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Politique

ALIOUNE TINE, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE LA RADDHO : Wade a malheureusement perdu cette grande faculté d’écoute qui le caractérisait en 2000

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ALIOUNE TINE, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE LA RADDHO : Wade a malheureusement perdu cette grande faculté d’écoute qui le caractérisait en 2000

Alioune Tine rentre fraîchement du sommet de la revue de la Cour pénale internationale et a accepté de faire avec nous le bilan de cette rencontre, mais aussi de parler d’évoquer les points saillants de l’actualité sénégalaise. Sans détour, le secrétaire général de la Rencontre africaine pour la défense des droits de l’homme (Raddho) aborde des questions relatives au processus électoral, l’intervention des experts étrangers pour surveiller dans ce processus, les droits de l’homme au Sénégal, l’affaire Habré etc.

Comment appréciez-vous les échanges entre le président Wade et l’ambassadeur des Usa au Sénégal ?

C’est une interaction inédite et inhabituelle entre partenaires au Sénégal, un pays qui a une tradition diplomatique bien ancrée depuis Léopold Sédar Senghor. La réaction du chef de l’Etat sénégalais consistant à interpeller publiquement devant les caméras de la Rts, de façon cavalière et incivile, l’ambassadeur des Etats-Unis relève à mon sens de deux considérations. D’abord, il y a le caractère très sensible du sujet, la corruption, mais aussi les acteurs  soupçonnés et souvent cités dans la presse, les rapports des institutions et des Ong de lutte contre la corruption et la récurrence du phénomène qui contrastent avec la totale  impuissance de l’Etat et  de la justice d’agir efficacement. La redoutable question de l’impunité se pose encore avec plus d’acuité quand le chef de l’Etat invoque la séparation des pouvoirs pour «dénoncer» pratiquement l’inaction de la justice.  D’où l’impression donnée par l’Etat de céder à la panique, avec la violation des règles élémentaires de la diplomatie. Le président doit absolument prendre conscience que l’impression collective dominante au Sénégal depuis un certain temps, c’est celle d’une descente aux enfers. Il doit accorder la  plus grande attention aux informations et critiques émanant de tous les segments de la société et se méfier  des sirènes qui lui chantent que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles.

Cette tension n’est-elle pas le résultat de l’existence de la corruption et de la mal gouvernance au Sénégal ?

Il est évident que tous les pays qui soutiennent le Sénégal ne manquent pas de manifester leurs préoccupations quand ils lisent la presse ou les rapports des organisations de la société civile concernant le cancer de la corruption et de l’impunité caractérisée de leurs auteurs. Cet incident diplomatique est la résonance internationale de l’ampleur du phénomène et le signe palpable de la préoccupation internationale. Certains partenaires s’expriment de façon diplomatique et d’autres comme les Etats-Unis l’expriment publiquement comme ils le font en matière de droits humains, domaine dans lequel le département d’Etat publie un rapport annuel sur tous les Etats du monde. Cette tension entre les partenaires est permanente, mais elle est régulée par les relations diplomatiques pour justement éviter les incidents de cette nature. Il peut exister aussi des accords explicites ou tacites qui prévoient, dans le cadre de la surveillance de l’utilisation des fonds du Mca et de leur destination, que les partenaires fassent des rappels à l’ordre. Je pense que c’est le cas des Etats-Unis. Enfin, il faut reconnaître que l’ère Bush est définitivement close car tout le monde sait que c’était le grand ami du président. Le président Obama, plus proche de nous, est plus exigeant en matière de respect des normes de la gouvernance, de la démocratie et de l’état de droit. Son discours au Ghana pour avertir que l’Afrique avait plus besoin d’institutions fortes que d’hommes forts le confirme nettement.

Dernièrement, Amnesty international a parlé de la complicité de la justice dans des faits de tortures enregistrés dans les commissariats. Quels commentaires en faîtes-vous ?

Vous savez, depuis que le Sénégal a intégré les dispositions de la Convention contre la torture dans son code pénal en 1996, on avait remarqué un réel progrès dans la lutte contre la torture. Mais de 2000 à maintenant, on a compté près de 10 personnes mortes après leur détention dans les locaux de la police, pire les poursuites judicaires sont rares ou quand elles existent, elles aboutissent rarement à des sanctions pénales. Or la torture est un crime international banni par toute la communauté internationale qui ne peut plus tolérer que ce crime reste impuni. C’est avec la Convention contre la torture que nous avons eu pour la première fois la compétence universelle car avec le crime de torture, vous jugez ou vous extradez dans un pays compétent pour juger. Le paradoxe du Sénégal c’est que c’est un pays prompt à signer et ratifier toutes les conventions et traités relatifs aux droits humains mais également qui a tendance à les harmoniser avec ses lois nationales mais qui éprouve toutes les peines du monde à les mettre en œuvre. C’est là le talon d’Achille de ce pays. L’institution judiciaire reste impuissante face à ce fléau, ce qui explique pourquoi on n’arrive pas à juger Habré et pourquoi on est non seulement interpellé de façon récurrente par le Comité des Nations unies contre la torture mais cette année, les membres ont fait une mission au Sénégal. À l’occasion de la présentation du rapport du Sénégal à l’Epu (examen périodique universel), au Conseil des Nations unies pour les droits de l’homme, le Sénégal a été souvent interpellé sur l’impunité et la recrudescence des actes de torture. Le président Abdoulaye Wade qui naguère avait des préoccupations réelles en matière de droits humains et qui manifestait publiquement son horreur pour les actes de torture doit absolument ouvrir les yeux maintenant et prendre les choses en main sur cette question.

L’affaire Mame Faguèye ?

On a suivi ce fait-divers d’une nature peu commune en Afrique de l’Ouest. Nous sommes très satisfaits du dénouement heureux pour cet artiste sénégalais d’un très grand talent qui ne méritait pas du tout ce sort. On salue également l’exploit de la police sénégalaise et togolaise.

Comment analysez-vous la polémique sur l’achat de la Charte des assises nationales par le pouvoir ?

Ce n’est vraiment pas un évènement. Tout cela traduit les relations exécrables qui existent entre le pouvoir et l’opposition et les redoutables difficultés auxquelles sont confrontées toutes les personnes de bonne volonté qui agissent pour la réalisation du dialogue politique. L’attitude des autorités par rapport à la Charte de la gouvernance qui est un excellent document qui fait des propositions concrètes sur les normes de la gouvernance est irrationnelle. Un Etat responsable doit être à l’écoute de toutes les palpitations du pays. Le président Wade a malheureusement perdu cette grande faculté d’écoute qui le caractérisait au début de mandat en 2000.

Est-ce que vous suivez le débat sur l’audit du fichier électoral ?

Bien sûr que je le suis étroitement, le débat s’est déplacé heureusement dans le bon sens car on parle maintenant d’un audit de tout le processus électoral. Il ne faut pas que le fichier soit l’arbre de la forêt dense du processus électoral qui va cacher tout le reste.  Il existe des  paramètres autrement plus importants qu’il faut considérer  pour reconstruire la confiance et recrédibiliser tout le processus qui va de l’inscription sur les listes, des cartes d’électeur, du bulletin unique, du plafonnement des budgets de campagne, de l’utilisation des moyens de l’Etat, de l’utilisation des médias d’Etat, et j’en passe. Sur toutes ces questions, les partis doivent dialoguer en impliquant pleinement la société civile. On va vers une des consultations électorales les plus risquées de l’histoire du Sénégal depuis le début des élections pluralistes postcoloniales en 1978. Car on vit la plus grande crise de confiance politique du pays depuis lors et depuis le boycott des législatives de 2007 qui a acculé l’opposition à déserter les institutions législatives. D’où l’intérêt pour tous d’avoir rapidement un dialogue politique sérieux impliquant tous les segments de la société sur toutes les questions controversées de l’heure.

Quel commentaire faites-vous de la participation de médiateurs étrangers ?

Le recours aux médiateurs étrangers confirme totalement mon analyse sur la gravité de la crise de confiance et de la crise des institutions de régulation du pays. Vous savez, les médiateurs étrangers interviennent en cas d’impasse politique ou dans des situations de conflits violents. Si aujourd’hui aucune ressource interne ni aucune institution n’est capable d’être entendue par les élites politiques du pays, c’est que la situation du Sénégal doit faire l’objet d’une grave préoccupation pour les Sénégalais et la Cedeao. Maintenant, si cela peut faire avancer les choses et permettre le retour de la confiance et le consensus sur le processus électoral, c’est tant mieux.

N’est-ce pas un échec de la société civile sénégalaise qui devait être l’arbitre entre le pouvoir et l’opposition ?

Absolument pas. La société civile sénégalaise est forte et s’est très souvent acquittée de sa mission de contre-pouvoir en faisant des alertes quand il y a des manquements et est toujours montée au créneau quand c’est nécessaire avec la création de cadres appropriés pour la défense des intérêts nationaux. Elle a toujours accompagné les acteurs politiques dans les différents processus électoraux engagés, elle a eu à organiser ou participer avec réussite à la formation des populations et des acteurs politiques, au plaidoyer  pour une participation citoyenne aux affaires publiques (inscription, retrait des cartes électorales et vote). C’est que la société civile sénégalaise  joue son rôle  et continuera à le jouer, même parfois si ses leaders peuvent faire peur de par les impacts positifs de leur travail en la matière. En tout état de cause le travail que nous faisons, nous le faisons pour le peuple sénégalais qui l’a reconnu et non pour les acteurs politiques.

Où en est le Sénégal sur le jugement de l’ex-président tchadien Hissène Habré ?

Aucune volonté politique réelle ne s’est encore manifestée allant à l’essentiel, c'est-à-dire  le jugement de Hissène Habré. Nous assistons à un pas en avant, deux pas en arrière. En 2000 on inculpe Habré sous le régime de Diouf et sous Serigne Diop comme ministre de la Justice mais depuis le régime  actuel, c’est comme si tout est fait pour soustraire Habré à la justice. Ensuite, en 2005 les tribunaux finissent par se déclarer incompétents et une nouvelle aventure commence avec l’entrée en scène de la Belgique qui demande l’extradition. La levée de boucliers des Africains qui se sentiraient humiliés a amené l’Ua à intervenir en donnant mandat au Sénégal de juger Habré suite au sommet de 2006 à Banjul. Le Sénégal engage des réformes législatives et constitutionnelles  qui lui ont permis d’avoir l’une des meilleures lois de compétence universelle de la planète. Tout le monde applaudit, mais Wade a plus d’un tour dans son sac et un art extraordinaire de feinter les gens, cette fois il réclame la totalité du budget avant le début du procès. Depuis 2008, une plainte a été déposée auprès du procureur général. Là également, c’est l’inertie totale. Ce qui donne l’impression d’un éternel travail de Sisyphe. Vous ne pouvez pas imaginer l’impact négatif de cette valse-hésitation sur la crédibilité de l’Etat autant à l’Union africaine qu’ailleurs. Malgré tout, nous sommes toujours mobilisés avec les victimes, avec la même énergie, et je te promets que nos efforts ne seront pas vains.

Quel bilan tirez-vous des activités de la Cour pénale internationale ?

La Cour pénale internationale a été créée par la communauté internationale pour combattre l’impunité des crimes les plus abominables comme les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité, le génocide et le crime d’agression. Depuis sa création, beaucoup de criminels ont comparu devant la Cpi dont d’anciens chefs d’Etat comme Slobodan Milosevic, Charles Taylor. Aujourd’hui nous avons un président en exercice, Omar El Béchir, qui fait l’objet d’un mandat d’arrêt du procureur de la Cpi, à cela on peut ajouter des auteurs de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité, des conflits armés au Rwanda, en Rdc, au Liberia, en Sierra Léone et aussi en République de Guinée. De plus en plus, les victimes s’organisent pour faire entendre leurs voix, réclamer la justice, la vérité et des réparations. Leurs voix comptent de plus en plus et pour la première fois, à la conférence de révision de Kampala, elles ont pleinement participé aux débats. C’est en vertu de l’article 123 des Statuts de Rome qu’on organise une conférence de révision sept ans après l’entrée en vigueur desdits statuts. Les principaux défis de cette conférence concernent l’amendement de l’article 124 au terme duquel un pays peut faire une déclaration pour dire que la Cour n’a pas compétence sur les crimes commis dans son pays ou par ses nationaux pendant sept ans. La définition du crime d’agression sur lequel s’est dégagé un consensus des Etats. Le principe de la complémentarité consistant à accorder la priorité aux juridictions nationales. Dès que les juridictions nationales se déclarent compétentes pour juger les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et les crimes de génocide dans un procès équitable respectant les normes internationales, la Cpi ne peut intervenir. Mais dès que les juridictions nationales sont défaillantes, inactives ou inexistantes, la Cpi est compétente. C’est ça le principe de la subsidiarité : ou vous établissez la compétence des juridictions nationales ou c’est la Cpi qui intervient. D’où l’enjeu pour les pays africains de travailler à la consolidation des institutions judiciaires de manière à construire une souveraineté judiciaire qui donne les capacités aux pays africains de juger les élites politiques et militaires coupables de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité ou de génocide sur le sol africain. D’autres questions sont également importantes, la coopération internationale, surtout quand des mandats d’arrêt sont lancés par la Cpi contre des pays qui ne disposent pas de forces de police ou de forces armées. Enfin, il y a le grand dilemme du choix entre la justice et la paix. Pour nous, il est illusoire de penser qu’il peut y avoir la paix sans la justice. Au contraire, parmi les causes profondes des conflits armés,  il y a surtout l’injustice qui peut être la source des  cercles infernaux.

Vous préparez un rapport sur les 50 ans d’indépendance de certains pays africains. Quel est l’intérêt de ce document ?

L’intérêt est pour nous de participer au débat du cinquantenaire en matière de droits humains, de gouvernance. Nous pensons qu’au-delà des réjouissances folkloriques, on doit prendre le temps de faire un  bilan objectif des 50 ans d’indépendance en termes d’acquis, de manquements ; avoir le courage de faire l’introspection de la gestion politique, économique et sociale de nos pays durant le demi-siècle passé en vue de faire une bonne  prospection. La participation de la Raddho consiste à faire l’analyse historique de la promotion et de la défense des droits de l’homme dans les 16 pays de la Cedeao plus la Mauritanie. Nous sommes en train de terminer l’édition d’un long travail de recherche sur le bilan des 50 ans. L’ouvrage sera disponible dans la deuxième semaine du mois de juin et nous allons saisir l’occasion pour lancer la cérémonie du 20ème anniversaire de la Raddho. Car la Radho a 20 ans depuis le mois de mai dernier. Beaucoup de manifestations sont prévues pour promouvoir les droits humains dans tous les pays où la Raddho est représentée en Afrique et en Europe.

On ne vous entend pas vous occuper des talibés, alors que c'est une violation des droits de l'homme ?

Vous ne faites pas attention à ce que nous faisons sur les talibés. Venez au siège de la Raddho et vous verrez que parmi les rares affiches, vous trouvez celles défendant les droits des talibés. Moi-même, j’ai été talibé chez un marabout hal pulaar, j’ai mendié, mais c’était tout à fait symbolique pour faire l’expérience  des gens qui sont pauvres, des « have not ». Ça permet  pédagogiquement de tuer l’arrogance des petits-bourgeois. Nous sommes en train de travailler dur avec certaines autorités religieuses et l’Unicef. Aucun Sénégalais n’est indifférent à la question des talibés. Aujourd’hui, les conditions d’un consensus national pour la résolution de cette question  ne sont plus loin.



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