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Moyen-Orient : après Daesh, le chaos??

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Forces spéciales irakiennes patrouillant dans la vieille ville de Mossoul, le 7 juillet.

Après Mossoul, l’hydre jihadiste est sur le point de perdre Raqqa, sa dernière tête. Mais, en Irak comme en Syrie, les territoires libérés risquent de basculer dans un autre cauchemar, celui des milices.

Quatre jours avaient suffi au proto-État islamique (EI) pour conquérir Mossoul en juin 2014. Il aura fallu plus de huit mois, du 17 octobre 2016 au 10 juillet 2017, pour que les forces gouvernementales irakiennes reconstituées et la myriade de leurs alliés miliciens et internationaux parviennent à reprendre ce joyau du pseudo-califat qui y avait été proclamé. Dans l’Est syrien, Raqqa, l’autre capitale de l’empire jihadiste, est à moitié reprise. Attaquée depuis le 6 juin par les forces kurdo-arabes avec le soutien des bombardiers occidentaux, elle est sur le point de tomber.

Surgie du désert irakien d’Al-Anbar une nuit d’hiver 2013, la métamorphose d’Al-Qaïda, aujourd’hui nommée Daesh, avait en quelques mois étendu son empire sur le tiers de la Syrie et de l’Irak. Sa propagande sanglante s’est diffusée de réseaux sociaux en médias satellitaires. Des circonscriptions jihadistes s’y sont rattachées depuis les Philippines jusqu’au Nigeria, alors que des attentats portant son sceau saignaient les cinq continents.

Nous allons affaiblir et finalement détruire l’État islamique », avait annoncé Barack Obama en septembre 2014

Mais la chimère politico-­religieuse aurait-elle pu continuer d’exister, après avoir coalisé contre elle les acteurs les plus disparates du Moyen-Orient et les armées les plus puissantes du globe ? « Nous allons affaiblir et finalement détruire l’État islamique », avait annoncé le président américain Barack Obama en septembre 2014.

Trois ans plus tard, la tache noire imprimée sur les cartes géopolitiques du Moyen-Orient est sur le point d’être effacée, sans que les couleurs qui viendront la remplacer se soient précisées. D’ailleurs, son ombre disparaîtra-t?elle pour autant de la région ?

Clairs-obscurs des zones libérées

Délivrés de la férule jihadiste depuis déjà plusieurs mois, les habitants de Mossoul-Est revivent. Les femmes ne sont plus tenues de se déplacer avec un tuteur, voilées de noir de la tête aux pieds, les barbiers rasent les hommes de près, les narguilés fument et des décibels de pop orientale s’échappent des salles de jeux qui ont rouvert. Le tableau d’une ville libérée, ressuscitée, celui que l’on souhaiterait pour l’Irak tout entier.

Une vieille ville transformée en un amoncellement de gravats et de membres arrachés pourrissants

Mais à Mossoul-Ouest, où les jihadistes ont livré leur plus féroce résistance, le scénario est radicalement différent. Fugitifs émergents des décombres presque nus, bancs de cadavres dérivant dans les courants du Tigre, une vieille ville transformée en un amoncellement de gravats et de membres arrachés pourrissants. Partout l’odeur de la mort. Une scène d’apocalypse que les fous d’Allah avaient espérée en leur faveur.

« Après l’annonce de la libération, ordre a été donné de tuer tout ce qui bouge », déclare un commandant de l’armée irakienne dans un reportage effrayant du site d’information Middle East Eye.

Jihadistes potentiels, les hommes en âge de se battre, lorsqu’ils sont interceptés, sont exécutés sur place

Pendant huit mois, les combattants progouvernementaux ont appris que l’adolescent ou le vieillard pouvaient se transformer en bombe, que le niqab noir d’une femme pouvait dissimuler une ceinture d’explosifs. Tout assiégé devient suspect, et Allah reconnaîtra les siens.

Jihadistes potentiels, les hommes en âge de se battre, lorsqu’ils sont interceptés, sont exécutés sur place. Les forces anti-Daesh, essentiellement chiites, ne s’encombrent plus de prisonniers, et leur vindicte contre les sunnites, majoritaires dans la cité et présumés avoir accueilli le califat à bras ouverts, s’exerce sans restriction.

En septembre 2014, Barack Obama avait conditionné l’intervention de ses bombardiers à l’élaboration d’une solution politique qui permettrait une coexistence juste et pacifique des communautés ethniques, religieuses, tribales et claniques irakiennes.

En mai 2017, à la veille de l’offensive de Mossoul, les médias internationaux annonçaient que les milices chiites, pour beaucoup armées, contrôlées par l’Iran et assoiffées d’en découdre avec le jihad sunnite, resteraient aux portes de la ville. Des cohortes de journalistes sont allées couvrir dans leurs Humvees les premières offensives de la Golden Division antiterroriste et des autres forces spéciales gouvernementales.

Formées par des officiers américains, celles-ci étaient censées être moins sectaires. Fin mai, le photographe Ali Arkady publiait ses photos, prises dans l’intimité de la Division de réaction d’urgence (ERD), l’autre division antiterroriste de l’armée irakienne.

Deux observateurs internationaux ont détaillé les exécutions sommaires de quatre personnes par la 16e division de l’armée, mi-juillet », rapportait le 27 juillet Human Rights Watch

Des clairs-obscurs où le visage exorbité d’un berger, tordu dans de multiples liens, semble voir la balle qui l’attend. Des jeunes gens entraînés vers le poteau d’exécution, l’air résigné.

« Deux observateurs internationaux ont détaillé les exécutions sommaires de quatre personnes par la 16e division de l’armée, mi-juillet, et vu des preuves selon lesquelles l’unité avait exécuté beaucoup plus de gens, dont un enfant », rapportait le 27 juillet Human Rights Watch.

Une défiance intercommunautaire grandissante

« Depuis 2014, tous les événements n’ont fait qu’accroître la défiance intercommunautaire, analyse Julien Théron, spécialiste des conflits moyen-orientaux et enseignant à Sciences-Po Paris.

Il sera difficile pour les communautés de vouloir revivre ensemble. Les chrétiens ayant fui Mossoul craignent d’y revenir, beaucoup de Yézidis sont réticents à retourner à Sinjar, leur ancienne capitale, tout comme les sunnites déplacés de leur village par les combats. »

À la faveur des bouleversements sociopolitiques causés par l’invasion américaine de 2003, la majorité chiite d’Irak s’est saisie du pouvoir qu’avait monopolisé le sunnite Saddam Hussein.

Le parti chiite qui est depuis au pouvoir a poursuivi sur la voie des discriminations, cette fois à l’encontre des sunnites, faisant le lit de l’État islamique

Plutôt que de rompre avec la pratique précédente et chercher l’entente nationale, le parti chiite qui est depuis au pouvoir a poursuivi sur la voie des discriminations, cette fois à l’encontre des sunnites, faisant le lit de l’État islamique et favorisant le martyre des minorités locales chrétienne, yézidie, chiite, kurde ou turkmène tombées sous l’emprise de l’EI.

« La solution confédérale, qui accorderait une autonomie aux régions kurde, sunnite et chiite du sud de l’Irak, serait une solution, mais, à Bagdad, le pouvoir central ne veut pas de ce transfert de pouvoirs », poursuit Julien Théron.

Comme au Liban, la logique d’homogénéisation communautaire des territoires conquis s’est imposée dans le feu de la guerre.

Homogénéisation passive par la fuite des communautés menacées, active par les « nettoyages » opérés par les diverses forces conquérantes, jusqu’aux milices kurdes présentées en libératrices à l’opinion internationale, mais accusées par Amnesty International et Human Rights Watch d’épurer à leur profit les localités conquises dans le nord de l’Irak et de la Syrie.

Le 7 juin, le gouvernement kurde d’Erbil, de facto autonome, a annoncé un référendum d’autodétermination pour le 25 septembre. L’élan des Kurdes serait-il la nouvelle menace sur les frontières régionales ? Un État kurde avait été envisagé par le traité de Sèvres en 1920, mais la nation kurde est très disparate, ses mouvements régionaux opposés, ses tendances locales rivales.

« Certains politiciens kurdes d’Irak considèrent qu’une indépendance à l’heure actuelle ne serait qu’une promesse de guerre civile intrakurde, appelant inévitablement à de nouvelles ingérences extérieures », écrit la politologue Loulouwa al-Rachid dans « L’Irak après l’EI : une victoire qui change tout ? », un article publié en juillet dans les « Notes de l’Ifri ».

La prolifération des milices

Si les troupes kurdes irakiennes d’Erbil ou du Rojava syrien sont presque traitées en armées régulières par les états-majors occidentaux, d’autres milices pullulent autour d’elles : chiites, à la solde de personnalités irakiennes ou de la République islamique d’Iran, mais aussi tribales, sunnites anti?EI, ­brigades assyriennes et yézidies d’autodéfense, etc.

L’ex-califat sera-t?il livré à la loi des milices ? Selon Julien Théron, le désarmement de ces dernières suppose de prendre en compte deux paramètres majeurs : « Que leurs parrains internationaux acceptent de faire pression en ce sens et qu’elles choisissent elles-mêmes, localement, de déposer les armes. »

Mais, si le califat s’est effondré, son aura, elle, a gagné des légions sur toute la planète

Quant à l’hydre jihadiste, dès ses premières défaites, elle a renoué en Irak avec sa stratégie initiale de guérilla terroriste. Mais, si le califat s’est effondré, son aura, elle, a gagné des légions sur toute la planète, petites armées comme en Égypte, en Libye, au Yémen ou en Afghanistan, cellules clandestines éparpillées partout ailleurs, prêtes à frapper.

Le califat de Mossoul aura offert un choc mondial dépassant celui du 11 Septembre. Et se révélera peut-être encore plus menaçant mort que vif.

Une présence réfléchie et inquiétante en Afrique du Nord

Depuis qu’une organisation locale, Ansar Baït al Maqdis, a prêté allégeance à l’État islamique (EI) en 2014, le nord du Sinaï est devenu un sanctuaire de Daesh, qui, tout en respectant le mode de vie des Bédouins locaux, n’hésite pas à assassiner les chefs tribaux qui collaborent avec la police.

L’organisation installe des check-points, harcèle les forces armées égyptiennes avec ses véhicules piégés, envoie ses militants patrouiller à pied jusqu’à Rafah, à la frontière israélo-égyptienne, ou dans la capitale du Nord-Sinaï, El Arish (150 000 habitants).

Les revers subis à Mossoul et désormais à Raqqa n’indiquent en rien que les ressortissants nord-africains qui avaient rejoint Daesh sur le territoire de son califat autoproclamé vont rentrer dans leurs pays d’origine. Il semble cependant que Daesh mise sur une présence accrue dans le Sinaï, à travers sa branche Wilaya Sinaï (qui, selon plusieurs sources, compte un peu moins de 5 000 combattants), ainsi que dans les zones arides de la Libye, toute proche.

Les experts sont aujourd’hui formels : depuis 2013, cette implantation dans le Sinaï et en Libye a été patiemment pensée, prévue et organisée. Preuve de l’importance accordée à un ancrage durable de Daesh dans ces régions, les chefs qu’elle a envoyés en Libye : à commencer par l’Irakien Abou Nabil al-Anbari, ex-adjoint d’Abou Bakr al-Baghdadi et commandant d’opérations majeures en Irak, tué en 2015, qui aurait été remplacé récemment par un Saoudien, chargé de réorganiser les contingents jihadistes présents en Libye et dispersés par la défaite qu’ils ont subie à Syrte.

Depuis juin, les signes sont là : ces derniers ont appris à profiter des divisions entre les différentes forces politiques libyennes et ont repris du poil de la bête. Ils se réinstallent au sud de Syrte et dans la région de Misrata, où ils organisent les assassinats ciblés de leurs principaux détracteurs.



4 Commentaires

  1. Auteur

    Yatt

    En Août, 2017 (15:32 PM)
    Après la honte du CFA, des officines corrompues et apatrides comme "Jeune Afrique" et ses camarades locaux devront faire l'objet d'un traitement à l'aune de leurs trahisons et forfaitures.

    Cet article perpétue le diptyque de division des musulmans en sunnites/chiites mise en route par les services de renseignement anglo-américano-sioniste qui a permis à la CIA de pousser Saddam Hussein à agresser l’Iran et lui imposer 8 ans d’une guerre sanglante et destructrice.

    A Raqqa ce sont les américains qui ne veulent pas de l'engagement du Hezbollah après avoir bombardé les troupes syriennes à chaque fois qu’elles étaient sur le point d’anéantir les jihadistes du front Al Nosra (mue US de Al Qaida). :frustre:  :frustre: 

    Actuellement la presse occidentale tait volontairement qu'en Irak, les hommes de Hachd al-Chaabi (que les américains veulent isoler) sont des chiites, des sunnites et des … chrétiens !!!

    Avant-hier, le peuple yéménite a, dans une ferme et formidable unanimité, signifié une fin de non recevoir à cette tentative de division entre L’armée et les Unités de la mobilisation populaire. :contaan:  :contaan:  :brawoo:  :brawoo: 
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  2. Auteur

    Anonyme

    En Août, 2017 (08:40 AM)
    Je n y comprends rien. Dans la guerre des elephants les souris doivent se tenir a l ecart. Ca c est ce que les Anciens nous ont appris. Macky, ne l oublies pas , please.
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    Auteur

    Anonyme

    En Octobre, 2018 (01:45 AM)
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    Auteur

    Anonyme

    En Octobre, 2018 (01:45 AM)
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