« Hypocrisie sociale, quand tu nous tiens… » Avais-je conclu dans une chronique, sans arrière pensée, qui invitait simplement à une réflexion linguistique. Un nombre inhabituel de lecteurs y a répondu, chacun selon son niveau d’entendement ou de susceptibilité. Il en est pourtant un dont le commentaire, quoi que, bref résume l’impossibilité à jamais d’un consensus culturel dans ce pays si fragile qui est le mien. Cet internaute écrit :
“grand amadou ya niaw khel.- grand amadou tu as l’esprit pointu
amadou mi khel mou niaw la yor- cet amadou a mauvais esprit
Rien qu’à l’hortographie, la confusion s’installe… S’agit-il de ñaw (pointu, acerbe) ou ñaaw (laid, mauvais)? L’un ou l’autre se dit. Un esprit peut en effet être qualifié d’acerbe pointu ou mauvais. Cette ambiguité de sens n’a pas lieu si la transcription wolof s’impose.
Revenons à l’hypocrisie sociale…
Si dans les années soixante être honnête était une infirmité- « Fii, jub laago lafi » comme Ousmane Sembene le fit dire au personnage principal de son film « Le Mandat », Force est de constater que, quarante ans plus tard, la mauvaise foi est devenue une véritable pandémie. Le virus était-il dans le corps ? Ce qui m’intrigue est que le mot « naféq » qui traduit hypocrite soit d’origine arabe.
Islam et christianisme bannissent les jeux de hasards. Aucun leader religieux n’ose cependant en condamner la pratique. La peur de contrarier l’Etat actionnaire et de perdre ce fonds de commerce que constituent les disciples l’emportent sur la morale du devoir. N’est-ce pas hypocrisie ?
L’existence des talibés mendiants dont la seule vue devrait nous torturer l’âme du soir au matin au point de nous empêcher de dormir, de manger, devient une « réalité culturelle » et non un fléau à éradiquer. Nous croyons en être quittes avec notre conscience après avoir rempli, avec nos restes contaminés de salive, la boite de conserve rouillée de ces pauvres hères. Aminata Sow Fall va plus loin en imaginant dans « La grève des Báttus » une dramatique situation de crise dans la relation d’intérêt entre mendiants et société.
Au quotidien, peu d’entre nous se préoccupent de la réalité des daras-écoles ni recensées ni inspectées au même titre que les écoles en langue française. Qu’une presse étrangère s’en émeuve, voilà que l’Etat feint la surprise. Les thuriféraires du régime crient hypocritement au racisme. Bien vite, on passe à autre chose…Ça urge, les élections locales ! Tout en sachant que le mécanisme de la majorité automatique ramènera les mêmes prédateurs qui s’empresseront d’enterrer leurs promesses électorales sur le deuil des anciennes.
Il arrive encore que des personnes soient victimes de discrimination par le fait d’appartenir à une caste jugée inférieure. Bien souvent, fortune, notoriété sociale viennent à bouts des velléités conservatrices. L’argent n’a pas d’odeur dit-on cyniquement. Il n’a surtout pas de sang. Hypocrisie ? Non, évolution des mentalités, estiment les décasteurs.
Derrière de respectables façades de maisons HLM ou SICAP se nichent, au su et au vu de des autorités judiciaires, de l’Imam du coin, des « clandos » où l’alcool et le sexe se vendent avec les réprobations toussotées du quartier. Certes, ce genre d’établissements n’est pas une exclusivité sénégalaise -on en trouve à Matongué du Zaïre- mais c’est chez nous qu’on se vante de compter 95% de musulmans. Hypocrisie sociale ? Non, tolérance et laïcité….
Le plus grave se situe ailleurs… A notre insu nous faisons les frais d’une logique de système qui se résume hypocritement à ceci : que chacun fasse ses petites affaires, vive comme il peut pendant que moi l’Etat fornique avec la Constitution dont vos députés voteront les lois.
Notre société déteste qu’on lui montre ses lacunes, faiblesses et tares. Même si l’on se dit d’un air convivial « ku la ne sanggul sa taar la bëgg »-recommander à quelqu’un de se laver c’est lui souhaiter une beauté, seule la pommade semble convenir à notre frilosité. Et gare à l’un des nôtres qui ose dire ou écrire ce qui n’est ni reluisant ni ne flatte l’ego senegalensis dont l’amour propre s’apparente parfois bien plus à l’orgueil qu’à la fierté.
L’allergie à la critique n’affecte pas seulement le bon peuple. L’écrivain, l’artiste plasticien ou musicien n’ont d’oreilles que pour le compliment. La moindre critique, même constructive, vaudra à son auteur la haine ad vitam aeternam de tout un clan.
Tant il est vrai que le nain suffoque de colère quand on lui rappelle qu’il est petit mais éclate de suffisance lorsqu’on lui assure être plus grand qu’un autre nain.
Récemment, il a été question d’exiger des autorités la publication de leurs biens et bulletin de santé. Pour faire bonne mesure, il eût été honnête de protester contre l’évacuation sanitaire en France ou Suisse de ministres patraques, au frais du contribuable.
Tous comptes faits, je suis moi-même bien hypocrite d’envier l’opulence des Concrets et ne pas me faire établir un jugement supplétif de naissance qui me donnera l’âge de leur génération dans laquelle, assurent les mauvaises langues, l’on devient milliardaire juste en rimant avec l’air du temps.
Amadou Gueye Ngom
Critique social
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