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Gidéon Béhar (Ambassadeur d'Israël au Sénégal) : «Israël ne s'intéresse pas aux matières premières en Afrique»

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Gidéon Béhar (Ambassadeur d'Israël au Sénégal) : «Israël ne s'intéresse pas aux matières premières en Afrique»
Après quatre ans de représentation de son pays au Sénégal, l'ambassadeur d'Israël, Gidéon Béhar, décline les perspectives en matière de coopération. Ce diplomate atypique qui maîtrise à merveille le wolof, le pular et le sérère, revient dans l'entretien qu'il nous accordé, sur les performances économiques de son pays. Non sans peaufiner quelques projets agricoles et commerciaux avec le Sénégal. Il ne manque pas, par ailleurs, de tenir un langage de paix, tout en prônant le dialogue interreligieux qu'il trouve ‘impératif’. 

Wal Fadjri : Qu'est-ce qui vous a le plus marqué depuis votre venue au Sénégal comme ambassadeur de votre pays ?

Gidéon Béhar : D'abord, vous avez mentionné que je parle wolof et c'est un des premiers défis. En parlant le wolof, ça me donne une perspective de mieux comprendre mieux la réalité du Sénégal, de comprendre la coutume, les espoirs des gens et d'être en contact direct avec la population. Je me sens bien parce que c'est le pays de la Téranga. Et c'est un pays accueillant, agréable, pour nous les diplomates.

Wal Fadjri : D’un point de vue culturel, quelle est la différence fondamentale entre le Sénégal et Israël ?

Gidéon Béhar : En hébreu, il y a un proverbe qui dit que la base du monde est la même. En araméen, la langue de Jésus-Christ, on dit la même chose. C'est-à-dire, si vous êtes en Chine, au Japon, en Afrique, au Brésil ou en Israël, la base est la même. Il y a des différences et des nuances certes, mais la base est que les hommes ont besoin de routes, de sécurité, d’un meilleur avenir pour leurs enfants, d’une bonne santé, etc. C’est cela qui nous réunit dans ce monde. Un monde caractérisé en plus par la mondialisation et le processus de globalisation. C'est une chose exceptionnelle. J'ai un ami sénégalais qui me dit souvent qu'il y un co-devenir, c'est-à-dire que nous tendons tous vers un même devenir. Et cela aussi m'a beaucoup marqué au Sénégal, c'est-à-dire le fait d’avoir des similitudes.

Wal Fadjri : Et comment se porte la coopération entre le Sénégal et votre pays, notamment sur le plan agricole ?

Gidéon Béhar : C'est un bon niveau de coopération. Parce que l'Etat d'Israël est important pour le Sénégal, surtout dans le domaine du transfert du savoir-faire et des technologies. Et c'est le domaine le plus important, quand on parle de coopération. Autrement dit, comment peut-on organiser un transfert des idées, des concepts, des technologies, etc. ? Nous sommes en train de le faire à travers deux programmes municipaux. D’abord, le programme Tipa (Ndlr : projet d'innovation technico-agricole) met en place des projets d'irrigation de goutte-à-goutte dans plusieurs endroits du Sénégal comme Keur Yaba, le premier site, Mbissel mais aussi dans des établissements scolaires et académiques comme l'université Cheikh Anta Diop, le lycée agricole de Bignona qui va avoir un hectare agricole de goutte-à-goutte, le lycée technique de Thiès et le Cours Sainte Marie de Hann que vous avez visité. Même à l'hôpital de Fann, nous avons installé ce programme grâce au Corps de la paix américain. Cela veut dire qu’Israël essaie de donner quelque chose au Sénégal qui a une valeur ajoutée, pour essayer d'aider les Sénégalais à créer des projets à long terme, qui leur permettent d'être autonomes. C’est en cela que le projet Tipa est une chose exceptionnelle.

L'autre domaine de coopération, c'est la formation, avec un transfert des compétences et des capacités au profit du Sénégal. Ainsi, un centre de formation en Israël donne des enseignements en agriculture, en santé, en renforcement des capacités des femmes, en développement rural, en développement du tourisme en Afrique, et sur la gestion des petites et moyennes entreprises. Chaque année, des milliers d’Africains suivent des formations dans différents domaines en Israël, sans compter le millier d'autres qui suivent une formation sur le continent. Le Sénégal est favorisé pour les programmes qui existent et on compte des dizaines de Sénégalais qui sont formés chaque année en Israël ou ici.

Wal Fadjri : Votre pays a l'expérience dans la transformation des déserts en des zones agricoles. L’Etat du Sénégal vous a-t-il contacté pour l'appuyer dans son projet de grande muraille verte ?

Gidéon Béhar : Effectivement, nous avons été contactés et nous désirons aussi partager notre savoir-faire dans ce domaine. En Israël, de véritables forêts existent dans les déserts. Elles sont petites certes, mais il en existe. Il y a l'expérience israélienne dans ce domaine et nous sommes prêts à la partager. J'espère que c'est le prochain programme dans lequel nous allons partager notre expérience. Mais, je peux ajouter que l'expérience du goutte-à-goutte est quelque chose de formidable, mais aussi une grande opportunité pour le Sénégal, à cause de la faiblesse des pluies, avec une saison des pluies qui n'excède pas trois mois. En dehors de ces trois mois, le reste de l'année est très sec comme en Israël d’ailleurs.

Wal Fadjri : Quelle place l’Afrique occupe-t-elle dans votre politique de coopération ?

Gidéon Béhar : Elle occupe une place de plus en plus importante dans notre politique de coopération. Mais en même temps, il faut reconnaître que l'intérêt politique et économique d'Israël est beaucoup plus orienté vers les Etats-Unis, l'Europe et l'Asie. Toutefois, Israël a besoin de plus en plus de l'Afrique parce que c'est le seul pays au monde à avoir une frontière terrestre avec l'Afrique. Nous sommes les voisins les plus proches de l'Afrique. Alors, c'est impératif pour nous d'être plus actifs en Afrique.

Si vous regardez les relations entre l'Afrique et Israël dans les années 1960, c'est-à-dire immédiatement après les indépendances, il y avait des milliers d'experts israéliens sur le continent. Israël était un pays de plus de deux millions et demi d'habitants à cette époque, mais il a partagé. Il a existé et a eu plusieurs ambassades en Afrique. Mon souhait comme ambassadeur, c'est de voir plus d'activités israéliennes dans les secteurs de développement en Afrique, parce qu’il n’y a pas de différence entre les deux ; en plus, la globalisation a détruit les murs culturels, linguistiques, géographiques, etc. Et en Israël, de plus en plus, on voit que le continent est très important. Et la visite du ministre Israélien des Affaires étrangères en Afrique, l'année dernière, est assez révélatrice dans ce domaine.

Wal Fadjri : L'Etat d'Israël veut-il adopter une nouvelle approche plus offensive sur le continent afin de consolider son partenariat en Afrique ?

Gidéon Béhar : Oui, l'Afrique est le continent avec lequel nous partageons une frontière terrestre. Et il est clair que c'est un continent qui nous intéresse aussi bien dans le domaine commercial que celui du développement et du transfert du savoir-faire et des technologies. Prenons le domaine des télécommunications, avec les téléphones portables. Aujourd'hui, il n'existe pas dans le monde de téléphone portable sans un logiciel israélien. Israël est le deuxième pays au monde après les Etats-Unis d’Amérique sur le nombre de start-up, c'est-à-dire les nouvelles sociétés informatiques mises en place. C'est le pays qui consacre la plus grande part de son budget à la recherche et au développement. Ainsi, 5 % de son produit national brut (Pnb) sont injectés dans ce secteur. C'est presque le record mondial. Si vous regardez le Nasdaq, la bourse des valeurs technologiques, au niveau du nombre de sociétés enregistrées à ce niveau, c'est Israël qui vient après les Etats-Unis. C'est-à-dire qu'Israël détient un art de savoir-faire avec une capacité d'innovation technologique et scientifique énorme. C'est le pays qui attire les plus grands investissements dans le monde et notre objectif est de partager ce savoir-faire. D’ailleurs, dans la culture juive, il existe une volonté d'aider l'autre, comme également dans l'Islam avec la Zakat. Dans la tradition juive existe également cette notion de Zakat. Car notre volonté, c'est de voir le Sénégalais plus fier, plus capable de produire dans tous les domaines.

Wal Fadjri : Par rapport à un pays comme la Chine, on remarque que les échanges commerciaux sont plus minimes avec l'Afrique…

Gidéon Béhar : (Il nous coupe). Israël ne s'intéresse pas aux matières premières en Afrique. Notre économie est essentiellement basée sur le savoir-faire, sur la production industrielle massive. Nous voulons privilégier les échanges commerciaux.

Wal Fadjri : Pourquoi les produits israéliens ne sont-ils pas visibles en Afrique ?

Gidéon Béhar : Cela dépend. Si vous visitez un pays comme le Nigeria, vous y trouverez près de trois cents sociétés israéliennes qui y sont installées. En plus, le volume d'échanges avec l'Afrique du Sud dépasse le milliard de dollars. Cela veut dire qu'il existe des échanges significatifs avec certains pays africains.

Wal Fadjri : Pourquoi les échanges avec le Sénégal tardent-ils à prendre forme ?

Gidéon Béhar : Avec le Sénégal, nous avons un défi qui consiste à voir plus de sociétés israéliennes actives dans le marché local. Cela signifie plus d'échanges commerciaux entre les deux pays, d’autant qu’il existe, quand même, un grand avantage en Israël pour les marchés sénégalais. Surtout dans le domaine technologique. Par exemple, l'utilisation du goutte-à-goutte et l'énergie solaire sont des domaines dans lesquels Israël est très en avance. Et c'est dommage qu'il n'y ait pas de sociétés sénégalaises ayant une coopération avec celles israéliennes. Dans le domaine de l'assainissement de l'eau également, il y a des possibilités de coopération avec la ville de Dakar qui n'a pas un système central pour traiter les eaux usées. En Israël, 70 % des eaux usées sont traitées et c'est le plus haut niveau mondial d'exploitation de cette eau. La moitié de l'agriculture aujourd'hui en Israël vit de cette eau traitée. On ne peut pas faire de l'agriculture dans notre pays sans l'utilisation de l'eau usée traitée. Vous voyez qu'il y a des technologies en Israël qu'on peut bien adopter ici au Sénégal. Et cela, c'est un autre domaine de coopération.

Wal Fadjri : Quel est l'impact du dialogue religieux dans un monde de plus en plus menacé par les idéologies extrémistes ?

Gidéon Béhar : Mais c'est impératif. Chez vous au Sénégal, il y a beaucoup de proverbes qui parlent de paix et de dialogue : ‘waxtaan, dissoo’. Et le Sénégal est un bon exemple de cohabitation, de coexistence et de dialogue interreligieux. Ce n'est pas que les choses sont solides, ce n'est jamais évident d’ailleurs. Il faut toujours faire attention et servir d'exemple pour le reste du monde. Moi, j'ai découvert le dialogue interreligieux ici au Sénégal. C'est un impératif ici parce que dans un monde de plus en plus mélangé, multiculturel et multinational, les sociétés qui vont mieux exister seront celles où il y aura des mécanismes de dialogue. Si vous prenez le cas de l'immigration en Europe, les pays qui vont absorber efficacement les migrants seront ceux dans lesquels existe une bonne connaissance interreligieuse et interculturelle. Et également où les communautés peuvent se parler les unes aux autres. Pour moi, c'est primordial, car je suis pour la paix et je pense que la guerre, ça suffit. Et c'est notre devoir d'aller chaque jour vers la paix. C'est pourquoi, je poursuis toujours ce schéma de dialogue interreligieux au Sénégal. Avec des responsables de diverses sensibilités religieuses au Sénégal, nous avons inauguré ce dialogue interreligieux il y a quelques mois, avec l’érection du Monument des religions aux cours Sainte Marie de Hann. Mais vous savez la paix, ce n'est pas un mot, c'est un comportement.

Wal Fadjri : Mais, paradoxalement, nous assistons à un monde de plus en plus agité avec des conflits ouverts un peu partout…

Gidéon Béhar : En fait, il y a plutôt des minorités radicales partout. Mais il leur faut montrer qu'il y a d'autres possibilités et qu'on peut vivre ensemble. Que la différence entre un juif et un musulman n'est pas tellement grande. Dans l'Islam, il y a 313 prophètes et qui sont presque tous dans la bible juive. Alors, finalement, quelle est la différence entre nous ? Notre père, c'est Abraham, le père des croyants : des juifs, des chrétiens, des musulmans et d'autres peuples dans le monde. Au lieu de se focaliser sur les différences, il faut plutôt voir ce qu'on a de commun. Il faut aller vers l'autre. Et ici, cela existe. Quand vous allez dans les cérémonies religieuses comme le Magal de Kahone où j'ai été une fois invité, vous y verrez des délégations de toutes les sensibilités et confessions. Et je me suis posé la question de savoir pourquoi à chaque Magal ou grand événement au Sénégal, il y a des délégations qui viennent de partout pour marquer leur présence par des hommages. C'est principalement pour consolider la paix. L'essentiel, c'est d'avoir le contact et de ne pas nous juger sur la base des médias et des images.

Wal Fadjri : Pourtant, le conflit israélo-palestinien, malgré tous les efforts de paix, connaît une véritable impasse. Pourquoi ?

Gidéon Béhar : Pour faire un peu d'histoire, il convient de rappeler que, suite à un certain partage, la population juive, qui vivait dans la zone, a été attaquée par les Palestiniens eux-mêmes, la Syrie, l'Irak, la Jordanie, l'Arabie saoudite, l'Egypte et par l'Iran. Nous en sommes sortis victorieux. D'abord, Israël a pris quelques territoires destinés au peuple palestinien, mais la majorité c'était la Cisjordanie qui était annexée par la Jordanie et la bande de Gaza par l'Egypte. Et à partir de ce moment, c'était la fin du rêve des Palestiniens. En 1967, Israël a conquis la Cisjordanie, la bande de Gaza etc.. Mais toujours est-il qu'après quelques années, il y a eu un changement politique et les Palestiniens étaient devenus responsables de la Cisjordanie et de la bande de Gaza. Avec les accords d'Oslo en 1993, Israël a dit : ‘Nous sommes prêts à donner la bande de Gaza, et plusieurs autres territoires’. Mais aujourd'hui, la réalité est que le Hamas a pris le contrôle de Gaza où on note l'absence de l'autorité palestinienne. Et c'est cette division entre les frères palestiniens qui est l'obstacle majeur à la paix. Même si Israël réussit à avoir un accord de paix avec l'Autorité palestinienne, le Hamas, lui, soutient ne pas reconnaître le droit d'exister d'Israël, en usant de toutes formes de violences.

En plus, le gouvernement Netanyahu a fait beaucoup de choses exceptionnelles dans l'histoire du conflit israélo-palestinien. L’Etat hébreu a accepté un gel de dix mois de la construction dans les colonies israéliennes de la Cisjordanie. Mais il faut le dire, le véritable obstacle à la paix, c'est la division entre le Hamas et l'autorité palestinienne. Nous voulons qu'après nos concessions futures en Cisjordanie, il n'y ait plus de réclamation vis-à-vis d'Israël sur les terres. Nous voulons qu'elles soient des concessions acceptées de tous et que les Palestiniens puissent enfin reconnaître à Israël son caractère juif. Ce que l'Autorité palestinienne ne parvient pas à accepter.

Wal Fadjri : La poursuite de la colonisation par Israël est considérée comme le principal obstacle à la paix. Cette politique de construction est-elle si capitale pour vous au point de remettre en question tous les efforts de paix dans cette région ?

Gidéon Béhar : Nous disons aux Palestiniens que si vous voulez que nous accédons à votre demande, il faut se mettre autour d'une même table et parler. Mais s'ils refusent de le faire et posent l'arrêt des constructions dans Jérusalem-Est comme préalable à la discussion, cela ne peut pas passer. Il faut comprendre la politique inter-israélienne et accepter de négocier et d'échanger des idées... Et là, je vais vous dire quelque chose qui va peut-être vous surprendre. Il y a beaucoup de coopération entre Palestiniens et Israéliens. D'abord, il y a près de 100 mille Palestiniens qui travaillent quotidiennement en Israël avec des permis de travail. Si vous visitez le centre hospitalier d'Adasa à Jérusalem qui est le plus grand en Israël et peut-être même au Moyen-Orient, vous y trouverez beaucoup d'Arabes qui viennent s'y faire soigner. Parallèlement à cela, il existe une grande coopération économique et commerciale entre les deux parties.

Par ailleurs, la situation économique en Cisjordanie a énormément changé et de façon positive. Le Pnb y a même augmenté de 12 % et cela, d'année en année. Dans le domaine de la santé, le ministère israélien des Affaires étrangères accorde des formations aux Palestiniens, comme il le fait également avec le Sénégal. A cela s'ajoute le fait qu'il y a des centaines de Palestiniens qui étudient chez nous en Israël. Donc, il n’y a pas que la guerre et la confrontation, il y a aussi beaucoup de coopération.



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