"C'est un honneur que me fait le Time, une consécration pour le combat que l'on mène depuis la mort de mon petit frère", avait-elle réagi auprès de l'AFP quelques mois après avoir rassemblé, en juin 2020, des dizaines de milliers de personnes à Paris, Lyon, Marseille, Lille, ou encore Bordeaux, dans le sillage de l'affaire George Floyd aux États-Unis."Quand on voit que la France a réduit notre combat à des insultes et des accusations, on a besoin qu'une consécration vienne de l'étranger", avait ajouté cette figure de l'antiracisme, qui a également reçu le BET Global Good award, prix décerné par une chaîne de télévision américaine à des personnalités afro-américaines ou issues de minorités.Âgée de 36 ans, Assa Traoré a grandi dans une famille de 17 enfants de quatre mères différentes. Son père, chef de chantier d'origine malienne a, selon elle, contribué à faire de la famille Traoré une famille soudée. Une famille dont Assa Traoré endosse le rôle de cheffe dès 1999, année du décès de son père, en s'occupant de ses frères et sœurs.Et puis, le 19 juillet 2016, tout bascule. Éducatrice spécialisée à Sarcelles (Val-d'Oise), Assa Traoré est en déplacement professionnel en Croatie quand la nouvelle s'abat sur elle. Son frère, Adama, 24 ans, vient de mourir dans la caserne de Persan, près de deux heures après son arrestation dans sa ville de Beaumont-sur-Oise (Val-d'Oise), au terme d'une course-poursuite, un jour de canicule.Après plusieurs jours de manifestations à l'initiative de la famille pour demander la transparence sur les circonstances de l'interpellation, Assa, choisie par les Traoré comme porte-voix, prend la tête du Comité Vérité et Justice pour Adama, qui se mobilise pour faire reconnaître la responsabilité des gendarmes dans la mort de son frère, et plus généralement contre les violences policières. "C'est un peu aussi une maman qui a perdu son fils", dit d'elle son frère aîné, Lassana Traoré, rappelant à l'AFP le rôle joué par Assa dans la fratrie.Au fil des années, le comité Adama acquiert une capacité de mobilisation et une notoriété importantes dont le leitmotiv demeure le combat pour la vérité sur la mort d'Adama Traoré, jalonné depuis plus de quatre ans par des expertises et contre-expertises médicales. Une procédure judiciaire marquée par de nombreux rebondissements qui ne sauraient faire plier la grande sœur charismatique devenue porte-étendard de la lutte contre le racisme en France.Alliances"Ce 19 juillet 2016, Adama Traoré sort dans la rue et on le tue, on l'abat. Pourquoi ? Je ne sais pas. Mais la mort de mon frère ne restera pas un fait divers. Pas Adama Traoré, pas mon petit frère. Et le combat, on va le mener." Dans une interview à Time, Assa Traoré évoque des comités Adama à travers le monde et un travail de quatre ans contre "toutes les formes d'injustice" et la discrimination.En effet, depuis 2016, cette dernière multiplie les manifestations, prises de paroles et interviews, appuyée par un solide comité d'une vingtaine de proches et de nombreux militants. Devenue elle-même militante à temps plein, Assa Traoré, mère de trois enfants de 6, 8 et 12 ans, n'a jamais repris son travail d'éducatrice spécialisée et se consacre au combat mené au nom de son petit frère."Avec le nom de mon frère, je changerai tout ce que je peux changer", affirmait-elle à l'AFP, en juin dernier. Si bien qu'aujourd'hui, le prénom d'Adama habille les pancartes et s'affiche sur les t-shirts de manifestants battant le pavé pour des causes toutes plus diverses les unes que les autres.En 2018, Assa Traoré prenait la tête d'une manifestation contre la politique d'Emmanuel Macron, puis défilait aux côtés des Gilets jaunes. L'été dernier, elle se mobilisait aux côtés des soignants, et le comité Adama co-organisait plus tard une marche, à Beaumont-sur-Oise, avec Alternatiba, un mouvement citoyen engagé dans la lutte pour le climat. L'objectif d'Assa Traoré : scander le nom de son frère "partout où il y a de l'injustice, de l'inégalité et de la répression", a-t-elle expliqué au Monde, préférant parler d'"alliances", plutôt que de "convergence". Celle-ci s'est notamment plusieurs fois tenue aux côtés de Sofia Chouviat, fille de Cédric Chouviat, mort en janvier 2020 à la suite d'une interpellation violente par la police à Paris.When French police killed her little brother, Assa Traoré vowed that his death would not be a minor news item.“We have a power and that power is to go to the streets, and demand that the discrimination and the police brutality must be stopped” #TIMEPOY https://t.co/ZRyfe2OS7G pic.twitter.com/st8raE1FOq
— TIME (@TIME) December 11, 2020
"Une sœur de victime"Souvent comparée à Angela Davis (ancienne membre de Black Panther Party, universitaire et militante pour la défense des droits des Noirs américains), Assa Traoré, dont le combat judiciaire, devenu combat politique, s'attire les critiques féroces de l'extrême droite, peut néanmoins compter sur le soutien et l'admiration de nombreuses personnalités médiatiques, intellectuels et figures politiques de gauche. "Vous êtes une chance pour la France", lui a notamment déclaré l'ex-garde des Sceaux, Christiane Taubira, en juin dernier dans l'émission Quotidien.En 2019, Assa Traoré cosignait "Le combat d'Adama", un ouvrage écrit avec le philosophe et sociologue Geoffroy de Lagasnerie, qui, à l'AFP, disait avoir été séduit par sa "manière tout à fait nouvelle de parler de la société, du racisme, des classes sociales".Mais ses méthodes ne sont pas du goût de tous, et Assa Traoré, condamnée au civil par la cour d'appel de Paris en février dernier pour atteinte à la présomption d'innocence des gendarmes, doit aujourd'hui se défendre d'avoir "jeté en pâture" le nom des gendarmes qu'elle accuse d'être responsables de la mort de son frère, selon les termes de l'avocat de deux d'entre eux."Je n'ai jamais vu une sœur de victime se retrouver au tribunal parce qu'elle a donné le nom des personnes qui ont tué son frère", a fustigé, jeudi à la barre, Samir Elyes Boulaadj, figure du Mouvement de l'immigration et des banlieues (MIB). Assa Traoré, elle, garde la même ligne. "Si mon frère n'avait pas croisé la route de ces gendarmes, il ne serait pas mort. Si la justice avait fait toutes les investigations, je n'aurais pas été là aujourd'hui."Avec AFP"Sofia Chouviat devrait continuer de vivre sa vie mais son père est mort et elle est obligée de réclamer la justice que le gouvernement ne veut pas lui donner" Assa Traoré aux cotés d'une des filles de Cédric Chouviat, mort asphyxié il y a un an, lors de son interpellation ?? pic.twitter.com/igQEgyWHZc
— Quotidien (@Qofficiel) January 4, 2021
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