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En Irlande du Nord, la Nouvelle IRA ravive de vieilles peurs et s'excuse

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"#Pas en notre nom", graffiti inscrit dans le quartier Creggan de Londonderry (Irlande du Nord), le 20 avril 2019, au lendemain de la mort de la journaliste Lyra McKee.

La mort de la journaliste Lyra McKee lors d’émeutes à Londonderry (Irlande du Nord) la semaine dernière suscite des inquiétudes quant à la résurgence de groupes paramilitaires séparatistes, comme la Nouvelle IRA qui a admis sa responsabilité mardi.

L’inscription "#Not in our name, RIP Lyra" ("#Pas en notre nom, repose en paix Lyra") a été ajoutée sur le mur emblématique de Londonderry, là où s’affiche depuis 1969 le slogan des revendications séparatistes : "You are now entering Free Derry" ("Vous entrez maintenant dans Derry libre"). L'hommage à "Lyra" fait référence à la journaliste Lyra McKee, tuée par balle lors d’émeutes dans la nuit de jeudi 18 à vendredi 19 avril. "Un homme armé a tiré à plusieurs reprises contre la police, et une jeune femme, Lyra McKee, 29 ans, a été blessée" puis est décédée à l'hôpital, avait expliqué vendredi la police, tenant pour responsables "des dissidents républicains violents" et "très probablement la Nouvelle IRA", groupe dissident de l'Armée républicaine irlandaise.

La mort de la journaliste a provoqué une onde de choc dans les différentes communautés irlandaises, ravivant le souvenir des heures sombres des "Troubles", nom donné aux trois décennies de conflit sanglant entre catholiques séparatistes et protestants unionistes. C’est précisément à Londonderry – ou à Derry, selon l’appellation préférée par les nationalistes – que s’était déroulé le "Bloody Sunday" du 30 janvier 1972. Des soldats britanniques avaient ouvert le feu sur des participants à une marche pacifique, faisant 14 morts.

L’émotion suscitée par la mort de Lyra McKee, activiste lesbienne et journaliste, spécialisée dans les questions nord-irlandaises, semble aujourd’hui souder la société nord-irlandaise autour de ce slogan "Not in our name". La journaliste s'était longuement intéressée à la transmission des traumatismes à la génération qui n’a pas connu les "Troubles", et avait mis en lumière le taux élevé de suicide parmi les jeunes.

"Sincères et entières excuses"

Au centre de l’attention revient la Nouvelle IRA, montrée du doigt dès vendredi par la police d’Irlande du Nord. Le commissaire chargé de l’enquête, Jason Murphy, a ensuite déclaré samedi : "Lyra, âgée de 29 ans, a été tuée par des terroristes. Je crois que les personnes responsables sont membres de la Nouvelle IRA."

La veille, un communiqué du parti Saoradh, qui se présente comme la branche politique de cette "Nouvelle IRA", a justifié les événements comme un "acte de résistance" contre une "attaque" des "Crown Forces" (littéralement les "forces de la Couronne"), qualifiant la mort de Lyra McKee d’"accidentelle" et de "tragique", et estimant que la responsabilité de sa mort incombait aux forces de l’ordre nord-irlandaises.

Or peu d’habitants d’Irlande du Nord acceptent cette "quasi-excuse", écrit le correspondant en Irlande du quotidien britannique The Guardian, Rory Carroll.

Pour sa part, la vice-présidente du parti républicain Sinn Féin, Michelle O’Neill, accuse ce groupuscule se revendiquant de l'héritage de l'IRA d'avoir mené "une attaque contre le processus de paix et contre le Good Friday", l'accord du Vendredi saint qui a permis en 1998 le désarmement de l’IRA en échange d’un retrait des forces britanniques.

Mardi 23 avril, la Nouvelle IRA a nettement admis sa reponsabilité dans la mort de la journaliste et a présenté "ses sincères et entières excuses à la partenaire, à la famille et aux amis de Lyra McKee pour sa mort", selon le site de The Irish News qui affirme avoir reçu une déclaration contenant un message codé de la part du groupe dissident.

La jeune femme de 29 ans a été "tragiquement" tuée alors qu'elle se "tenait à côté des forces ennemies", a justifié le groupe républicain dissident, en évoquant des forces de l'ordre "lourdement armées", qui auraient "provoqué les émeutes" précédant la mort par balle de la journaliste.

S'ajoute à ce drame une polémique sur la présence de caméras. À en croire Rory Carroll, les événements de la nuit du jeudi 18 avril ont été filmés par la société de production détenue par l’animateur Reggie Yates, qui tourne une série pour MTV au sujet des jeunes attirés par la violence et les situations extrêmes. Interrogé par le Guardian, un porte-parole de MTV rejette pour autant l’idée que la présence de caméras ait pu "alimenter" la situation.

Nouvelles dissidences

Mais que recoupe cette Nouvelle IRA ? En Irlande du Nord, de nombreux commentateurs estiment que les responsables de ce groupuscule récemment formé (en 2016) sont des jeunes n'ayant pas connu les "Troubles", manipulés par un élément radical plus âgé, rapporte l’AFP. Dans l'enquête sur la mort de Lyra McKee, les premiers suspects, vite relâchés par la police, étaient d'ailleurs deux jeunes hommes âgés de 18 et 19 ans.

En 2016, The Irish Times désignait déjà la Nouvelle IRA comme le plus meurtrier de tous les groupes dissidents républicains luttant pour la réunification de l’Irlande.

Impossible de connaître les ramifications précises de ce groupuscule paramilitaire, ni d'en mesurer l'influence auprès des jeunes, estime l'universitaire Martin Melaugh, chercheur à l'université d'Ulster et auteur d'un rapport annuel sur le processus de paix en Irlande du Nord. "Ils ont tout intérêt à recruter de nouveaux membres parmi les jeunes, notamment pour échapper au contrôle des forces de l'ordre, puisqu'ils sont moins 'connus'", explique-t-il dans une interview écrite accordée à France 24. "Par le passé, l'IRA provisoire exigeait des membres de son unité 'active' de ne pas se montrer lors de rassemblements républicains publics (marches, meetings, etc.) pour éviter d'attirer l'attention des services de sécurité."

"Il y a une dangereuse radicalisation des jeunes [...] par ceux qui sont liés ou proches de la Nouvelle IRA", avance Allison Morris, correspondante pour les questions de sécurité du journal The Irish Times. Une analyse qui fait écho aux propos du commissaire Jason Murphy, qui dirige l'enquête sur la mort de Lyra McKee. "Nous assistons à l'émergence d'un nouveau genre de terroristes", a-t-il mis en garde samedi.

Qui se trouve derrière cette Nouvelle IRA ? D'anciens républicains ? "C'est possible", estime Martin Melaugh. "Durant le processus de paix [dans les années 1990], certains républicains ont rejeté l’approche du Sinn Féin et préféré se couper du mouvement ‘mainstream’", analyse-t-il pour France 24. "Certains de ces dissidents ont simplement ‘pris leur retraite’ et ne se sont pas engagés dans les nouveaux groupements. D’autres, au contraire, ont formé des nouvelles entités politiques et paramilitaires, et sont restés actifs dans la lutte contre le gouvernement britannique en Irlande du Nord. Nombre de groupes paramilitaires font ainsi leur apparition, puis disparaissent. La 'Nouvelle IRA' est le dernier-né de cette dissidence. Si le groupe était dissous, ses membres se reformeraient sous une autre bannière."

"Vide politique"

Les peurs d’une nouvelle flambée de violences venant des groupes paramilitaires ne sont pas nouvelles. En janvier dernier, l'explosion d'une voiture piégée à Londonderry faisait suite à la découverte de plusieurs paquets contenant des petits engins explosifs, retrouvés notamment dans des bâtiments des aéroports de Londres-City et Heathrow. Ces actes avaient été revendiqués par la Nouvelle IRA.

Le contexte du Brexit, qui menace de rendre plus tangible une frontière nord-irlandaise que le marché unique de l’Union européenne avait eu tendance à effacer, ressuscite des inquiétudes. Selon le Pr Kieran McConaghy, de l'Université St Andrews en Écosse, il est "difficile de dire" si le Brexit a joué un "rôle majeur" dans les attaques récentes, car de tels incidents ont été constants ces dernières années. Mais "les politiciens feraient bien d'essayer de sortir de l'incertitude (...) pour éviter que des organisations comme la Nouvelle IRA et d'autres ne comblent ce vide politique", a-t-il expliqué sur la chaîne CBC.

"Pour le moment, les républicains dissidents ne bénéficient pas d’un soutien qui leur permette de représenter une menace pour le processus de paix", estime pour sa part Martin Melaugh. Cet observateur du processus de paix nord-irlandais redoute cependant qu'un "enjeu politique fort alimente le ressentiment de la population, et que les groupes dissidents ne se nourrissent de cette colère. L'impact du Brexit sur la frontière nord-irlandaise pourrait mettre le feu aux poudres. S'il y a un quelconque signe concret à la frontière, tel une infrastructure, celle-ci serait la cible des protestations et éventuellement d'attaques paramilitaires. Même les services de police ont émis cette crainte de voir une infrastructure construite à la frontière."



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