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Quatre changements pour l’Afrique, par Laurent Fabius

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Quatre changements pour l’Afrique, par Laurent Fabius

A l’approche de 2007, je crains que nous parlions trop peu de l’Afrique. Une récente visite au Mali et au Sénégal m’a renforcé dans ma conviction : là comme ailleurs, nous avons plusieurs changements de fond à opérer.

Changement dans nos mémoires. Il faut d’abord écouter et comprendre. La force des symboles existe. À Dakar, je me suis incliné sur la tombe de Léopold Senghor, aux obsèques duquel l’actuel président de la République était malheureusement absent. Je me suis rendu aussi à Gorée, faire mémoire de l’esclavage. C’est en sortant du déni, notamment sur la question de l’esclavage et du travail forcé, que nous pourrons construire une relation forte et apaisée avec l’Afrique. Je souhaite que soit honoré plus fortement dans notre pays le sacrifice des Africains qui ont donné leur vie pour la France, à travers les deux conflits mondiaux. Nous avons une dette envers eux. Pour les survivants, un nouvel effort de revalorisation des pensions sera nécessaire.

Contrairement à d’autres, je ne rejette pas l’émouvante « envie de France » que m’ont exprimée ceux que j’ai rencontrés. Une autre politique d’immigration est nécessaire. La loi Sarkozy n’est pas une loi contre l’immigration illégale, c’est plutôt une loi contre l’immigration légale en provenance d’Afrique, avec de nombreux obstacles mis à l’entrée et au séjour réguliers en France, en particulier pour les conjoints, les familles et les demandeurs d’asile. Elle suscite beaucoup d’inquiétude chez les Africains et risque de créer davantage de précarité. A-ton oublié les dramatiques incendies de l’été dernier en région parisienne ? Quant au mot d’ordre sur l’« immigration choisie », il est ressenti par beaucoup comme une atteinte à leur dignité, une façon de mépriser les Africains déjà présents en France et de vouloir piller la matière grise de ces pays.

Il faudra organiser différemment la politique de l’immigration avec les pays d’origine, sécuriser le séjour des étrangers en situation légale, développer avec eux un droit à l’aller- retour pour leur pays d’origine, favoriser l’intégration et lutter sans répit contre les filières clandestines. Je crois notamment à l’idée de parcours conjoints, soutenus par les coopérations française et européenne et permettant de se former et de travailler en alternance, en France et dans le pays d’émigration.

En dépit d’une croissance nominalement forte – plus de 5 % par an depuis 2003 – l’Afrique subit les aspects négatifs de la mondialisation libérale, le commerce inégal, les trafics, la fuite des cerveaux, l’épuisement de l’environnement, les pandémies. Or l’Afrique n’est pas vouée à rester l’homme malade de cette mondialisation.

Il est vital qu’une politique de juste échange remplace le fameux « libre échange ». Les préférences commerciales accordées par les pays du Nord ne doivent pas masquer les subventions déloyales, au coton américain en particulier. En taxant les produits transformés plus que les matières premières, les pays développés cantonnent le plus souvent l’Afrique au rang de fournisseur de matière brute. Pour sortir le continent de la pauvreté rurale, nous devrons maintenir pour les produits africains un traitement spécial préférentiel et chercher à réformer en profondeur plusieurs aspects du commerce mondial. En 2007, l’Union européenne a rendez- vous avec l’Afrique pour conclure la négociation des accords de partenar iats économique régionaux. Nous devrons refuser de les réduire à de simples zones de libreéchange, et agir pour que ces accords prévoient un plan d’investissement massif afin d’accélérer l’intégration régionale, une période de transition longue, permettant les adaptations nécessaires et la suppression des subventions déloyales.

De plus en plus, les Chinois, les Indiens, les Brésiliens, les Russes sont présents en Afrique. Il est crucial que les pays émergents soutiennent les réformes et encouragent nos efforts conjoints en matière de prévention des conflits, de lutte contre les trafics, de sécurité juridique, d’aide au développement, et en faveur des droits de l’homme. Ils doivent éviter de recréer dans ces pays un endettement insupportable. Ensemble, il nous faut combattre la corruption et la France devra se montrer exigeante et exemplaire.

Nous devons en finir aussi avec « la Françafrique » , conception dépassée, marquée souvent par l’arrogance et par l’opacité. F. Mitterrand, il y a seize ans à la Baule, avait commencé à tracer une voie différente. Une nouvelle majorité devra redéfinir la stratégie et les moyens de notre politique en Afrique, au terme d’un débat prenant en compte le regain démocratique et la prise en main légitime par les Africains du destin de leur continent. À l’évidence, c’est d’abord à eux que ce destin revient. Les regroupements sous- régionaux devront être encouragés. Le nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique, de l’avis de son principal instigateur, le président Wade, s’est embourbé dans la bureaucratie, il devra être relancé selon d’autres modalités concrètes.

Bien sûr, l’Afrique est diverse, et notre attitude devra tenir compte de cette diversité. Mais, quels que soient les pays, priorité devra être donnée à l’Afrique dans notre aide et nos engagements internationaux : cela exigera un effort financier et de nouvelles sources de financement. Une loi de programmation devrait fixer une perspective claire en direction de nos partenaires et des ONG. Elle permettra d’évaluer et de redéfinir, en concertation avec les pays africains, les différentes formes de notre coopération : assistance technique, notamment dans le secteur de la formation, de l’éducation et de la santé, pour enrayer les grandes pandémies ; promotion des femmes ; contrôle de la démographie ; coopération monétaire ; coopération de défense, etc. Le service civique obligatoire, que le PS a inscrit dans son projet, pourra contribuer à cette nouvelle politique. La francophonie devra être encouragée car il s’agit d’une grande cause, qui constitue une réponse originale à l’uniformatisation culturelle que porte avec elle la mondialisation libérale. Un effort particulier devra être accompli en direction des étudiants africains, en remettant à niveau les programmes de bourses et en prenant à bras le corps les conditions d’accueil des étudiants.

Au prix de ces changements, nous pourrons envisager une relation renouvelée avec l’Afrique, fondée sur la transparence et l’esprit d’égalité. Voilà le message d’espoir et de dignité que j’ai transmis aux Africains à Bamako comme à Dakar. Ils attendent de la France qu’elle soit fidèle aux valeurs qu’elle porte, c’est- à- dire qu’elle soit plus grande qu’ellemême : elle l’est quand elle fait vivre son universalisme et qu’elle parle avec son coeur.

* Député PS de Seine-Maritime, ancien premier ministre, ancien président de l’Assemblée nationale

LeFigaro.fr



1 Commentaires

  1. Auteur

    Allons Y Molo

    En Octobre, 2010 (18:37 PM)
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