Mercredi 24 Avril, 2024 á Dakar
Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Politique

Abdoulaye DIEYE, juriste : Le Sénat, c'est pour la galérie!

Single Post
Abdoulaye DIEYE, juriste : Le Sénat, c'est pour la galérie!
Le dernier Conseil des ministres en a annoncé la création. En attendant d'y voir plus clair sur les orientations et les contours que l'exposé des motifs se chargera de rendre publics, le juriste Abdoulaye Dièye aborde, avec nous, l'opportunité de l'institution, les arguments extra-juridiques qui la sous-tendent...

Le dernier Conseil des ministres a adopté un projet de loi organique portant création du Sénat. Est-ce nécessaire dans le dispositif institutionnel sénégalais ?

Le bicaméralisme (système où le Parlement est composé de deux chambres : le Sénat et l'Assemblée nationale, Ndlr) est une nécessité dans un Etat fédéral. Il permet la représentation des entités fédérées au niveau du Parlement. C’est ainsi qu’aux Etats-Unis, le Sénat qui coexiste avec la Chambre des représentants au sein du Congrès, représente les Etats fédérés. En Allemagne, à côté du Bundestag, il y a le Bundesrat, assemblées qui expriment les intérêts des lander. Il en va de même du Conseil des Etats en Suisse et du Sénat au Canada. Dans un Etat unitaire, le Sénat n’est jamais une nécessité absolue. Elle n’est souhaitable dans ce type d’Etats que lorsque la décentralisation y est une réalité incontestable. Il en est ainsi en France qui dispose de plus de 36 mille communes très largement autonomes sans compter les autres entités décentralisées Le Sénégal est un Etat unitaire. Cependant, l’argument du parachèvement de la décentralisation ne résiste pas à l’analyse. L’urgence aujourd’hui, c’est de doter les collectivités locales des moyens en rapport avec le volume des compétences transférées, moyens sans lesquels, la décentralisation demeurera le ‘gadget institutionnel’ qu’elle est aujourd’hui au Sénégal au lieu d’être un facteur de développement. Il est vrai que le Sénégal compte aujourd’hui près de 440 collectivités locales bénéficiant d’un transfert de neuf blocs de compétences avec une tutelle quasiment supprimée et remplacée par un contrôle de légalité exercé exclusivement par le juge mais la triple dépendance financière, technique et politique des collectivités locales vis-à-vis de l’Etat fait que notre décentralisation est plus apparente que réelle. Une décentralisation, c’est d’abord une autonomie financière qui demeure factice en l’absence de souveraineté normative des entités décentralisées. Les autres arguments généralement avancés pour justifier l’existence d’une deuxième chambre dans un Etat unitaire ne sont pas valables au Sénégal. La nécessité d’affaiblir le Parlement pour maintenir un régime parlementaire équilibré n’est pas un argument que l’on peut soutenir dans le contexte sénégalais. Loin du régime parlementaire, le Sénégal vit un présidentialisme pur avec une hypertrophie de la fonction présidentielle. L’argument ‘chambre de réflexion-contrepoids’ n’est point pertinent compte tenu du fait que le phénomène majoritaire au Sénégal, combiné à la discipline partisane éloigne toute velléité d’action de freinage. Encore que les deux chambres doivent avoir, pour ce faire, la même autorité et la même légitimité, ce qui est exclu avec la nomination par le président de la République, si mes informations sont exactes, de plus de la moitié des membres du Sénat.

Apparemment, ce sont des arguments autres que la nécessité d'un rééquilibrage des institutions qui sont mis en avant pour justifier la résurrection du Sénat. N'est-ce pas votre sentiment ?

Qui pouvait penser que sept ans après 2000 qui a vu le Sénégal polir davantage son image d’Etat démocratique, on reviendrait au débat de 1997 sur l’opportunité de la création d’un Sénat, sa place dans l’ordonnancement institutionnel, son coût, ses attributions, les véritables raisons de sa création…Bizarrement, les arguments développés à l’époque par le gouvernement socialiste et combattus, énergiquement, par l’opposition sont aujourd’hui repris par le régime libéral qui avait même supprimé l’institution en 2000. En fait les mêmes motivations politiciennes de l’époque justifient, à mon avis, le passage aujourd’hui au bicaméralisme au niveau du Parlement. Pour avoir annoncé l’idée de ressusciter le Sénat dans sa réponse à la question sur les remous qui secouent le parti au pouvoir, le président de la République donne raison à ceux qui disent qu’il faut chercher ailleurs les raisons de cette volonté de passer à un parlement bicaméral. Cette conviction a été renforcée par le moment choisi pour examiner la loi organique créant le Sénat, c'est-à-dire la veille de la publication des listes des investis. N’est-ce pas là un moyen de calmer les déçus des investitures en leur miroitant un poste au Sénat d’autant que dans le schéma retenu, c’est le président de la République qui nomme plus de la moitié des sénateurs. Retenons que pour le Sénat défunt, le président ne nommait que 12 sénateurs sur un total de 60, ce qui avait été largement décrié par l’opposition d’alors. Et puis, dans le communiqué du Conseil des ministres, il n’a été nullement question de loi constitutionnelle. Une révision constitutionnelle est pourtant la première étape pour changer la structure du Parlement. Tout porte à croire que ce sont les informations contenues dans la loi organique (les nombreux postes de nomination…) que l’on a voulu vulgariser.

Finalement, quelle en sera l'utilité pour le Sénégal ?

Dans un Etat unitaire comme le Sénégal, il y a de fortes chances qu’une deuxième chambre législative soit une simple institution pour la galerie, un simple lieu de promotion sociale. De fortes chances parce que tout dépend des fonctions et attributions qui lui seront assignées. Une deuxième chambre, comme celle mise en place en 1998, pratiquement sans pouvoir de remettre en cause la procédure législative ordinaire ou de bloquer une procédure de révision qu’elle juge inopportune (comme c’est le cas en France) ne pourra jamais exercer l’action de freinage qu’imprime par hypothèse la cassure du Parlement en deux fractions. Surtout si les futurs sénateurs, à l’image des députés, se méprennent sur la nature de leur mandat et privilégient les intérêts de leur parti au détriment des collectivités locales qu’ils sont censés représenter. Il n'y a rien de plus dérisoire que de justifier la création d’une institution pas indispensable du tout par la santé financière de l’Etat et dans un contexte de morosité économique. Il me semble plus urgent de réfléchir aux voies et moyens de redorer le blason du Parlement, terni par certaines images, certains comportements et certaines productions législatives, de revaloriser le parlement qui a une mission fondamentale à jouer dans le nécessaire équilibre des institutions.



0 Commentaires

Participer à la Discussion

  • Nous vous prions d'etre courtois.
  • N'envoyez pas de message ayant un ton agressif ou insultant.
  • N'envoyez pas de message inutile.
  • Pas de messages répétitifs, ou de hors sujéts.
  • Attaques personnelles. Vous pouvez critiquer une idée, mais pas d'attaques personnelles SVP. Ceci inclut tout message à contenu diffamatoire, vulgaire, violent, ne respectant pas la vie privée, sexuel ou en violation avec la loi. Ces messages seront supprimés.
  • Pas de publicité. Ce forum n'est pas un espace publicitaire gratuit.
  • Pas de majuscules. Tout message inscrit entièrement en majuscule sera supprimé.
Auteur: Commentaire : Poster mon commentaire

Repondre á un commentaire...

Auteur Commentaire : Poster ma reponse

ON EN PARLE

Banner 01

Seneweb Radio

  • RFM Radio
    Ecoutez le meilleur de la radio
  • SUD FM
    Ecoutez le meilleur de la radio
  • Zik-FM
    Ecoutez le meilleur de la radio

Newsletter Subscribe

Get the Latest Posts & Articles in Your Email