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BARBARIE, SAUVAGERIE, INAPTITUDE A LA DEMOCRATIE, FECONDITE GALOPANTE, MENTALITES RETROGRADES, GUERRES TRIBALES… - Ces prismes réducteurs qui caricaturent l’Afrique

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BARBARIE, SAUVAGERIE, INAPTITUDE A LA DEMOCRATIE, FECONDITE GALOPANTE, MENTALITES RETROGRADES, GUERRES TRIBALES… - Ces prismes réducteurs qui caricaturent l’Afrique

« L’Afrique noire est une terre de violence et de sauvagerie. Elle est minée par le sida et la corruption. Elle n’est pas prête pour la démocratie. Ses habitants ne connaissent que le tribalisme. Ils sont tous polygames, leurs femmes font trop d’enfants… ». Ces préjugés et autres clichés qui sont devenus des sortes « d’évidences » en Europe ont profondément ancré dans les consciences la vision caricaturale de l’Afrique au sud du Sahara. Avant-hier, ces lieux communs véhiculés par les médias ont fait l’objet d’échanges contradictoires lors d’une conférence organisée au Centre culturel Léopold Sédar Senghor de Dakar (Ex-Ccf), par l’Institut de recherche pour le développement (Ird). Le prétexte a été la présentation de l’ouvrage intitulé « L’Afrique des idées reçues » et publié sous la direction de Georges Courade, Directeur de recherches à l’Ird et professeur associé à la Sorbonne. 

Le « naufrage » supposé de l’Afrique est à la source de stéréotypes nihilistes et d’arrières plans mortifères profondément enracinés dans les consciences des élites européennes. « L’Afrique noire est une terre dominée par les comportements irrationnels et les mentalités rétrogrades. Elle est minée par la violence et la sauvagerie, le sida et la corruption. Elle n’est pas prête pour la démocratie. Ses habitants ne connaissent que le tribalisme. Ils sont tous polygames, leurs femmes font trop d’enfants… L’économie informelle est la voie pour un développement à l’africaine... »

Tout cela a débouché sur des visions d’une Afrique criminelle ou victime, exploitée ou suicidaire selon le type de responsabilités que l’on veut établir devant le tribunal de l’Histoire. Soucieux de redresser ces prismes réducteurs qui donnent une vision caricaturale de l’Afrique au sud du Sahara, une trentaine d’auteurs se sont évertués à interroger, sur la base de grilles de lecture purement intellectuelles et d’expériences fructueuses de terrain, plus d une cinquantaine d’idées reçues sur l’Afrique.

Le fruit du travail qui a essayé de faire la part de vérité et d’erreur que ces lieux communs peuvent receler a coïncidé avec l’édition de l’ouvrage intitulé « L’Afrique des idées reçues ». Un ouvrage réalisé sous la direction de Georges Courade, directeur de recherches à l’Ird et professeur associé à l’université de Paris 1 (Panthéon Sorbonne) jusqu’en 2004. Avant-hier, ledit ouvrage a fait l’objet d’une conférence au Centre culturel français (Ccf) sous l’égide de l’Ird, en présence d’un large public, avec en modérateur le recteur de l’université de Dakar Abdou Salam Sall.

Généralisations et comparaisons abusives

Pour Georges Courade et Pierre Janin, tous deux chercheurs à l’Ird, qui ont introduit le sujet par l’entremise d’une présentation en flash, les préjugés et prismes réducteurs qui accompagnent les visions sur l’Afrique ne sont pas seulement caractéristiques d’une connaissance faussée du continent noir. Enjambant toute rigueur scientifique, ces idées reçues qui noircissent sans discontinuer le visage de l’Afrique, qualifiée de continent criminel, prédateur et corrompu n’expriment pour la plupart que des généralisations et des comparaisons abusives. Pis, elles se fondent sur des apparences sans sentir le besoin d’intégrer le cœur des phénomènes approchés. L’homme africain victime de rengaines nihilistes persistantes devient dès lors un être incapable de mouvement et figé face à la nécessaire évolution du temps et à la marche de l’Histoire.

C’est une telle vision qui poussa l’actuel président français Nicolas Sarkozy à déclamer dans la première institution universitaire d’Afrique de l’Ouest, celle de Dakar, ce principe essentialiste qui infantilise en tout temps l’homo africanus. Et Paul Wolfovitch, ancien secrétaire d’Etat américain et actuel directeur de la Banque mondiale, de qualifier l’Afrique de prédatrice de ses propres ressources.

Et Jacques Chirac, président sortant de la France, dite terre des Lumières, de pouvoir énoncer dans les années 90 sa célèbre déclamation prétendant que l’Afrique n’est pas prête à la démocratie ? Et les bien pensants de devenir myopes dans leurs expertises au point de voir dans tout soubresaut sur le continent un retour aux temps de la barbarie. Toute guerre civile devient alors ethnique et tribale ; ce qui sous-entend que les Africains, aujourd’hui comme hier, sont incapables de penser le politique. Que dire enfin des lieus communs sur les comportements irrationnels et autres mentalités rétrogrades des Africains, sur leur polygamie à outrance, sur la fécondité abusive des Africaines et sur leur soumission animale, sur le tribalisme qui expliquerait tous les conflits, sur l’agriculture africaine figée et archaïque, sur l’Afrique miséreuse qui émigre vers le vieux continent… Ces prismes réducteurs, fantasmes et idées reçues devenus en Europe des « évidences et des vérités générales » sont arrivés à leur plus haut niveau d’expression sous l’action des médias et des élites. Comme si le substrat humain que partage tous les hommes en dehors de tout référent culturel s’était exilé à jamais du continent noir. Comme si les Africains n’étaient pas assujettis aux mêmes universaux qui caractérisent en tout temps les hommes et les sociétés dans leurs diversités.

Manque d’investissement pour comprendre la complexité des sociétés africaines

Pour le recteur de l’université de Dakar Abdou Salam Sall, modérateur des débats, les images schématiques qui centralisent les visions sur l’Afrique subsaharienne autour d’un florilège de lieux communs et de prismes réducteurs s’expliquent avant tout en relation à des dispositions réfutées par l’esprit de rigueur de la démarche scientifique. « L’intolérance à l’ambiguïté » ou selon « l’ambiguïté de l’intolérance », le peu de place consacrée à l’apprentissage des sociétés approchées, « le prisme idéalisant » dont à titre d’exemple une conséquence réside dans la non-maîtrise des codes des sociétés dans lesquelles on voudrait intervenir, s’avèrent autant de facteurs favorables à la persistance des perceptions déformantes sur l’Afrique au sud du Sahara.

Le manque d’investissement pour comprendre la complexité des sociétés africaines semble ainsi pour le Recteur de l’Ucad, Abdou Salam Sall, à la source même de la vision stéréotypée et déformante du continent. Et cette vision même si elle est profondément enracinée dans la tête des Européens, ne s’expulse pas de l’instance de l’écrit. D’où la question forte adressée par le Recteur Sall à l’endroit des auteurs de l’ouvrage « L’Afrique des idées reçues » : Est-ce que les méconnaissances des auteurs par rapport aux sociétés africaines approchées n’influent pas sur l’écrit et ne traduisent pas elles-mêmes des idées reçues ? Pour Georges Courade et Pierre Jalin, on ne peut pas échapper aux idées reçues, tout au plus peut-on réduire leur portée en décomposant leur structure pour les repenser conformément à un cadre de rigueur scientifique et de cohérence intellectuelle.

Très ouverts, les débats ayant suivi la présentation de l’ouvrage coordonné par Georges Courade ont permis à un parterre d’intervenants de se pencher sur un certain nombre de clichés certes assombrissants pour le continent noir mais tout autant aussi révélateurs des gaps et autres déséquilibres propres aux mécanismes de gestion dans un continent où prospère le sous-développement. Principaux accusés : les dirigeants africains qui ont bradé les ressources disponibles par le biais de la déprédation, du clientélisme et de l’impéritie dans les politiques de croissance économique préconisées.

Les éléphants blancs se sont associé aux éléphants blancs, dira Georges Courade, mais l’Afrique regorge d’entrepreneurs dont les succès retentissants peuvent indiquer la voie à suivre dans le grand défi du développement devant être centré sur la démultiplication de petites et moyennes entreprises performantes. Le maître mot qui leva les rideaux sur la conférence de l’Ird sembla fédérer pour finir tous les participants à la cérémonie : « l’Afrique est un continent complexe et pluriel qui ne saurait se réduire à des représentations schématiques ».



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