L’expression courante: joindre le geste à la parole signifie accompagner ou faire suivre une déclaration d'une action immédiate. Il me plaît de renverser la formule aux fins de justifier le titre de cette chronique.
Enfant, j’ ai été affecté par un bégaiement pitoyable dont je fus guéri, à l’école normale, par le prof de français, Madame Weiss qui trouvait malheureux que mon élocution
- à grands renforts de gestes- ne soit pas à l’avenant de mes compositions écrites. Chaque jour, après classe, elle m’apprenait à respirer en parlant. La thérapie consistait également à alterner parole et chant. Ce qui m’a permis de comprendre, bien plus tard, pourquoi le bègue chante sans la moindre trace de son handicap.
Cette introduction me sert tout juste de prétexte pour parler de l’importance ou non des gestes dans la parole. Italiens et Sénégalais ont en commun, dit-on, de gesticuler en parlant. Pourquoi ? Allez savoir…
Selon le célèbre anthropologue américain Edward T. Hall, « lors d’une discussion entre deux personnes, moins de 35% de la communication se transmet par les mots… » Ce qui veut dire que 65% concernent le canal non verbal.
Du côté des orateurs de métiers, avocats notamment, la théâtralité du geste
-effets de manches- ajoute à l’intensité dramatique dune prestation verbale.
Aux fins de séduire et rassurer, des politiciens, s’exercent, devant un miroir, à parler avec une gestuelle réduite à sa plus simple expression.
Par mimétisme corporatif, les professionnels de la haute finance apprennent presque tout naturellement à ne pas parler avec les mains. Leurs gestes semblent aussi bien calculés que leurs affaires.
Ailleurs, il arrive que le geste redimensionne l’Art… Quand le saxophoniste Issa Cissokho s’exprime dans son instrument, le reste du corps l’accompagne, comme pour donner forme et couleurs à ses notes. Même constat lorsque Doudou Ndiaye Rose, baguette de chef aux doigts ou entre les dents, syncope harmonieusement des pieds et de la tête la polyrythmie d’une centaine de percussionnistes. Avec le musicien aveugle de naissance, par contre, le geste semble conflictuel, voire désarticulé. N’ayant jamais eu le souvenir visuel du mouvement, il possède son propre registre gestuel qui paraît manquer de coordination ou d’harmonie, au regard des voyants.
Il existe des personnes sobres de gestes, avares de paroles. Considérons deux cas extrêmes. De l’épique sénégalaise, nos chanteurs évoquent Birima Ngoné Latyr Fall ce monarque du XIXe siècle, aussi célèbre pour ses largesses que par la rareté de son propos qu’il adresse à ses sujets, dit-on,une fois l’an: « Bu waxee ren ba laa waxati dewen ». Vrai ou faux, peu importe. L’on sait avec plus de certitude que la vie ou la mort des gladiateurs romains dépendait d’un seul geste du pouce levé ou pointé vers le bas de l’Empereur.
Il demeure que la maîtrise d’un sujet servi par un riche vocabulaire ne s’embarrasse pas de gestes qui ne serviraient qu’à combler un déficit lexical. L’observation de nos communicateurs traditionnels dont l’un vient à l’esprit, met en évidence que chez ces orfèvres des mots, tout geste serait comme un alliage avilissant la noblesse de la parole. La raison, sans doute, est qu’en milieu wolof, le trait de caractère fort prisé est décrit par le mot « yiw » qui allie distinction et sobriété en tout. « Yiw » contraire de « yiwadi » c’est avoir le sens de la mesure dans le port, la parole et le geste. C’est dire que nous n’avons pas attendu Sénèque ouTalleyrand pour savoir que tout excès est insignifiant, voire méprisable.
Parler en gesticulant - comme l’énergumène-, peut préjuger d’un caractère agressif, sanguin ou nourrir le sentiment d’avoir affaire à quelqu’un qui manque de pondération.
Outre son acception courante, le dicton wolof « Nit nitay garabam »-l’homme est le remède de l’homme suggère que l’homme est également agent prophylactique de son semblable; avoir conscience des défauts de l’autre aide à ne pas y succomber.
Au regard de toutes ces considérations sur le geste et la parole, l’on peut se demander si notre dauphin national ne serait pas quelque extra terrestre venu d’Outre Cieux. Autant son engeance se caractérise par l’exubérance vocale et gestuelle, autant il se veut inaudible et rigide. Sauf peut-être une fois, en expédition banlieue où il testait son sens de l’humour avec des pantomimes de rappeur. Contredisant, du même coup son auguste Pater qui clame haut et fort que les gesticulations et propos du brave petit ne sont que fables de Media People. A moins que, disciple de Saint Mathieu qui refusait de jeter des perles aux pourceaux, le cher bambino trouve prématuré de révéler ses dons uniques à la piétaille qui « ne brille ni par le goût ni par l’esprit. »
De quoi rire à se fendre … « Ree ba xar » comme ne diraient les polissons de Seneweb.
Amadou Gueye Ngom
Critique social
0 Commentaires
Participer à la Discussion