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Pape Massène SENE, directeur de cabinet du ministre de la culture : Ce que sous-tendent le mythe et le conte en milieu Sérère

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Pape Massène SENE, directeur de cabinet du ministre de la culture : Ce que sous-tendent le mythe et le conte en milieu Sérère

 

Dans le système traditionnel Sérère, l'éducation de base passe par les récits. Mais, ce que les gens retiennent simplement, ce sont les récits initiatiques. Et avant cette période de l'adolescence, l'individu reçoit la transmission progressive de tout le système de comportement de permis, de toléré et de défendu. Pour le directeur de cabinet du ministre de la Culture, qui livre ces données, le mythe et le conte jouent un rôle de régulateur social majeur en pays Sérère. Dans l'entretien qui suit, Pape Massène Sène revient sur, entre autres points, le sens des récits initiatiques et populaires en milieu traditionnel, la nécessité de sauvegarder le patrimoine immatériel.

Wal Fardjri : Quelle différence existe-t-il entre le mythe et le conte ?

Pape Massène SENE : Le mythe, d'abord, a un caractère sacré, en ce sens qu'il essaie de dégager un discours justifiant le fonctionnement de la société et les règles de fonctionnement de cette société. Et, on ne peut qu'approuver. Il n'est pas question de remettre en cause. Dans ce récit, on présente des personnages, notamment des héros qui sont tellement sublimés qu'en vérité on les pose en modèle de comportement. C'est ce vers quoi on tend. A partir de ce moment-là, ce type de récit ne fait l'objet ni de contestation, ni de remise en cause. C'est ce que j'appellerais, pour prendre une image de construction, la fondation de la société qui, une fois qu'elle est faite, elle l'est pour de bon. Le reste, c'est ce qui sort de terre, en termes de transformation et d'aménagement progressif. Cela, c'est ce que prend en compte le récit qui s'appelle le conte. Vous avez la fondation qui est le mythe. Et vous avez les murs jusqu'au toit et l'aménagement interne de la société qui est dévolu au conte.

Wal Fardjri : Quels sont les éléments de valeur et de référence que véhiculent les mythes dans le monde Sérère ?

Pape Massène SENE : Dans le système traditionnel Sérère, l'éducation de base passe par les récits. Mais, ce que les gens retiennent simplement, ce sont les récits initiatiques, qui se passent dans un cadre bien précis notamment au moment de la circoncision. Mais avant cette période de l'adolescence, vous avez la transmission progressive de tout le système de comportement de permis, de toléré et de défendu. Ce sont les éléments constitutifs du système de valeur et de référence du monde Sérère que véhiculent les mythes. Les mythes rappellent les fondations de la communauté et souvent aussi les fondations des villages. Pourquoi on s'est installé ici et pourquoi on doit procéder de la sorte. Il s'agit donc là, d'un discours régulateur. Et il y a le discours populaire qu'est le conte, qui permet de disséminer des enseignements progressivement, depuis la naissance jusqu'à la mort.

Wal Fardjri : Qu'est-ce qui différencie les mythes et contes Sérère des autres sociétés ?

Pape Massène SENE : Il y a d'abord quelque chose qui est partagé par toutes les sociétés : c'est l'universalité du récit. Qu'il s'agisse de mythe ou de conte, chaque société, à travers ces récits, met en place un dispositif pour sa propre représentation. Comment cette société se voit et comment elle voit le comportement de ses membres. Voilà un peu la fonction de ces récits. Cela veut dire que, lorsqu'il y a des différences entre des sociétés, Wolof, Sérère, Diola, Japonaise, ou Bourguignonne, il y a nécessairement un espace qui est partagé en tant qu'être humain. Mais il y a également un espace spécifique qui fait que vous êtes différent de moi et que je suis différent de vous. Ce qui serait dangereux, c'est d'extrapoler sur cette différence pour donner un jugement de valeur. Mais la différence, elle existe de la même manière, avant de parler de culture. Qu'entre vous, vos propres frères et vos propres sœurs, vous avez beau avoir les mêmes parents géniteurs, le père et la mère, mais vous êtes différents. Le principe de différenciation est déjà le premier élément constitutif de la vie. Au niveau de la culture, c'est la même chose. La culture est une structure vivante qui organise une société, la modifie, la transforme. Et pour cette raison, elle est différente en fonction des communautés. Toutefois, cela n'empêche pas aux éléments de partager tout le principe qui consiste à voir ce que nous partageons entre communautés différentes et autour desquelles nous pouvons bâtir en commun. A savoir, le phénomène de métissage, le dialogue inter culturel, l'inter-compréhension, etc. Cependant, lorsque vous êtes en face d'une société, dont vous n'êtes pas à mesure de comprendre la culture, les références et le modèle de système de valeurs, il y a incompréhension. Et c'est ce qui débouche, malheureusement, dans certaines sociétés, sur des phénomènes de rejet allant ou pouvant aller jusqu'aux racines, à des guerres tribales ou éthnicistes. Il s'agit là d'une interprétation de la différence avec une connotation négative.

Wal Fardjri : Qu'est-ce qui fait la spécificité du conte chez les Sérère ?

Pape Massène SENE : Ce qui fait la spécificité, c'est d'abord, par rapport aux autres récits, dont nous avons parlé notamment du mythe. Il y a, par exemple, l'épopée qui rapporte des faits historiques. Ce sont des récits, dont les émetteurs, à savoir ceux qui ont le droit de les prononcer au sein de la société, sont déjà identifiés à l'avance, ou comme détenteur de savoir, ou comme griot ou porte-parole de la communauté. Ce sont des fonctions qu'on distribue au sein de la société. Alors que le conte, dans cette société Sérère est à la portée de tout le monde. C'est vraiment le récit le plus populaire. Malheureusement, le problème aujourd'hui, c'est qu'un certain nombre de pratiques sociales est détruit avec l'évolution des sociétés, la multiplication sur le plan démographique, les contacts avec l'extérieur, le phénomène d'urbanisation, etc. Aujourd'hui, lorsque (vous et moi), nous quittons nos maisons, ce ne sont pas nos grands-parents que nous laissons là pour s'occuper de l'éducation de nos enfants. Ces derniers sont souvent dans les villages ou ailleurs. Ou simplement, même quand ils sont en ville, dans une autre villa ou une autre maison, pour des raisons d'espace. Et donc, à qui livrons-nous finalement nos enfants ? C'est une question importante sur laquelle les gens devraient réfléchir. Généralement nous les livrons à ceux que nous appelons ‘les bonnes’. Qui, quelque part, ont raté leur propre processus d'éducation par rapport à leurs ambitions. Nous leur demandons de s'occuper matériellement de la maison et des enfants avant que nous ne venions. Déjà matériellement elles ont des problèmes pour assumer l'ensemble de ces missions. Sur le plan éducationnel, lorsque vous-même, votre éducation n'est pas parfaite : vous avez quitté, par exemple, vos parents à l'âge de quinze ans pour des raisons économiques, pour chercher de l'argent à Dakar, qu'est-ce que vous pouvez transmettre, alors que vous ne savez rien. C'est un véritable drame et une tragédie sociale. Donc il nous appartient, tenant compte des contraintes de la vie moderne, parce qu'il ne s'agit pas de retourner vers le passé, de faire en sorte d'injecter dans les supports modernes de communication (la radio, la télévision, les ateliers d'échanges, les centres aérés, etc.), ces mécanismes de régulation social et de transmission de connaissance.

Wal Fardjri : Quel regard portez-vous sur le festival de Conte paroles médinoises ?

Pape Massène SENE : C'est une initiative à encourager, ne serait-ce que par rapport à cette capacité de créer un espace de rencontres et d'échanges entre ressortissants de plusieurs communautés, autour d'un même sujet. Le thème, autour duquel se rassemblent ces gens, est un thème constitutif de l'identité culturelle de chaque communauté. Puisque c'est un thème à partir duquel on arrive à comprendre les valeurs éthiques qui guident le fonctionnement de la société. Ce sont aussi des repères qui permettent de comprendre les règles d'organisation de la société. Enfin, ce sont des scènes qui permettent de comprendre et de maîtriser les mécanismes de régulation de la société. C'est-à-dire, comment on peut transformer sans casser la société. C'est cela, l'espace entre le permis, le toléré et l'interdit. Toute l'intelligence d'un être humain membre d'une communauté est de savoir, à l'intérieur de cet espace, accomplir sa destinée en exerçant sa propre liberté, mais sans jamais remettre en cause l'existentiel de la communauté. Et je crois que ces leçons sont encore particulièrement actuelles, même aujourd'hui, au troisième millénaire. Sinon, chacun tourne le dos à l'autre et ne cherche pas à le comprendre. Cela est source de violence et de destruction. Quelque part, pour résumer, on dirait que cette rencontre a d'autant plus d'importance, qu'elle nous refonde dans notre humanité et dans notre humanisme. Parce que c'est ce qui fait que nous sommes véritablement différents des animaux qui peuvent être en meute ou en troupeau, mais en vérité, sans rien partager d'autre que les aliments. Ils ne peuvent pas réfléchir tôt. Ils ne peuvent pas se projeter dans le temps pour partager un système d'organisation.

Wal Fardjri : Quelle politique mène le ministère de la Culture pour préserver le conte ?

Pape Massène SENE : Nous n'avons pas une politique spécifique sur le conte. Mais par contre, nous avons une politique sur la préservation du patrimoine immatériel, à côté du patrimoine matériel. Ce dernier est connu : ce sont les bâtiments, les places publiques et autres infrastructures qui ont une certaine valeur historique. Tandis que le patrimoine immatériel, c'est tout ce que nous nous disons pour forger l'individu, lui assurer une bonne éducation et qui n'est pas consigné ailleurs. Il est donc très important que le ministère de la Culture prenne en charge la préservation de ce patrimoine. Cela commence par les lieux de mémoire. Il y a un certain nombre de sites qui sont préservés et on s'évertue à faire comprendre aux personnes concernées pourquoi ce lieu de mémoire a une importance dans l'histoire du pays. C'est le cas par exemple, lorsque nous mettons à Thieytou autour de la tombe de Cheikh Anta Diop, des repères pour que l'on sache que cet homme a fait plus que d'autres. Et lorsque nous allons jusqu'à inventorier le lieu où on a enterré Kocc Barma Fall, dont beaucoup de gens entendent parler, mais pensent que c'est un mythe, (nous voulons montrer que) Kocc Barma est un philosophe sénégalais. Il est bien né dans un espace précis, à un endroit précis. Nous essayons donc, de collecter auprès des gens qui savent tous les messages que ces hommes importants nous ont laissés en héritage. Et cette collecte-là, c'est une des missions du ministère de la Culture, dont on s'acquitte au niveau de la direction du Patrimoine culturel.

 

Propos recueillis par Joseph DIEDHIOU



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