Les États-Unis enquêtent sur une nouvelle vaste affaire d’espionnage et de prise d'intérêts, un dossier dans lequel une femme à la double nationalité russo-américaine et qui a vécu dix ans à New York est accusée d’être un “agent illégal” de Moscou. Selon les charges qui pèsent contre elle, Elena “Branson”, 61 ans, correspondait même directement avec Vladimir Poutine en personne. Si elle n’est pas derrière les barreaux d’une prison fédérale actuellement, c’est uniquement parce qu’elle a fui le pays in extremis. Ce qui, vu les circonstances actuelles, est peut-être mieux pour tout le monde.
Quelque 35 ans de prison: voilà la peine qu’Elena Branson encourait si elle avait été jugée coupable des six chefs d’accusation énoncés à son encontre par le procureur du district sud de New York mardi. La charge la plus lourde concerne ses activités présumées “d’agent d'un gouvernement étranger” sur le territoire américain sans en avoir informé les autorités compétentes. Cela revient donc à de l’espionnage, un chef d’accusation passible à lui seul de dix ans de prison.
Elena Branson, Tsjernych de son vrai nom, est née en 1961 à Moscou, où elle a obtenu un doctorat en mathématiques informatiques et cybernétique à l’université. Pour trouver un emploi à la hauteur de ses qualifications, prétendait-elle, il lui avait fallu voyager vers l’Occident. Elle s’est donc d’abord rendue à Londres afin d’y étudier la finance, avant de finalement rejoindre New York en 1991. Elle s’y est fait remarquer pour son travail dans différentes banques d'investissement, mais aussi comme conseillère des banques centrales du Brésil et Hong-Kong.
A(r)gent de Moscou
Elena Tsjernych ne s’est jamais affranchie de sa nationalité russe, mais a bénéficié de la double nationalité américaine dès 1999. On ne sait pas précisément d’où son nom “Branson”, le seul qu’elle utilisait à New York, lui vient, mais elle ne semble pas avoir obtenu ce patronyme par un mariage aux États-Unis. En 2012, elle a fondé le “Russian Center New York” (RCNY), une organisation qui promeut l’héritage culturel russe, défend les droits des Russes Américains et les encourage à avoir un rôle prépondérant dans la vie publique aux USA.
Selon l’acte d’accusation, ce centre tournait grâce à des centaines de milliers de dollars que Moscou lui octroyait. Moins pour honorer la mémoire et l’œuvre d’icônes de la culture russe comme Tolstoï - à qui le centre avait malgré tout consacré un festival en 2018 - que pour “identifier la nouvelle génération de leaders américains, entretenir les canaux d'information et modeler la politique américaine aux intérêts russes”. Du lobbying sans fard.
Contact avec Trump
Elena Branson s’était aussi chargée de fournir des visas frauduleux à des Russes qui voulaient intégrer les USA, quand elle ne tentait pas d’affiner son cercle de relations politiques. Côté russe, elle avait eu des contacts multiples et directs avec... Vladimir Poutine lui-même. En 2016, elle avait tenté à plusieurs reprises d’entrer en contact avec un certain Donald Trump. Ces tentatives avaient évidemment eu lieu à la demande expresse de Moscou, et ce avant les élections favorables au républicain. L’histoire ne dit pas encore si le milliardaire avait finalement accédé à sa demande, avant ou après son accession à la présidence.
La justice new-yorkaise dispose d’un dossier solide, mais a cependant été prise de vitesse par la Russe. En octobre 2020, cette dernière, partie pour un voyage à Moscou, n’est jamais retournée sur le sol américain. Et pour cause: avertie que le FBI avait mené des perquisitions à son domicile new-yorkais le mois précédent, et que son départ pour Moscou était considéré comme une fuite, elle n’a plus osé quitter son pays d'origine. Depuis son retour en Russie, elle passe son temps en compagnie d'une certaine Maria Boetina, une Russe de 33 ans qui a été incarcérée aux États-Unis en 2018 pour y avoir également opéré comme “agent illégal russe”. Cette dernière avait plaidé coupable et avait été condamnée. Dès son renvoi en Russie en 2019, elle avait été élue comme députée du parti de Poutine.
Haine pour la Russie
En octobre dernier, c’est cette même Maria Boetina qui avait interviewé Elena Branson/Tsjernych dans le cadre d’une émission pour la chaîne de propagande russe RT. Dans cet entretien, la Russe prétend n’avoir rien à se reprocher, et elle dément fermement avoir eu des contacts avec des responsables politiques américains ou même de quelconques financements de Moscou pour sa fondation. Selon ses dires, si une trentaine d’agents du FBI ont soudain forcé la porte de son habitation le 29 décembre 2020, armés jusqu’aux dents et protégés par des gilets par balles, ce n’est que parce que les États-Unis vouent une haine sans limite à la Russie. “Une petite mais très active part de la population s’y mobilise contre nous”, accuse-t-elle lors de son échange avec Boetina.
Maria Boetina est de son côté entre-temps devenue une figure de proue de l’invasion russe. Elle a d’ailleurs réalisé et publié une vidéo dans laquelle elle tente de rallier le peuple russe à l’assaut de Poutine en expliquant en quoi il est de l’intérêt de la population d’adhérer à cette guerre menée en Ukraine. Désormais, l’image d’Elena Branson est à son tour utilisée à des fins de propagande. Le mois dernier, la Russo-Américaine s’est rendue dans une université en compagnie de Maria Boetina afin d’exposer ensemble à la future élite russe en quoi elle se doit de rester ou revenir au pays afin de servir les intérêts de la nation. C’est d’ailleurs dans cette optique qu'on peut juger préférable que la justice américaine ne soit pas parvenue à l’arrêter à temps. Si Branson avait atterri en cellule outre-Atlantique, la propagande aurait été efficace. La Russe aurait aussitôt été présentée par Moscou comme une martyre, elle aurait cristallisé les tensions avec l’Occident, serait devenue un enjeu, voire une excuse et aurait détourné l’attention du vrai sujet: les traumatismes et l’horreur que la Russie commet actuellement contre la population ukrainienne qu’elle tente de prendre en otage.
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