te dira, un an plus tard, qu’on a vendu 1500 ou 2000 Cd. A mon sens, sur une année, si l’artiste n’a pas un autre support, il lui sera très difficile de tenir. Personnellement, dans mon travail de producteur, je suis obligé d’y adjoindre celui de manager. Parce que mon seul travail de producteur ne peut pas me faire vivre. Tu es obligé d’y adjoindre d’autres boulots qui impactent sur le temps consacré à créer de bons morceaux. On est obligé, la majeure partie du temps, à courir derrière des contrats.

Du coup, cela se répercute sur la qualité de la production...

Tu es obligé ! Sinon c’est très difficile. Les ventes ne suivent plus. Avant, tu pouvais entendre dire qu’un artiste a vendu 100.000, 50.000 cassettes. Aujourd’hui, avec les Cd, c’est un an après qu’on t’annonce 1.500 ou 2.000 Cd vendus. Ce n’est pas ce qui peut faire vivre. Personnellement, je le fais parce que j’aime et ne peux faire autre chose que la musique. Même si c’est difficile.

Présentez-nous la structure Prince’art...

En fait, Prince’art, c’est comme le studio Jololi. Parce qu’à un moment donné, c’était un peu difficile au niveau de la musique et il fallait fermer. On mettait beaucoup d’argent, mais les ventes ne suivaient pas. C’est par la suite que Ndiaga, Ngoné et moi, nous nous sommes dit qu’il fallait ouvrir une petite structure parce que c’est notre métier. C’est dans la continuité de Jololi même si on a un studio de moindre envergure que celui qui était aux Almadies. Et ce sont les artistes qui étaient produits par Jololi qui sont là. Mais depuis trois ans, on a commencé à faire un peu de l’événementiel : tout ce qui tourne autour de la musique et du théâtre. C’est dans ce cadre qu’on a sorti entre autre « Mbaye Bercy », parce que la plupart des produits sortaient d’Europe.

Dans l’une vos rares interviews dans le magazine Icône, vous disiez en substance que les artistes dont le compte bancaire dépasse un million de nos francs, sont peu nombreux...

C’est la musique qui est ainsi. Par exemple, quand je sors un artiste, un mois plus tard, je remarque qu’il a changé parce qu’il a des admirateurs qui lui donnent de l’argent, lui offrent des habits. Avec ce qu’il incarne, tu te dis qu’il est plein aux as. Ce qui est souvent le contraire. Je sais exactement que ce n’est pas ça. Toujours est-il que le producteur que je suis n’a pas ce train de vie à plus forte raison l’artiste. Ce qu’il vit et ce qu’il montre est diamétralement différent. Même si c’est un leurre, l’artiste est obligé d’avoir un bon port vestimentaire, une belle voiture, une manière de sauver les apparences. Sinon, il peut faire l’objet de quolibets. C’est la musique qui est comme ça. Il faut qu’on arrête cette tendance et nous remettre sur un autre niveau.

Dans votre travail de producteur, qu’est ce qui vous permet de flairer ou d’avoir la bonne intuition pour produire un artiste ?

Vous savez, à mon sens, à chaque chanteur sa propre identité musicale, son propre style. Il arrive de voir le profil d’un artiste et tu te dis : « tiens, je pourrai faire du mbalax avec lui ou bien un autre genre musical ». A mon avis, c’est cette vision qui sied à la qualité de l’expression vocale. Dès fois, vous voyez de grands chanteurs, mais si vous voulez leur faire chanter sur un registre qui n’est pas le leur, ils s’y perdent. Pour moi, c’est cela qui fait notre métier, cette perspicacité à déceler une aptitude vocale. Car, derrière chaque bon produit musical, il y a toujours un bon producteur. D’où le besoin d’avoir cette capacité d’écoute pour pouvoir déceler un bon coup et de dire que cela pourrait intéresser les Sénégalais. De la même manière dont le marimba est important dans la musique, le rôle du producteur l’est tout autant. Et pour réussir ce côté showbiz, les chanteurs sont obligés de recourir aux producteurs. Sinon, tu peux te dire que je fais du mbalax alors que tout le monde peut faire du mbalax. A la seule différence qu’il y a cette touche à apporter pour intéresser les gens. Il est important d’avoir ce regard. Je me souviens, j’ai fait tellement d’albums... On peut enregistrer un morceau et après écoute, on se dit qu’on peut améliorer le texte, que la composition n’est pas terrible. Tel était le cas avec « Solution », le morceau d’Abou Tioubalo. La musique et le texte ne suivaient pas le même tempo et on a dû changer l’orchestration. C’est cette vision du producteur qui permet d’intéresser les Sénégalais. Ainsi, elle participe pleinement à la réussite d’un album. Par exemple, si vous voyez des artistes comme Viviane, vous sentez qu’il y a Bouba qui est derrière. Même s’il n’est pas un musicien, il sait ce qui peut intéresser les Sénégalais. Il faut que les artistes aient cette culture. Malheureusement, si vous remarquez bien, il n’y a plus de producteurs au Sénégal.

Dans ce cas de figure, est-ce qu’on peut dire que tout ce que Ibou Ndour touche lui réussit ?

Curieusement, les albums qui m’ont le plus plu ce sont ceux qui ont moins marché.

Quel type de relation entretenez-vous avec les artistes ?

Je dirais plutôt une relation d’affaire. Je ne me focalise pas trop sur cette affinité au point d’aller manger chez eux. A peu près, je connais le caractère de chaque artiste et sa capacité. A mon sens, le professionnalisme doit primer sur les considérations amicales. Sinon, cette subjectivité peut déteindre sur la qualité du travail. Par exemple, sur les albums qui ont frappé les Sénégalais, les artistes sont souvent craintifs à l’idée que le public ne se retrouve pas. Et généralement, ce sont des produits qui marchent. Dès fois, c’est normal. Si je prends l’exemple d’un artiste comme Youssou Ndour, il m’arrive de lui proposer quelque chose mais il répond que « c’est trop dangereux ». Il préfère d’abord la version mbalax avant de penser à autre chose. Un chanteur comme Youssou Ndour peut le faire, mais quelqu’un qui en est à deux ou trois albums ne peut pas prendre ce risque. Parce que cela peut dérouter son public. De mon point de vue, pour qu’un artiste fasse longue carrière, il doit faire preuve de patience, d’intelligence, et bien communiquer. L’essentiel, c’est d’être présentable et que les gens aiment ce que tu fais.



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