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Politique

Abdoulaye DIEYE, constitutionnaliste : ‘L’utilisation des institutions de l’Etat pour le règlement des différends politiques est une catastrophe’

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Abdoulaye DIEYE, constitutionnaliste : ‘L’utilisation des institutions de l’Etat pour le règlement des différends politiques est une catastrophe’
L’actualité politique récente est fortement marquée par les velléités de la majorité d’introduire un projet de modification aux fins de réduire le mandat du président de l’Assemblée nationale à un an. Dans quelles conditions, cette révision est-elle possible ? N’y a-t-il pas manipulation des institutions pour arbitrer un jeu partisan ? Sur toutes ces questions et sur d’autres, Abdoulaye Dièye, maître-assistant en Droit public à la Faculté des sciences juridiques et politiques de l’Ucad, apporte des éclairages dépouillés de tout parti-pris politicien.

Wal Fadjri : La modification constitutionnelle en vue pourra-t-elle s'appliquer à Macky Sall quand on sait que son élection en qualité de président de l'Assemblée nationale est intervenue sous l'empire d'une ancienne disposition constitutionnelle ?

Abdoulaye Dièye : Il existe un principe général de droit qui veut que la loi nouvelle ne puisse disposer que pour l’avenir. Elle ne saurait remettre en cause une situation légale régulièrement constituée avant son entrée en vigueur. Voilà pourquoi le président de la République en fonction en 2001 a poursuivi son mandat de sept ans malgré la réduction par l’article 27 de la Constitution du 22 janvier 2001, de la durée de ce mandat de sept à cinq ans. Théoriquement donc, la loi constitutionnelle qui serait adoptée pour réduire le durée du mandat du président de l’Assemblée nationale ne peut avoir effet immédiat pour s’appliquer à la présente législature. Mais le principe de la non-rétroactivité de la loi souffre d’exceptions. C’est ainsi qu’une loi peut être expressément rétroactive. Dans le cas qui nous préoccupe, il suffit de prévoir de manière expresse que la disposition constitutionnelle écourtant la durée du mandat du président de l’Assemblée nationale est applicable à la législature en cours pour régler le problème.

Wal Fadjri : Dans quelles conditions cette modification est-elle possible ?

Abdoulaye Dièye : Il faudra, comme expliqué tout à l’heure, faire adopter une loi constitutionnelle expressément rétroactive, c'est-à-dire mettre en œuvre la procédure de révision telle qu’elle ressort de l’article 103 de la Constitution. Cette procédure se décline en trois étapes : l’initiative, l’adoption et l’approbation. Il faudra donc un projet ou une proposition de loi constitutionnelle qui devra être adopté et par l’Assemblée nationale et par le Sénat. Cette phase d’adoption est obligatoire, c’est le fait des deux assemblées qui doivent se réunir l’une après l’autre pour voter le projet ou la proposition. Cette adoption doit nécessairement être suivie de l’approbation pour que la révision soit définitive. Celle-ci requiert un referendum ou, si le président de la République le décide, la réunion du congrès, c'est-à-dire des députés et sénateurs réunis qui doivent adopter la révision à la majorité qualifiée des 3/5 des suffrages exprimés. Au-delà de l’aspect purement technique, ce qu’il faut déplorer, c’est la manipulation de la Constitution à des fins politiciennes. C’est vrai que la Constitution n’est pas un document immuable, mais la vocation d’une révision, dans un Etat de droit, c’est d’adapter la norme suprême aux circonstances changeantes dans le sens de l’approfondissement de la démocratie et non de l’instrumentaliser comme malheureusement il est de coutume chez nous au Sénégal.

Wal Fadjri : Les gens évoquent souvent la jurisprudence Daouda Sow ou Habib Thiam pour parler du cas Macky Sall. Peut-on savoir ce qui s'était passé pour ces deux personnalités et les arguments évoqués pour justifier, en son temps, la réduction du mandat à un an ?

Abdoulaye Dièye : Effectivement, l’histoire semble se répéter avec un président de l’Assemblée en bisbilles avec des segments de son parti et le transfert des querelles partisanes au niveau des institutions de l’Etat. Les mêmes instruments d’hier (pétition, modification de la Constitution pour écourter le mandat en pleine législature) sont utilisés aujourd’hui. Si pour le président Daouda Sow, on n’en est pas arrivé à la modification constitutionnelle, pour le président Habib Thiam, le rubicond a été franchi. L’Assemblée nationale a été amenée à adopter, en sa séance du 15 mars, une loi constitutionnelle modifiant l’article 51 de la Constitution alors en vigueur et qui prévoyait que le président de l’Assemblée nationale est élu pour la durée de la législature. Officiellement, cette loi était motivée (voir Exposé des motifs) par le fait qu’il a paru ‘inconséquent que, dans un régime démocratique comme le nôtre, la grande majorité des élus du peuple puissent à quelque moment que ce soit se sentir impuissants et désarmés face à un membre qu’ils ont librement et démocratiquement porté à leur tête, au cas où les intérêts de la masse ou ceux des mandants seraient menacés ou bafoués’. Il ne fait aucun doute que le président Habib Thiam était visé à travers cette réforme. La preuve, dès qu’il a démissionné, la durée du mandat a été ramenée à cinq ans aux motifs que ‘la réduction du mandat du président de l’Assemblée porte en elle-même les sources de l’instabilité d’une fonction aussi éminente que celle du président de l’Assemblée qui, pour des raisons d’éthique politique, de stabilité et d’efficacité dans le travail, doit inscrire son action dans la durée. Aussi a-t-il paru opportun (…) de faire coïncider la durée du mandat du président de l’Assemblée nationale avec la durée de la législature, c’est-à-dire cinq (5) ans’. La même méthode honteuse et catastrophique en démocratie de manipulation de la Constitution et des institutions à des fins politiques et partisanes est en voie d’être rééditée sept ans après l’alternance, ce moment historique, par le camp de celui qui a contribué grandement à amener la démocratie au stade où elle se trouve aujourd’hui.

Wal Fadjri : On parle d'une pétition pour démettre Macky Sall. Peut-on savoir la valeur d'une telle démarche ?

Abdoulaye Dièye : Une pétition n’a aucune valeur juridique. C’est au plus un instrument politique de pression pour venir à bout d’un adversaire politique. Dans le cas présent, une pétition, même si elle est signée par 149 députés sur 150, ne peut en aucun cas constituer une base juridique pour faire perdre le mandat parlementaire ou entraîner la destitution du président de l’Assemblée.

‘La fragilité de nos institutions découle de deux choses : le déséquilibre entre les pouvoirs au profit du pouvoir exécutif et la confusion entre les sphères partisane et étatique’.

Wal Fadjri : D'autres arguments sont invoqués pour justifier la nécessité de démettre Macky Sall. On parle souvent de la convocation de l'Anoci par l'Assemblée nationale. Peut-on parler de faute justifiant une telle extrémité dans la sanction ?

Abdoulaye Dièye : Bien évidemment non. N’est-ce pas que le peuple sénégalais a affirmé, à travers le préambule de la Constitution de 2001, son ‘attachement à la transparence dans la gestion des affaires publiques ainsi qu’au principe de la bonne gouvernance’. C’est une innovation de taille. La bonne gouvernance est difficilement une réalité sans un système de contrôle et le Parlement est le meilleur cadre pour, au moins, recueillir le maximum d’informations susceptibles de fonder une opinion. N’oublions quand même pas que l’Assemblée nationale n’a pas pour seule fonction de voter la loi. Elle a aussi pour mission de contrôler l’action gouvernementale. Le contrôle parlementaire s’exerce à travers des structures et des techniques prévues par la Constitution et le règlement intérieur. Où est alors le crime à travers une demande d’audition d’une structure étatique par le Parlement ? Si quelque part, il y a eu vice de procédure, il ne peut y avoir, si le vice est substantiel, au plus qu’une annulation de la procédure et, si les délais le permettent, une reprise de celle-ci. Non, le problème du Sénégal, c’est cette logique politique partisane qui fragilise les institutions et empêche toute stabilisation de notre modèle démocratique.

Wal Fadjri : Quel sentiment anime le constitutionnaliste que vous êtes lorsque c'est en Comité directeur du Pds que des mesures qui engagent la vie des institutions sont prises ?

Abdoulaye Dièye : Tristesse, désolation. Je me demande par contre s’il y a lieu d’être surpris. La fragilité de nos institutions découle à mon avis de deux choses : le déséquilibre entre les pouvoirs au profit du pouvoir exécutif et la confusion entre les sphères partisane et étatique. S’agissant du premier point, l’hypertrophie de la fonction présidentielle crée un net déséquilibre entre les pouvoirs. Et pourtant, il est bien affirmé dans le préambule de la Constitution de 2001 ‘la séparation et l’équilibre des pouvoirs conçus et exercés à travers des procédures démocratiques’. La même Constitution aménage le pouvoir en faisant la part belle au président de la République qui est le dernier recours, qui peut tout faire. Il est le chef incontestable de l’exécutif, il domine tous les autres pouvoirs et contrôle toutes les institutions et même les autorités administratives indépendantes. Les articles 42 à 52 de la Constitution de 2001 traitent de ses pouvoirs. Le président nomme le Premier ministre et met fin à ses fonctions de façon discrétionnaire. C’est lui qui détermine la politique de la nation, qui a l’initiative des lois et de la révision constitutionnelle, qui nomme aux emplois civils et à tous les emplois militaires, qui signe les ordonnances et décrets, qui est responsable de la défense nationale, qui est le chef des armées, qui accrédite les ambassadeurs, qui a le droit de faire grâce, qui peut décider de soumettre tout projet de loi au référendum, qui dispose du pouvoir de dissoudre l’assemblée. Il dispose également de pouvoirs exceptionnels en cas de crise : possibilité de décréter l’état d’urgence ou l’état de siège ou de faire usage des pouvoirs quasi dictatoriaux reconnus à l’article 52 de la Constitution. C’est lui qui préside les réunions du Conseil supérieur de la magistrature, qui nomme les membres du Conseil constitutionnel, du Conseil d’Etat, de la Cour de cassation, de la Cour des comptes. Le président de la République dispose du pouvoir de nomination de toutes les autorités administratives indépendantes et autres membres d’organes de régulation : Médiateur, Comité national de régulation de l’audiovisuel, Commission électorale nationale autonome… S’agissant du second point, il faut retenir que c’est l’article 38 de la Constitution qui autorise le chef de l’Etat à être chef de parti. Cela, à mon avis, implique le chef de l’Etat dans des enjeux partisans alors qu’il incarne l’unité nationale. L’utilisation des institutions de l’Etat pour le règlement des différends politiques est une catastrophe dans une République. Elle permet l’utilisation de l’Etat et de ses moyens à des fins partisanes. Toutes choses qui ne peuvent l’amener qu’à abuser du pouvoir… Or pour Montesquieu, même ‘la vertu a besoin de limites. Pour qu’on ne puisse pas abuser du pouvoir, il faut que par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir’. La surpuissance du président de la République s’y oppose. Elle déferle sur le pouvoir judiciaire, n’épargnant même pas la société civile.

‘La mainmise de l’Exécutif sur la procédure législative est telle qu’il est illusoire de penser qu’il puisse y avoir une quelconque séparation des pouvoirs’.

Wal Fadjri : N'y a-t-il pas donc violation du principe de la séparation des pouvoirs ?

Abdoulaye Dièye : Ce qui frappe au Sénégal, c’est ce grand fossé qui existe entre l’énoncé des principes et leur mise en œuvre, entre la théorie et la pratique. La séparation des pouvoirs est bien un principe posé dans le préambule qui fait partie intégrante de la Constitution. Mais, que vaut ce principe quand on sait que dans la pratique, la conjonction de deux phénomènes (le phénomène majoritaire et la discipline de parti) fait que la majorité parlementaire est actionnée à partir de l’Exécutif. Les députés ne se déterminent nullement selon leur intime conviction. N’a-t-on pas entendu le président du Sénat dire qu’untel a été pressenti par le président de la République pour occuper le perchoir… Le Parlement devient fatalement une simple chambre de mise sous forme législative des décisions de l’Exécutif. La mainmise de l’Exécutif sur la procédure législative est telle qu’il est illusoire de penser qu’il puisse y avoir une quelconque séparation des pouvoirs.

Wal Fadjri : L'hypothèse d'une succession de Me Wade par son fils est, de plus en plus évoquée. A partir de quels scenarii, cette hypothèse est-elle réalisable ?

Abdoulaye Dièye : Je refuse de faire de la spéculation. Tout ce que je peux dire, c’est que nous sommes en République avec des règles de base concernant l'aménagement et la transmission du pouvoir d'Etat. Nous sommes en démocratie, c'est-à-dire un système où le peuple est la source de tout pouvoir.



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