AFFAIRES DES ACCORDS DE PECHE ET PASSEPORTS DIPLOMATIQUES - L’épouvantail électoral

Après les multiples appels au dialogue, le président Wade a décidé de mettre la pression sur l’opposition pour parvenir à son objectif : le report jusqu’en 2009 des élections. Les périodes de pré-campagne électorales ont toujours été celles des grandes manœuvres. Elles sont souvent mises à contribution par les forces politiques pour destabiliser l’adversaire et se jauger avant la compétition finale. L’affaire dite des accords de pêche et des passeports diplomatiques coïncide avec un moment où la vie socio-politique sénégalaise baigne dans une confusion presque totale. Elle intervient également après que le président Wade eut renouvelé, depuis Paris, son appel au dialogue à l’endroit de l’opposition. Sans succès. Puisque la CPA, coalition regroupant les principales formations de l’opposition est plus disposée à mener la guerre au président Wade qu’à s’asseoir autour d’une table de négociation.

La prorogation du mandat des députés a contribué à rendre plus béant le fossé qui séparait l’opposition de la majorité. Une situation dont se passerait bien le président Wade qui attend de l’opposition un large ralliement par rapport à ses décisions politiques futures. Il s’avère en effet de plus en plus probant que le chef de l’Etat veut se passer de l’organisation de scrutins en février 2007. Un nouveau report de la Présidentielle et des Législatives jusqu’en 2009 est à prévoir pour un régime qui voudrait profiter de la fin des chantiers ouverts et encore restés à l’état de maquette. Dans deux ans, Me Wade pourrait adjoindre à son bilan la réalisation d’infrastructures routières et hôtelières dans la capitale, un réseau d’assainissement plus approprié à Dakar et peut-être qu’entre-temps, le monde rural connaîtra un sort meilleur que celui qui lui est réservé.

Ainsi, le président Wade se voit-il dans de meilleures dispositions à retarder l’échéance électorale. Un référendum serait la voie légale à emprunter surtout qu’il permettrait de légitimer une décision qui sera loin d’avoir l’unanimité. Après le vote de la loi prorogeant le mandat des députés, l’opposition sera certainement plus que jamais déterminée à contester un nouveau report des élections. Une situation bien différente de celle qui a prévalu en janvier 2001 lorsqu’une bonne partie de l’opposition avait approuvé le vote du référendum constitutionnel. La tenue d’un autre référendum sera pour le président Wade une sorte de primaires avant les élections générales. Un risque qu’il se garderait bien de prendre si une autre solution s’offrait à lui. Et cette solution ne peut-être que consensuelle, c’est-à-dire de concert avec les autres acteurs de la vie politique. Une voie que le chef de l’Etat n’a pas manqué d’explorer en appelant à des retrouvailles avec l’opposition. Mais les circonstances dans lesquelles ces appels sont lancés n’ont jamais pu agréer l’opposition. Les invites de Wade ont souvent coïncidé avec des moments de pleine crise avec une opposition qui adopte de plus en plus une attitude très prudente dans ses rapports avec le secrétaire général national du PDS.

Le bâton, après la carotte

Face à cette impasse, le président Wade expérimenterait une nouvelle solution de sortie de crise en mettant la pression sur ses adversaires. Ainsi, pourrait-on comprendre la tentative de réouverture des dossiers des passeports diplomatiques et des accords de pêche qui mettent en cause deux grosses pontes de l’opposition : Ousmane Tanor Dieng, ministre d’Etat chargé des Affaires et Services présidentiels sous Diouf et Moustapha Niasse, ancien ministre des Affaires étrangères sous le même régime. Que leur reproche t-on ? Au premier, la gestion nébuleuse de fonds représentant la contrepartie de licences de pêche vendues, entre 1991 et 1999, à des navires russes. Au second, la délivrance illicite de passeports de services et diplomatiques sénégalais à des Chinois. En plus de ces deux dossiers, le député Iba Der Thiam a adjoint une troisième question orale concernant un quota de 35 000 litres de carburant que le Nigeria aurait attribué. Déjà agitées en 2001, ces affaires avaient vu défiler au niveau de la DIC l’ancien PM, Habib Thiam, les leaders de l’AFP et du PS.

Cinq années plus tard, la position d’Ousmane Tanor Dieng n’a pas varié : « L’argent a été versé dans les fonds politiques sur demande de l’Etat et du Président Abdou Diouf. Je suis un légaliste, je ne fais jamais des choses contraires à la législation administrative. Cet argent, c’est comme dans les chantiers de Thiès quand il s’est agi d’évoquer les fonds politiques, le juge a dit stop », se défend-il. L’enquête, a déclaré Me Amadou Sall, se poursuit en attendant de savoir le sort que la Justice va réserver à ces dossiers. Mais déjà, le ministre d’Etat, ministre de la Justice à qui étaient adressées les questions orales a prononcé sa sentence : « Il y avait détournement de denier public ». Cheikh Tidiane Sy attend ainsi des députés qu’ils se prononcent sur l’immunité des mis en cause. Et l’on se rend compte que depuis qu’on en parle, ces dossiers n’ont évolué d’un iota. Seraient-ils alors l’épée de Damoclès suspendue sur la tête des adversaires de Wade pour qu’ils coopèrent ? Tout porte à le croire. Et les personnalités libérales désignées pour agiter ces dossiers prouvent que les autorités n’entendent pas mettre des gangs pour parvenir à leurs fins. Le duo Pr Iba Der Thiam - Cheikh Tidiane Sy est assez révélateur des intentions de la majorité. Les deux hommes ne sont pas portés vers la négociation et sont en toute première ligne lorsqu’il s’agit de destabiliser l’adversaire. Faut-il pour autant attendre de Niasse et de Tanor qu’ils se plient à la volonté du « vieux » ? Les deux leaders peuvent déjà se convaincre qu’il sera difficile aux autorités d’aller jusqu’au bout de leur menace.

Après les va-et-vient incessants de responsables de l’opposition à la DIC, le président Wade semble désormais opté pour l’accalmie. Le prix Houphouët-Boigny pour la paix est passé par là. Wade évite de prendre toute décision tendant à ternir l’image d’un président reconnu pour ses actions en faveur de la paix et de la démocratie. Et puis, les récents procès de Jean Paul Dias et d’Amath Dansokho ont tant secoué le pays qu’il sera presque suicidaire pour le régime de risquer une autre action du genre. On est ainsi tenté de croire que les autorités se sont déjà aménagé une porte de sortie. Un autre appel au dialogue est à attendre de la part du chef de l’Etat. Celui-ci n’a pas épuisé toutes les voies de recours afin de rallier l’opposition à sa cause. La récente visite que le fils conseiller du président, Karim Wade, a rendue au secrétaire général du PIT en est une illustration. L

La non-tenue d’un référendum pour le report des élections implique nécessairement des discussions avec l’opposition. Celle-ci serait-elle prête à accepter toutes les propositions alléchantes qui lui seront faites ? Notamment la constitution d’un gouvernement d’union nationale ? Me Wade est connu pour ses revirements spectaculaires et n’hésiterait pas à sacrifier, le temps d’un deal, quelques avantages de son parti pour atteindre  son objectif. L’essentiel étant pour lui de se donner du temps et se trouver une sortie honorable. Sa candidature en 2009 étant peu probable, il pourrait ouvrir, à partir de 2007, sa succession aussi bien au niveau de la classe politique que du PDS. Le préalable serait une gestion concertée des affaires publiques avec tous les acteurs de la vie nationale. Il faudrait pour cela que l’opposition doute de sa possibilité de remporter les élections en février 2007. Elle choisirait ainsi de reporter la bataille en 2009 face au successeur de Wade, c’est-à-dire face à un adversaire bien moins coriace que le leader actuel du PDS. Mais deux ans, c’est bien trop pour certains responsables de l’opposition qui sentent l’heure de la retraite bien proche.