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Retirer les troupes américaines d'Allemagne, un caprice vengeur de Trump

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Donald Trump participe à une table ronde sur le don de plasma au siège de la Croix-Rouge américaine, à Washington, le 30 juillet 2020.
Impulsive et contre-productive, cette décision ne correspond à aucune stratégie, sinon à la colère et à l'ego du président américain.

Le Pentagone a enclenché la mise en œuvre de l'ordre de Donald Trump de retirer un tiers des militaires américains basés en Allemagne, ramenant leur nombre de 36.000 à 24.000. On peut d'ores et déjà tirer à coup sûr trois conclusions de cette manœuvre.

D'abord, loin d'être un «un changement stratégique majeur et positif», comme a pu l'affirmer le secrétaire à la Défense américain, Mark Esper, dans une conférence de presse ce mercredi 29 juillet, il ne s'agit que du résultat d'un accès de colère et d'une volonté de revanche de Trump à l'encontre de la chancelière allemande Angela Merkel, qui lui a infligé divers affronts.

Ensuite, le changement stratégique qui s'annonce n'aura rien de positif pour l'OTAN et, qui plus est, coûtera plus cher aux États-Unis –contrairement à ce que souhaiterait le président américain.

Enfin, en partie pour les raisons précitées, les représentants du ministère de la Défense tentent de freiner autant que possible le retrait, de sorte que seul un faible effectif de soldats aura quitté l'Allemagne d'ici à la présidentielle de cet autonome. En cas de défaite de Trump, ce plan sera abandonné, comme s'il n'avait jamais existé, et les militaires toujours sur place resteront là où ils sont.

Un responsable du Pentagone qui participe à ce nouveau projet m'a confié qu'un petit nombre de soldats pourraient quitter l'Allemagne d'ici quelques semaines, mais que pour «le gros de l'effectif», le retrait prendrait «des années».

Revanche personnelle sur Merkel

C'est, entre autres, une question de logistique: il faut du temps pour charger et déplacer des systèmes d'armement lourd, prévoir de nouveaux logements pour les familles de militaires, et ainsi de suite. Mais si les responsables de la défense le voulaient vraiment, ils pourraient tout à fait réduire les délais de façon considérable.

Les officiers savent que, quoi qu'en dise le secrétaire à la Défense Esper en public, il ne s'agit pas là de stratégie. Ce mercredi 29 juillet, à l'occasion d'un échange spontané avec des journalistes devant la Maison-Blanche, le président Trump a lui-même révélé le pot aux roses. Au sujet de son plan de retrait, le président s'est laissé aller à sa diatribe habituelle sur le thème «America First» («L'Amérique d'abord»).

«L'Allemagne est un mauvais payeur, a-t-il déclaré. Elle n'a pas payé ce qu'elle devait [sa quote-part] à l'OTAN, elle est largement en retard, et ce, depuis des années. Et elle n'a aucune intention de payer ses dettes.» Et de poursuivre: «Les États-Unis ont été floués. [...] Je suis là pour redresser la situation. [...] Pourquoi y laisser nos troupes? L'Allemagne dit que c'est bon pour son économie. Eh bien, pour ma part, je fais ce qui est bon pour notre économie.» Avant d'ajouter, en profitant de l'occasion pour lancer un slogan de campagne électorale: «Avec Biden, notre pays n'aurait aucune chance.»

Notons que Donald Trump avait au départ annoncé son intention de rappeler des soldats début juin sans consulter ni les autorités allemandes, ni même ses principaux conseillers. C'était quelques jours après qu'Angela Merkel eut rejeté sa proposition d'organiser le prochain sommet du G7 à Camp David en présentiel (la chancelière avait invoqué les restrictions de voyage imposées par la pandémie de Covid-19). Certain·es responsables politiques américain·es rapprochent les deux événements.

Double ironie

Première ironie d'un tel choix, en cas de retrait de militaires d'Allemagne, le budget de la défense se trouverait grevé d'importants coûts! Dissoudre les forces militaires concernées permettrait, certes, de réaliser des économies, mais tel n'est pas le projet. Selon le secrétaire à la Défense, 5.400 soldats (soit plus de la moitié des 11.900 qui partiront d'Allemagne) seront simplement «repositionnés» dans différents pays d'Europe. Essentiellement en Italie, en Belgique et, dans un futur indéterminé, en Pologne.

Or, la construction ou l'extension de nouvelles structures et installations dans ces pays coûterait assez cher. Pour la petite histoire, les contributions de l'Italie et de la Belgique en matière de défense ne sont pas non plus à la hauteur de ce qu'attend le président Trump. Une autre ironie qui confirme que c'est bien une revanche sur Merkel.

4.500 autres soldats, les effectifs du 2e régiment de cavalerie, rentreront au bercail tout en pouvant être redéployés de temps à autre en Europe dans le cadre d'une «rotation» d'équipes. Principalement –mais peut-être pas exclusivement– dans une région proche de la mer Noire.

Le budget Défense devrait augmenter

«Recourir davantage au déploiement par rotation de forces en provenance des États-Unis» abaisserait les coûts et «renforcerait notre flexibilité stratégique et notre imprévisibilité opérationnelle», affirme Mark Esper. Cette affirmation est triplement erronée.

Premièrement, loger des militaires aux États-Unis est plus onéreux qu'à l'étranger, à plus forte raison si les soldats et leurs Stryker, blindés légers, doivent être régulièrement envoyés à l'étranger par cargos, gros-porteurs ou navires.

Deuxièmement, si les troupes, ainsi que leurs équipements, sont basées en Amérique, cela les éloigne des zones où elles s'entraînent –et, en cas de guerre, des zones de combat– aux côtés d'autres unités militaires. Résultat: cela réduit, en réalité, notre flexibilité stratégique.

Troisièmement, les bases allemandes se sont avérées très pratiques pour l'armée américaine, qui a pu mener grâce à elles des exercices et opérations (y compris pour organiser des évacuations médicales) au Proche-Orient, dans le golfe Persique et en Afrique. Si Trump a l'intention de mettre fin à ces opérations, c'est un point de vue légitime qui mérite débat. Mais il n'en est rien.

De l'importance de la prévisibilité

John Pike, directeur de la société de recherche GlobalSecurity.org, m'a expliqué ce qui suit dans un e-mail: «Nous ne devrions peut-être pas faire toute cette projection de puissance. Nous devrions peut-être tout remballer et rentrer à la maison. Mais depuis soixante-quinze ans, l'Allemagne est une extraordinaire base d'opérations pour les soldats, et si nous y sommes encore, c'est pour de nombreuses bonnes raisons. Il ne faudrait pas tout chambouler pour une lubie.»

Contrairement à ce que laisse entendre le secrétaire à la Défense, ce n'est pas une bonne idée de «renforcer» notre «imprévisibilité stratégique». La finalité de l'OTAN –le principal intérêt de maintenir des soldats en Europe–, c'est d'assurer à nos alliés et de convaincre nos adversaires que nos forces seront sur place pour assurer une mission de dissuasion et de défense en cas d'attaque. Tout l'intérêt des alliances consiste à organiser un front fiable. Et donc prévisible!

C'est là le principal problème des politiques de Trump motivées par ses crises de colère. Quand il s'agit de dissuader l'ennemi ou de parer à une agression, qu'importe au fond si les États-Unis disposent de 36.000 ou de 24.000 soldats en Allemagne ou ailleurs en Europe. Si une guerre éclate, on devra dans tous les cas faire venir des renforts d'ailleurs. Mais le fait que des troupes soient en garnison permanente est la garantie –en l'espèce, à grand renfort d'armes– d'un engagement de défendre.

En retirant une bonne partie de ces soldats, inévitablement, amis et ennemis y verront un relâchement de cet engagement, a fortiori quand on y adjoint le discours hostile de Trump à l'endroit de nos alliés, sa vision grossièrement mercantile des alliances en général et la cordialité de ses rapports avec le président russe, Vladimir Poutine, dont le principal objectif stratégique est d'envenimer les relations entre l'Amérique et l'Europe. À cet égard, Trump a aidé Poutine –sciemment ou non– à atteindre cet objectif au-delà de toutes ses espérances.

Bref, si Trump est battu en novembre, toute cette manœuvre tombera aux oubliettes. Mais s'il est reconduit à la présidence des États-Unis, elle constituera une nouvelle étape du délitement de l'Occident.



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