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La fille de VALDIODIO dénonce : 'On parle de SENGHOR comme s'il était un saint'

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La fille de VALDIODIO dénonce : 'On parle de SENGHOR comme s'il était un saint'
Lorsqu'un homme, un ‘illustre’ de surcroît meurt, il y a un certain humanisme qui veut que les témoins ferment les yeux sur certains aspects négatifs de son image. Mais, ‘on n'oublie jamais rien, on vit avec’. Et Amina Ndiaye Leclerc, fille de l'ancien ministre, Valdiodio Ndiaye, emprisonné par Senghor de 1962 à 1974, semble refléter cet ‘adage’, à travers une exposition qu'elle tient à la maison de la Culture Douta Seck depuis le 22 décembre 2006 et ce jusqu'au 7 janvier 2007. Dans l'entretien qui suit, Amina Ndiaye Leclerc revient sur le drame vécu durant son enfance avec le séjour carcéral de son père à Kédougou. La fille de Valdiodio Ndiaye révèle qu'elle ne peut rendre hommage à Senghor, dont on célèbre le centenaire de la naissance. Mais que ‘sans hargne, ni haine’, elle aborde en ouverture de cette interview, les raisons qui l'ont amenée à monter cette exposition. L'idée est de soulever le voile sur ce qui s'est passé avec ‘l'emprisonnement injuste’ de son père par Senghor, que l'on présente partout comme un ‘saint’.

Amina NDIAYE LECLERC : Cette exposition arrive de Toulouse. Au moment où partout on rend hommage à Senghor dans le cadre de la célébration du centenaire de sa naissance, la ville de Toulouse m'avait demandé une exposition depuis un an. Alors, j'ai choisi ce thème de l'emprisonnement qui est universel. Et partant de Kédougou, j'ai extrapolé pour penser aux problèmes de l'Afrique, notamment à l'emprisonnement des femmes, des délinquants, etc. Votre exposition vise-t-elle à incriminer, à dénoncer ou à interpeller ?

C'est pour dire tout simplement, sans hargne et sans haine, une vérité qui a été cachée. Mon père est sorti de prison avec une grande sérénité. Il n'en voulait à personne. Dans tous mes tableaux, il y a de la destinée. C'était sa conception. C'était une façon de dire qu'on n'échappe pas à son destin. Mais, quelque part, je pense qu'aujourd'hui on doit savoir ce qui s'est passé. On parle de Senghor comme s'il était un saint. Partout on honore, ‘le grand Senghor !’. Mais, il est quand même derrière Kédougou ! C'est lui qui a fait des circulaires. Et il avait des décrets pour mener une vie d'enfer aux prisonniers de Kédougou. (...) Senghor savait que c'était lui qui était l'instigateur du complot. Il n'avait pas le pouvoir. Car il était le président de la République d'un régime parlementaire. Donc, le pouvoir, c'était Mamadou Dia qui l'avait. Et mon père était aux côtés de Mamadou Dia. Et donc, comment va-t-on faire un coup d'Etat pour se destituer soi-même ? C'est impossible.

Et qu'est-ce que Senghor a fait alors ?

Dès que Senghor a pris le pouvoir, il a changé la Constitution et a établi une République forte. Et même l'histoire a prouvé que les prisonniers de Kédougou ont été enfermés pour rien. Lui Senghor, savait très bien que ces gens n'avaient rien fait. Pourquoi s'est-il acharné sur eux ? Vous imaginez la torture que ça représente d'enfermer des gens qui n'ont rien fait pendant douze ans ? C'est contraire à tous les droits de l'homme. Pour se soigner, mon père a attendu sept mois pour être évacué avec une rage de dent. Il disait que ‘même le plus vil des délinquants dans ce pays est soigné. Et nous, nous attendons sept mois pour être soigné’. En outre, ils ont eu deux cuisiniers qui crachaient du sang. Et, à cause d'eux, mon père a contracté une pleurésie. Ce qui était une façon d'éliminer les prisonniers sournoisement. Aujourd'hui, le fait d'essayer de dire que Senghor méritait autant déloges, ne me convainc pas forcément. Je dis non ! A mon avis, il y a une vérité à dénoncer et je le fais sans hargne ni haine. Le Sénégal doit assumer ses responsabilités par rapport à ce qui s'est passé. Comme par exemple en Allemagne, où le Chancelier a reconnu et demandé pardon pour la Shoah. Je ne veux pas faire un parallèle entre Kédougou et la Shoah. Mais je dis simplement que dans chaque société, il y a des taches. Aussi, en France, il y a eu le problème de l'Algérie, on n'en parlait pas. Mais maintenant, il y a des films qui parlent, notamment de la torture et autres faits réels.

Comment concevez-vous l'emprisonnement de votre père Valdiodio Ndiaye dans cette exposition ?

Pour moi et pour tout le monde, c'était une injustice politique. Je pense que papa a été victime d'un complot. Il s'est retrouvé injustement enfermé à Kédougou. Et ce sont des injustices que l'on retrouve encore aujourd'hui. Personnellement, je ne fais pas de la politique. Mais le thème de l'emprisonnement que j'aborde dans l'exposition, c'est pour rappeler aux Sénégalais qu'il y a eu Kédougou. Et je souhaite que cela ne se renouvelle pas. Le fait pour moi de rappeler le passé permet, à mon avis, d'avancer dans l'avenir et de ne plus commettre les mêmes erreurs.

En voulez-vous à celui ou à ceux qui vous ont fait du mal ?

Je n'ai pas de haine. D'ailleurs, tous les gens qui voient mon exposition parlent de professionnalisme. Des gens qui connaissaient le thème sans même me connaître et qui s'attendaient à trouver quelque chose de beaucoup plus violent. J'avais l'impression de faire quelque chose de violent. Mais les gens m'ont dit qu'ils ne voyaient pas de violence dans cette exposition. Et qu'au contraire, il y avait une grande sérénité.

Avez-vous réellement l'impression que vos œuvres traduisent cette sérénité ?

J'ai exposé trente trois tableaux. On retrouve sur les cimaises Espérance, qui est un tableau peint en couleur vert, symbole d'espérance. Il représente ainsi ce qui peut se passer dans la tête d'un détenu qui est prêt à exploser. Mais qui a l'espoir de sortir un jour et de voir sa vie changer. Il y a aussi la Porte ouverte de la Médina qui porte cette idée d'espérance. Le tableau Huit clos est à la fois doux par les couleurs et dur par l'abstraction. Avec notamment des barbelés, des faits de la vie, la destinée et un monde qui s'écroule,... Autant d'éléments que j'ai essayés d'exprimer en utilisant de la terre. Dans l'œuvre Allégorie de la liberté, on a une personnification de la liberté. Sur la gauche du tableau, on peut imaginer le camp de Kédougou. Et le thème de ‘Gorée’ s'y reflète à travers un timbre pour montrer le lien que les prisonniers avaient avec l'extérieur. Et puis j'ai mis aussi des morceaux de journaux, notamment sur la libération de l'Afrique.

Par qui précisément ?

Par les tirailleurs sénégalais qui ont libéré l'Europe. Mais chaque fois qu'on me parle de libération, ce mot me renvoie à Kédougou. Les prisonniers que j'imagine en train de marquer les jours de leur détention sur les murs avec un déroulement du temps qui n'en finit plus.

En parlant de liberté, impliquez-vous aussi celle de la presse ?

Tout a fait. Ce qui est intéressant dans la peinture, c'est que d'une part, je signifie quelque chose et que d'autre part, les gens voient autre chose. C'est pourquoi, je n'ai pas l'habitude d'expliquer mes tableaux. Ce qu'il y a de bien, c'est que chacun voit son histoire à travers l'art. J'ai mis Kédougou dans cette exposition. Et vous voyez ce qui se passe actuellement, en tant que journaliste. Avec Triptyque, on imagine au milieu de ce tableau, une tête qui explose lorsqu'elle apprend la sentence : vingt ans de prison pour Valdiodio Ndiaye, la perpétuité pour Mamadou Dia,... Quand vous apprenez une telle sentence, et que vous savez que vous êtes complètement innocents, que vous avez œuvré pour votre pays, c'est inimaginable !

Est-ce qu'il vous arrive de vous demander pourquoi Dieu a permis certaines injustices ?

Ah, mais c'est la condition de l'homme ! Chacun d'entre nous se pose la question : est-ce que Dieu existe, quand il accepte des choses pareilles ? Ma réponse reste une interrogation. Celle de mon père. C'est : ‘Dieu est à Kédougou, j'aurais dû mourir là-bas. Mais je suis sorti vivant’. (...) Parfois, vous avez un grand malheur qui, ensuite, débouche sur un bonheur. Je ne sais donc pas si c'est Dieu qui l'a permis. Mais la responsabilité de Senghor est là. Et que c'est trop facile de dire, ‘Dieu l'a voulu’.

Quelles ont été les réactions sur le plan international ?

A un moment donné, quand les prisonniers ont décidé d'entamer une campagne de presse sur le plan international, pour que Senghor aille les libérer, mon père disait toujours dans ses lettres, qu'‘il y a certes la volonté de Dieu, mais l'acte est de l'homme’. C'est l'homme lui-même qui doit se prendre en charge pour sortir des mauvaises situations et ne pas accabler Dieu. Ils sont finalement sortis de prison grâce à l'intervention de la presse et du monde entier. En effet, du fait de cette campagne, Senghor ne pouvait plus faire un pas hors du Sénégal sans être interpellé sur Kédougou. Quand il a voulu adhérer à l'International socialiste, François Mittérand, qui en était à l'époque le président, lui a dit : ‘je ne mettrais plus les pieds au Sénégal tant que vous avez des détenus politiques. Cela a assez duré, cela suffit !’. Il a fallu donc qu'il y ait un harcèlement sur Senghor qui était très attaché à son image de marque. Il n'y avait que cela qui l'intéressait. Ce qu'on pouvait dire de lui à l'étranger parce qu'il rêvait d'un prix Nobel. L'incarcération de ces gens-là, était très dure. C'est un monde qui s'écroule, une tache pour l'histoire du Sénégal. Et cela n'aurait jamais dû exister.

Comment se fait-il qu'on vous ait invité au Sénégal pendant la célébration de l'Année Senghor, alors qu'il n'était pas en bons termes avec votre père, Valdiodio ?

Quand j'ai dit au ministre de la Culture, Mame Birame Diouf, que je faisais de la peinture, il m'a proposé de venir exposer à Dakar. Il a vu mes tableaux à travers un Cd, mais il ne savait pas que je souhaitais aborder le thème de ‘Kédougou’. Ce que je lui ai proposé, c'était d'amener l'exposition que je faisais à Toulouse dans le cadre de l'Année Senghor. (...) Après une correspondance épistolaire avec le président Wade, je lui ai dit que j'accepte avec joie de venir exposer à Dakar. Mais le thème que j'allais aborder ne pouvait être que ‘Kédougou’. Parce que, je ne peux pas rendre hommage à Senghor, étant donné que je suis la fille de Valdiodio Ndiaye. Rendre hommage à Senghor et en même temps montrer Kédougou, il y a beaucoup de gens qui n'auraient pas osé le faire. A ma grande surprise, j'ai eu un accord favorable du ministère de la Culture, de venir m'exprimer en toute liberté. Ce que je trouve très courageux de la part du gouvernement. Pour moi, c'est une reconnaissance très importante.



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