De toutes les créations, l’Homme demeure le seul être capable de détruire ou soumettre les autres créatures mais également la seule que toute autre peut détruire. De l’infiniment grand au microbe invisible, tout peut lui être fatal.
Et face à Dieu, qu’il ne cesse de défier et contredire, l’homme, cet obstiné, n’est même pas à l’abri de ses propres créations. Ni de son toit qui lui croule dessus ni de ses avions qui s’écrasent, de ses bateaux qui font naufrage. La minuscule aiguille si utile le fait saigner ou l’éborgne, s’il n’y prend garde.
Jamais pourtant l’araignée ne s’étrangle avec ses fils malgré leur complexité et le trou de mère taupe ne s’affaisse non plus sur ses petits. La pluie et le vent arrachent nos barrages, en épargnant ceux du castor; les mêmes furies dévastatrices qui tordent nos orgueilleux pylônes électriques laissent intact le fragile nid de brindilles du moineau, jusqu’à l’envol des oisillons.
L’unique créateur, c’est donc lui, Là-haut, Maître des Cieux et de la Terre qui eût le premier l’idée du numérique qu’est l’ADN dont les données inscrites dans des programmes frauduleusement appelés « logiciels » font de chacune de Ses créations un chef d’œuvre unique.
Les codes numériques du Koran renferment tous les mystères de la création divine faisant évoluer le spermatozoïde, les substances végétales, minérales et autres créés à notre insu.
Ce préambule aux airs de messe dominicale ou de sermon du Vendredi vise à démystifier cette fausse nouveauté qu’on appelle « le numérique » et dont le principe repose tout simplement sur la codification d’informations. En d’autres termes et pour autant qu’on veuille paraître moins mystérieux, le numérique constitue un registre de données fonctionnelles. L’anglo-saxon préfère le terme digital, vocable dont les latins ne se sont souvenus que pour ficher des spécificités anthropomorphiques comme les empreintes de doigts.
Pour le meilleur ou pour le pire, le numérique semble avoir pris le mors aux dents. Le poète d’antan façonnait ses mots dans le cœur et dans la tête ; celui d’aujourd’hui se confie à la souris qui lui suggère des choix d’adjectifs, de noms et de verbes. L’architecte qui rêvait de ses formes les compose « digitalement » aujourd’hui. Dans le domaine du cinéma, certains réalisateurs trouvent leur compte dans les logiciels numériques lorsque le budget repérage s’avère exigu. Un simple générateur plante le décor adéquat, parfois plus vrai que nature. Ce genre de performance ou supercherie - c’est selon - ne prête pas à conséquence, tant qu’elle ne franchit pas les limites de la fiction romanesque. Il en va autrement lorsqu’il s’agit d’altérer ou falsifier des événements historiques. Par des effets spéciaux, il est possible de montrer la Reine d’Angleterre donnant l’accolade à la Reine Ndete Yalla du Walo Sénégal au XIXe siècle. Les perspectives qu’ouvrent de telles prouesses peuvent être appréciées différemment selon qu’elles servent à inspirer un idéal ou manipuler négativement des consciences.
Pendant longtemps, le joueur d’échecs a symbolisé le rempart de l’intelligence humaine face à la machine. Là également, l’homme a éprouvé la vanité de se faire échec et mat en inventant Deep Blue et Deep Fritz banals softwares (logiciels), vendus dans le commerce à 50 euros, mais capables de configurer 8 à 10 millions de combinaisons par seconde pour humilier deux grands maîtres de ce magnifique jeu de stratégie, Gary Kasparov et Vladimir Kramnik dont les prestations avaient été honorées à plusieurs millions de dollars. Il faut être homme et avoir perdu la raison pour éprouver le plaisir de se faire battre à son propre jeu.
Quels numériques pour l’Afrique ?
Des transports attelés aux supersoniques, l’Euraméricain doit son avancée technologique au simple fait qu’il évolue à partir d’acquis conservés puis transmis et qui se perfectionnent au fil des siècles. Ce qui m’amène à définir le futur comme « un passé en perpétuel devenir. »
Entendu comme outil, procédé ou application et non culture de masse, le numérique peut servir autrement l’Afrique de tradition orale. Chez nous, l’on convient avec Amadou Hampathé Ba qu’« un vieillard qui meurt est une bibliothèque qui brûle ». Or, on agit peu pour recueillir et conserver nos « mémoires vivantes » qui s’éteignent avec le savoir-faire ancestral, les connaissances et autres informations véhiculées par contes et légendes délaissés au profit des séries télévisuelles étrangères.
Comme du temps de l’esclavage, le troc de nos âmes physiques et spirituelles se perpétue à coups d’éclats: miroirs d’hier devenus les reflets kaléidoscopiques des fulgurances numériques d’aujourd’hui. Quelle place nos universités accordent-elles à l’enseignement des humanismes négro-africains ? Dans nos facultés de droit, le code napoléonien est mieux connu que la charte du Kaya Maghan, le bréviaire de conduite bantou ou sahélien. N’est-il pas venu le moment de transcrire et de vulgariser enfin les manuscrits de Djenné, de Tombouctou sur des supports CD et DVD ? Tant il est vrai, comme le soulignait Cheikh Anta Diop, qu’on ne peut pas « vivre en dehors des nécessités de son époque. » Il ne s’agit pas, bien entendu, d’un regard contemplatif mais plutôt de la visite introspective d’un patrimoine susceptible d’échafauder le futur. De cette frénésie contemporaine qui transforme l’homme en instrument de son propre outil, il est concevable de craindre la disparition, à plus ou moins brève échéance, des métiers d’art et d’artisanat, seules richesses que l’Afrique pourrait encore troquer si elle prenait le pari de les assumer, sans complexe. Nous éviterons, ainsi, les risques du génocide culturel qui se profile dans une mondialisation tous azimuts et sans discernement. La parade ? « Absorber, sans être altéré... »
Pourvu que le grain ne meure !
Amadou Gueye Ngom
Critique social
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