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Justice

Les investigations en cours sont une affaire de la justice sénégalaise et elles doivent être détachées de la personne du Chef de l’ État

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Les investigations en cours sont une affaire de la justice sénégalaise et elles doivent être détachées de la personne du Chef de l’ État

Conduite des audits


«Vous serez d’accord avec moi qu’il est difficile de s’inscrire dans ce débat sur l’enrichissement illicite. Le  vacarme médiatique et politique, l’idéologie et l’émotion qui écrasent l’information sont tels qu’il est difficile de se prononcer sur cette question sans ajouter du bruit au bruit. Une prise de parole court le risque d’alimenter le brouhaha discursif. Il y a cependant quelque chose qui m’a plu et a retenu mon attention ces jours-ci. C’était lors de la visite de courtoisie à Tivaouane du président de la République, Monsieur Macky Sall.


Le président de la République a, me semble-t-il, introduit une bouffée d’air dans cette ambiance asphyxiante. Le Président Sall a dit, je le cite de mémoire: «Mon rôle est de veiller sur les  biens publics et de laisser la justice faire son travail sans entrave.» Il a ainsi affiché l’attitude modale attendue du président  de la République, attitude qui, dès le début de son mandat, devait guider sa communication sur les enquêtes en cours sur  la gestion des deniers publics par les anciens gouvernants. Ce que cette posture donne à comprendre, c’est qu’un président de la République doit savoir s’effacer derrière les institutions et n’être que le gardien vigilant de leur bon fonctionnement, de leur fonctionnement républicain. Le président de la République vient de tracer les frontières. C’est rassurant pour l’avenir. Les  investigations en cours  sont une affaire de la justice sénégalaise et elles  doivent être détachées  de la personne du chef de l’Etat.

 

Médiatisation des audits


Il y a effectivement une hypermédiatisation qui n’aide pas à la conduite sereine des enquêtes. Aujourd’hui,  le citoyen n’arrive plus à distinguer les territoires définis par la loi pour les uns et les autres. C’est parce qu’il s’est donné à lire jusqu’ici, dans la conduite et la communication des investigations, des moments d’excès et de cafouillage que ceux qui sont sous enquête peuvent crier à l’injustice et au harcèlement. Le mode de gestion et de communication ne doit pas faire penser que nous sommes dans la chronique d’une mort annoncée, dans un  dossier scellé d’avance. Il ne devrait pas se dégager l’impression d’une exploitation politicienne des enquêtes, car la noblesse de l’acte serait entachée. Il y a un consensus, réel ou feint,  que la République exige que ceux qui ont gouverné puissent  rendre des comptes sur la gestion des biens publics. Il serait regrettable qu’une exigence aussi  légitime soit plombée par son management, son mode de gestion et par la communication de l’Etat.
S’il est difficile aux partisans, aux militants de ne pas tomber dans l’exploitation politicienne, il est par contre du devoir de ceux et celles qui gèrent les institutions et la conduite des enquêtes de maîtriser leurs émotions et d’avoir une parole mesurée. Il doit pouvoir se dégager que toute sanction future et tout élargissement futur échappent à la volonté du président de la République et qu’ils ont été favorisés par l’attitude républicaine d’un exécutif qui a su laisser la justice fonctionner sans pression, sans entrave, sans manipulation politicienne. En fin de parcours de l’exercice, on doit pouvoir constater que personne n’a bénéficié d’une protection indue et qu’il n’y a pas eu de vendettas politiques. L’attitude d’un chef de l’Etat qui s’illustre comme protecteur du fonctionnement autonome de la justice et qui le rappelle à ses collaborateurs, cette attitude donne crédit à l’exercice. 


Finalité des audits


Si la vérité se dévoile sans ambiguïté pour dire qu’il y a eu détournements des fonds publics, il doit y avoir une sanction car les lois de la République auront été enfreintes. Autant j’ai retenu, comme je l’ai dit plus haut, l’attitude du Président Sall lorsqu’il a marqué sa volonté de ne pas entraver le fonctionnement des institutions, autant j’ai été surpris lorsqu’il a poursuivi en disant : «S’ils remettent l’argent, il n’y aura pas de problème.» Car il ne revient pas au président de la République de décider de la sanction. C’est un attribut du pouvoir judiciaire.
Il se pose le défi de l’instauration d’une culture de l’éloquence, l’expression renvoyant ici non pas à son sens habituel d’aisance de la parole, mais plutôt au sens de la production d’une parole qui sait se souvenir des engagements du passé. S’il est prouvé qu’il y a eu prévarication, le Peuple sénégalais attend qu’il y ait des sanctions, même après le geste fort appréciable de restituer les biens volés  à celui-ci. Sinon, nous serions dans  une justice où le voleur pris avec son butin serait autorisé à rentrer tranquillement chez lui. La sanction est inévitable si l’on veut calmer les esprits. 
Pesanteurs culturelles et religieuses et complexités des procédures judiciaires
La justice sénégalaise n’est pas dans un hors lieu social et culturel. Des leaders religieux, coutumiers et politiques tentent de faire jouer des mécanismes traditionnels de médiation et sûrement les juges ne seront pas insensibles à cette dimension socio culturelle. Mais cela ne doit pas aboutir à une justice floue et cela ne doit pas empêcher l’application de sanctions qui montreront à la population qu’il n’y a pas eu deux poids deux mesures. Il faut que la population perçoive une justice qui marque un tournant décisif et qui dissuade définitivement pour l’avenir. 
J’ai déjà soutenu que la transparence était devenue aujourd’hui l’ennemie de la transparence. Pourquoi ? Jamais les sociétés, même en Occident, n’ont autant parlé de corruption, de détournement et jamais n’a-t-on créé autant de structures, de lois, de mécanismes, d’experts pour veiller à la transparence. Le paradoxe est que jamais aussi on a été autant confronté à des détournements des fonds publics, à des pots-de-vin, à du blanchiment d’argent, de la non transparence dans l’octroi des marchés, etc. Il semble que, plus on lutte contre la corruption, plus on se donne les moyens de la combattre, plus les corrompus et les corrupteurs développent l’art du camouflage, plus ils développent l’art de brouiller les traces, plus s’accroît la sophistication dans l’art de brouiller les pistes. Tout n’est pas gagné d’avance. L’histoire nous montre qu’on peut être coupable et réussir à passer à travers les mailles de la justice.

Communication gouvernementale


Il faut savoir distinguer la communication d’un candidat à la Présidence de celle d’un candidat élu, donc d’un président en exercice. Dans le premier cas, on est dans l’énonciation de promesses et dans l’idéalisation d’une image. Dans le second cas, on est dans la communication  performative, c’est-à-dire la parole inscrite dans l’action, le réel et le témoignage. De plus, ces deux modes d’accompagnement, celui d’un candidat et celui d’un leader en exercice ne convoquent pas nécessairement les mêmes compétences. Dans le premier cas de figure, surtout dans un  contexte de campagne électorale comme au Sénégal où n’existent pas les débats de fond entre les candidats, des débats rigoureux de confrontation et d’évaluation des programmes,  ce sont les slogans, la rhétorique, les raccourcis oratoires, le spectacle, le pathos, l’achat des consciences qui dominent. Savoir gérer la communication politique dans ce contexte renvoie à un type particulier de compétences. Mais une fois le candidat élu, les exigences deviennent autres. Elles résident dans la capacité de faire voir, de faire comprendre, de convaincre, de donner confiance que la vision de l’élu est en mode opérationnel, qu’un projet de société d’inclusion est véritablement en train de se décliner.
Ici, on est dans la vérité des faits. Et les faits, surtout les faits économiques, ont horreur des connaissances approximatives et du tâtonnement. Il faut comprendre aussi que la communication de l’Etat inclut une galaxie d’acteurs dont il faut assurer la cohésion et la bonne distribution des tours de parole aux moments appropriés. Il y a le moment des idéologues mais également celui des experts sur les dossiers clés de la vie économique et sociale. Il faut être capable, lorsque la situation l’exige,  de  redistribuer des tours de parole et mettre  à l’avant-scène ceux et celles qui sont capables de convaincre, avec l’expertise nécessaire, que les indicateurs économiques s’améliorent, que les conditions pour la création d’entreprises et d’emplois s’installent, que les défis de la santé, de l’éducation, de la formation professionnelle, de l’agriculture, de l’énergie sont véritablement pris en charge. C’est une communication de la prise en charge et non plus de la prise en compte. Si le recul marqué de la pauvreté et celui du recul du  chômage des jeunes ne se matérialisent et si les signes ne sont pas tangibles que les nouveaux dirigeants «servent et non se servent»,  alors aucune rhétorique  ne saura prémunir le pouvoir.

Crise malienne


La situation au Mali soulève beaucoup de questions. Questions sur la Françafrique, l’instabilité et l’unité des Etats-nations africains, l’économie politique du djihadisme terroriste en Afrique, le rôle des organisations internationales africaines, l’islam en Afrique. Je me contenterai de quelques remarques sur ce dernier point. Je me réjouis de la reconquête du Nord du Mali et de voir l’allégresse des populations libérées. Je salue également la réaction de l’Or­ga­ni­sa­tion de la coopération islamique (Oci) qui, à travers son Secrétaire gé­né­ral, a appelé les différentes parties au dialogue politique et à la né­gocia­tion pacifique du con­flit. Ce­pen­dant, l’Oci aurait pu aller plus loin en affirmant que les membres de cette organisation ont la fierté d’avoir l’islam en partage mais que cet islam est inscrit dans des pratiques différentes, dans des cultures, des histoires, des mémoires et des régimes de droits différents. Ces particularités doivent être respectées. Certains membres de cette organisation ont inscrit dans leur Constitution qu’ils sont des pays laïques et ne sont pas soumis à la Charia. C’est respecter la diversité de la Oumah et la souveraineté des pays membres que de rappeler ces orientations.  J’ai apprécié la position des autorités sénégalaises qui ont réaffirmé autant l’inscription de l’islam dans l’identité de la forte majorité des Sénégalais que la vigilance de l’Etat sénégalais à protéger la laïcité sénégalaise et à combattre  toute tentative de destabilization

 

Professeur M. Khadiyatoulah Fall, Chaire de recherches interculturelles CERII et Centre de recherche  interuniversitaire CELAT, Québec, Canada



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